Le dossier sur la sépulture Grunwaldt vient s’enrichir aujourd’hui d’un nouvel article passionnant. Écrit par notre adhérente Marie-Claude Paris, il nous livre des informations inédites sur les origines de la famille Grunwaldt ainsi que le patronyme de Rodolphe Grunwald et améliore nos connaissances sur les liens qui unissaient les familles Guimard et Grunwaldt.
La tombe familiale Grunwaldt[1] dessinée par Hector Guimard au cimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine ou l’énigme de la consonne muette.
A lire le nom des occupants de la sépulture N° 6553 au cimetière nouveau de Neuilly, on pourrait penser que ceux-ci ont pour patronyme de naissance Grunwaldt [2]. Or ceci pose problème, car sont inhumés là un beau-père (i.e. Pavel Michailovich Grunwaldt) et son gendre (i.e. Raphaël Rodolphe Grunwald), portant tous deux le même patronyme, celui de Grunwaldt. Je voudrais montrer que les patronymes du gendre et celui du beau-père diffèrent par la seule présence (ou l’absence, selon le point de vue que l’on adopte) d’une consonne finale muette ‘t’[3]. Ainsi cette consonne disparaît-elle au gré des besoins des déclarants. De fait, non seulement Raphaël Rodolphe mais aussi ses deux filles, Janina et Gladys Grunwald, ne sont pas des Grunwaldt, contrairement à ce qui figure sur la sépulture de Neuilly. Quelques recherches dans l’état civil le prouvent.
On ne sait pourquoi le gendre utilise le patronyme de son beau-père lorsqu’il achète en février 1907 une concession perpétuelle au cimetière nouveau de Neuilly. Mais on peut penser que l’utilisation de cette orthographe[4] est délibérée puisque, quelques mois à peine après son achat, Rodolphe fait don de cette concession à sa belle-famille, sans donc avoir besoin de changer de patronyme.
(Ce patronyme est parfois écrit « GRINVALDT » comme, par exemple, lors de la foire mondiale de Chicago — Chicago World Fair, qui s’est tenue de mai à octobre 1893. « Grinvaldt » sonne clairement plus américain qu’allemand).
Pavel Michailovich GRUNWALDT est le fils de Michel Grunwaldt et de Kalmen Sacha. Il naît le 18/4/1851 à Mitau (Russie/Courlande) et meurt à 16h le 20 janvier 1922 au Casino municipal de Nice, Place Masséna. Son épouse, Lydia Julievna Stern est née comme lui à Mitau (Russie) le 14 janvier 1861. Elle décède à son domicile, avenue Ingres, Paris, en 1925.
Pavel/Paul est un fourreur de grand renom. Il expose à la Chicago World Fair en 1893. La même année il dispose aussi d’une adresse à St Petersbourg, 22 Newsky et à Paris au 4 avenue Ingres, 16ème arrondissement. Avant de quitter les Etats-Unis en 1894, il fait des soldes au 96 fifth avenue à New York. En 1895-1896 sa boutique parisienne se trouve au 6 rue de la Paix, Paris, 2ème arrondissement. Lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1889, son titre est : « Fournisseur de Sa Majesté le Tzar ». Le 28 Novembre de la même année, il réside à l’hôtel Dominici, rue de Castiglione, et fait coudre en peu de temps un paletot de loutre pour Jummy, la chienne de la princesse de Galles ![5]
Entre 1898 et 1926, on trouve de nombreuses photos de ses modèles à Paris. La société de fourrures en gros Grunwaldt était encore domiciliée 6 rue de La Paix en 1938.
2.1 Raphaël Rodolphe GRUNWALD
Il est le gendre de Pavel M. GRUNWALDT. Il est né en Russie (Courlande) à Mitau, le 5/2/1871, tout comme Pavel. C’est le fils de Zalman Grunwald et de Rebecca Engelberg. Le 18/12/1900, il épouse Valérie Grunwaldt, l’une des filles de P.M. Grunwaldt. Née à Saint-Petersbourg le 19/9/1882, Valérie est alors mineure et domiciliée chez ses parents 4 Avenue Ingres. Raphaël Rodolphe, rentier, réside 9 rue de Verneuil, Paris 7ème. Le mariage de Raphaël Grunwald et de Valérie Grunwaldt a lieu à la mairie du domicile du marié, le 7ème arrondissement. L’oncle de Valérie, Edouard Grunwaldt[6] est l’un des témoins du mariage
Raphaël Grunwald décède le 27/6/1917, à 46 ans, 47 rue Jacob et son épouse Valérie en 1958. Tous deux reposent dans la tombe des Grunwaldt.
2.2 Les filles GRUNWALD
Les époux Grunwald auront deux filles. La première Janina Rebecca Grunwald naît le 08/03/1902, 5 rue Laurent Pichat dans le 16ème arrondissement. En 1930 Janina épousera Jean-Marie Frachon, puis divorcera. Elle décède le 29/08/1966 à Paris, 15ème arrondissement. C’est elle qui, suite au décès de sa mère Valérie en 1958, demande la remise en état de la porte de la chapelle de la tombe familiale Grunwaldt.
La seconde fille, Gladys Manuelle Grunwald, naît le 28/06/1904 4 rue Berlioz dans le 16ème arrondissement et décède à Saint-Cloud en 1971. Gladys épouse Cholim/Szolem Mandelbrojt en mai 1926 à Neuilly. Tout comme Janina, Gladys est inhumée dans la tombe familiale des Grunwaldt.
Quelle est la raison du changement d’orthographe du nom de Raphaël R. Grunwald en Rodolphe Grunwaldt ? Un changement légal de patronyme n’a pas été effectué, puisque les enfants de Raphaël R. ont pour patronyme Grunwald. Reste alors une hypothèse : Rodolphe obéit à la puissance du beau-père, qui souhaite la préservation de son nom, considérant que seul son gendre peut et doit maintenir le patronyme. En effet, en 1907 Pavel a deux filles mariées et un fils Wladimir René Alexandre, lequel n’a que quatorze ans. Marie-Clémence[7] est mariée à Ichoua J. Smadja et Valérie à Raphaël. Wladimir ne se mariera qu’en 1935. Quant au frère cadet de Pavel, Edouard celui-ci est sans descendance.
Ainsi lors du décès de Rodolphe en 1917, et cinq ans avant le décès de son beau-père, le patronyme « Grunwaldt » sera celui des occupants futurs de la tombe. Le beau-père, qui aimait titres, distinctions, médailles et honneurs, conserve donc ainsi l’autorité sur sa famille en plus d’une certaine éternité. Il est, de surcroît, immortalisé par une statue en buste dans la sépulture.
Si Hector Guimard a bien réalisé le dessin de la tombe Grunwaldt après le décès de Pavel en 1922, il revient à Adeline O. Guimard d’avoir très probablement mis en relation son époux Hector avec Pavel et/ou Lydia Grunwaldt. En effet, Adeline a effectué un portrait de Pavel avant son décès et ce, très probablement après la fin de la première guerre mondiale, à l’époque où elle dessinait les portraits de politiciens et d’ami(e)s dans son atelier du 122 avenue Mozart. Les Grunwaldt et les Guimard étant voisins, on peut très bien imaginer que Lydia rende visite à Hector dans ses bureaux avenue Mozart. Outre cette relation de voisinage, Mme Guimard jouait alors un rôle certain dans la colonie américaine de Paris. Elle aurait pu connaître Pavel auparavant lorsque celui-ci s’occupait de la Chambre de commerce américaine de Paris dont il est le fondateur[8].
Le portrait de Pavel par Adeline Guimard a été exposé 22 place Vendôme, Paris, en janvier 1922 à la galerie Lewis and Simmons, à quelques mètres de la maison de fourrure Grunwaldt. À cette coïncidence de lieu s’en ajoute une de temps : Pavel M. Grunwaldt est décédé le 20 janvier 1922 au moment où se tenait l’exposition d’Adeline O. Guimard (12 au 27 janvier 1922).
Ainsi chacun à leur façon, Adeline et Hector Guimard ont contribué à l’éternité de Pavel M. Grunwaldt.
Marie-Claude PARIS
[1] Ce travail a été inspiré par la conférence de Christine Grasset, Frédéric Descouturelle et Olivier Pons, prononcée lors de l’Assemblée Générale du Cercle Guimard le 11 février 2017 à Paris, Mairie du seizième arrondissement.
[2] Hormis le bébé Smadja, qui est (probablement) l’enfant de I. Jehova Smadja et de Marie-Clémence Grunwaldt, l’une des filles de Pavel Grunwaldt.
[3] Encore que Grunwaldt devrait s’écrire avec un tréma sur le ü, soit Grünwaldt.
[4] Voir une copie de l’acte d’achat de la concession sur le site lecercleguimard.fr, rubrique « sépultures ».
[5] Voir Le Chenil : journal des chasseurs et des éleveurs, novembre 1889.
[6] Edouard, dit Clark, est le frère cadet de Pavel. A cette date il est domicilié à Paris, 18 rue Chauveau Lagarde, 16ème arrondissement. Tout en étant fourreur, il s’occupe de la vente d’objets d’art. Lors de la « Louisiana Purchase Exposition » (Exposition Universelle de Saint Louis, Missouri) de 1904, il dirige le « Russian Art Exhibit ». Il vend des œuvres sans payer leurs auteurs (voir L’Univers israélite du 26/11/1926) ou escroque certains (voir Le Temps du 30/6/1891). Il meurt à 55 ans à New York dans la misère.
[7] Marie-Clémence épouse (peut-être) I. Jehova Smadja en 1905.
[8] Voir le journal Le Radical du 29 janvier 1922.
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