Cet article développe et complète un aspect traité dans le livre Guimard l’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail. Un autre article est consacré plus spécifiquement aux entourages à trémies étroites.
Conçus pour être l’exception, les entourages découverts du métro parisien, dessinés par Hector Guimard en 1900, sont devenus — par la volonté des conseillers municipaux — de loin les plus nombreux, au détriment des édicules qui ont presque failli disparaître du réseau. Sans qu’il y ait de nécessité ou de désir clairement exprimé par les autorités municipales et préfectorales, Guimard conçoit ses entourages à fond arrondi (comme les édicules B) ou à fond orthogonal (comme les édicules A).
Sur les deux premiers chantiers du métro auquel il participe, Guimard est essentiellement confronté à des largeurs[1] de trémies de 3 m qui, dans le cas d’entourages à fond orthogonal, reçoivent à l’arrière trois modules d’un mètre. Mais quelques accès ont une largeur spécifique. L’un est plus étroit (2 m 75 à Bastille) et trois autres sont plus larges (3 m 50 à Palais Royal et à Père Lachaise) et même 4 m à Villiers (détruit).
Si l’élasticité du système modulaire de Guimard absorbe facilement l’augmentation de la largeur au niveau de la balustrade, en revanche, au niveau du portique des modifications sont nécessaires. Étant donné que Guimard conserve les mêmes modèles d’arches que pour les entourages de largeur standard à 3m (V-3b et V-4b), il est nécessaire de modifier les largeurs des deux pièces en fonte du porte-enseigne (V-5b et V-6b pour Palais Royal et Père Lachaise, V5c et V-6c pour Villiers).
Pour ces trois accès, Guimard conçoit aussi une enseigne en lave émaillée plus large avec un lettrage différent (« entourage petit M »).
Après l’arrêt de la collaboration de Guimard avec la CMP en 1903, la compagnie continue à utiliser largement ses modèles d’entourages découverts[2]. La plupart auront des dimensions de trémie « standard » permettant d’utiliser trois modules en largeur et cinq ou six modules en longueur. Tous sont à fond orthogonal, à l’exception des quatre entourages étroits de la station Strasbourg-Saint-Denis qui sont à fond arrondi (détruits).
Mais elle sera aussi confrontée à des trémies de largeurs très différentes. Pour certains accès, en fonction de l’espace disponible et de l’affluence attendue, les autorités prescrivent des trémies plus larges sur lesquelles il faut adapter les entourages Guimard. N’ayant ni le talent ni l’inventivité de l’architecte, les ingénieurs de la CMP modifient alors les fontes et les enseignes des portiques d’une façon parfois peu élégante. Dans tous les cas, les arches sont celles de l’entourage standard à trémie de 3 m (V-3a et V-4a). Mais les deux fontes des porte-enseignes doivent alors êtres adaptées par allongement de leur partie centrale : V-5g et V-6g pour une trémie de 3 m 30 ; V-5b et V-6b pour une trémie de 3 m 50 ; V-5c et V-6c pour une trémie de 4 m ; V-5h et V-6h pour une trémie de 4 m 50 ; V-5i et V-6i pour une trémie de 5 m ; V-5j et V-6j pour une trémie de 6 m.
Pour des largeurs de trémie de 3 m et de 3 m 30, les portiques reçoivent une enseigne « entourage grand M ».
À partir de 3 m 50, ils reçoivent une enseigne « entourage grand M », plus large, initialement conçue par Guimard pour les stations Palais Royal (3 m 50), Père Lachaise (3 m 50) et Villiers (4 m). Si ce type d’enseigne est encore harmonieux pour Villiers, il ne l’est déjà plus quand la trémie passe à 4 m 50 ou à 5 m, largeurs que Guimard n’a jamais eu à traiter.
L’entrée la plus large est à la station Nation avec une largeur de trémie de 6 m. Cette extrême largeur contraint à agrandir démesurément les fontes du porte-enseigne. L’existence de la carte postale ancienne ci-dessous prouve que la CMP s’est préoccupé de ce problème puisqu’elle a, dans un premier temps, mis en place une enseigne provisoire marquée « entrée du Métropolitain » de grande largeur, couvrant toute l’étendue du porte-enseigne.
Mais finalement, peut-être en raison du poids excessif qu’aurait pu avoir une telle enseigne réalisée en lave émaillée, elle s’est résolu à mettre en place une enseigne à lettrage « entourage petit M ». Il en résulte de grands vides particulièrement inesthétiques de part et d’autre de l’enseigne.
Il nous semble douteux que Guimard, s’il avait été chargé d’entourages d’accès d’aussi grandes largeurs, se fût contenté de cette solution de facilité consistant à élargir le porte-enseigne et aurait probablement modifié plus profondément le portique.
F. D.
[1] Dans tous les articles concernant le métro de Guimard, nous utilisons le terme « largeur » pour quantifier une distance face à l’observateur qui est situé en face de l’accès de métro (largeur de trémie, largeur de l’enseigne, etc). De même, les termes « gauche » et « droit » font référence au coté qui perçu par l’observateur situé en face de l’accès de métro.
[2] Tous sont à fond orthogonal, à l’exception des quatre entourages étroits de la station Strasbourg-Saint-Denis qui sont à fond arrondi (détruits).
Les entourages d’entrées de métro à trémies étroites
Cet article développe et complète un aspect traité dans le livre Guimard l’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail. Un premier article a été consacré au concept de modularité élastique et un autre article sera consacré spécifiquement aux entourages à trémies larges.
Conçus pour être l’exception, les entourages découverts du métro parisien, dessinés par Hector Guimard en 1900, sont devenus — par la volonté des conseillers municipaux — de loin les plus nombreux, au détriment des édicules qui ont presque failli disparaître du réseau. Sans qu’il y ait de nécessité ou de désir clairement exprimé par les autorités municipales et préfectorales, Guimard conçoit ses entourages à fond arrondi (comme les édicules B) ou à fond orthogonal (comme les édicules A).
Pendant sa collaboration avec la CMP, Guimard a équipé des accès avec ses entourages à écussons à fond arrondi ou carré de largeurs[1] de trémies différentes. La largeur la plus commune était de 3 m, mais il a aussi modifié son matériel pour répondre à une largeur de trémie de 2 m 75 à Bastille, 3 m 50 à Palais-Royal et Père-Lachaise et même 4 m à Villiers (détruit).
L’entourage de la station Bastille a connu de nombreuses vicissitudes. Cet accès est destiné à assurer une jonction du métro avec la gare terminus de la ligne dite du chemin de fer de Vincennes, rue de Lyon. Les premiers projets des autorités concernent un grand édicule adossé au mur de la gare en raison de l’étroitesse du trottoir. Le 18 avril 1900 Guimard rend le plan conforme à cette demande avec un long édicule comportant des parois en pierre de lave émaillée. Puis un simple entourage est envisagé, d’une longueur de sept modules, sans balustrade ni candélabre du côté de la gare. De ce fait, Guimard prévoit de suspendre l’enseigne au mur et non en portique. Finalement, l’accès prendra la forme classique d’un entourage avec deux candélabres et un portique mais sans balustrade du côté gauche. En raison de la moindre largeur de la trémie (2 m 75), Guimard doit réduire la largeur du porte enseigne (V-5d et V-6d) et par voie de conséquence celle de l’enseigne. Le 1er août 1901, il propose à cet effet un nouveau lettrage destiné à cette enseigne, plus condensé que le lettrage « entourage grand M » qu’il a conçu pour les entourages des trémies de 3 m. Mais ce lettrage spécifique est refusé et Guimard emploiera sur cet accès une enseigne « entourage grand M » rognée aux deux extrémités.
En 1984, la gare de la ligne de Vincennes est démolie pour faire place à l’Opéra Bastille. Malgré son inscription à l’ISMH depuis 1978, l’entourage est démonté et « remonté »[2] de l’autre côté de la place à l’angle du boulevard Beaumarchais.
Après 1903, date de l’arrêt de sa collaboration avec Guimard, la CMP continue à utiliser ses entourages à écussons pour équiper des trémies de largeur standard (3 m), mais aussi d’autres plus larges (jusqu’à 5 ou même 6 m) ou plus étroites : 2 m 50 à Mouton-Duvernet et Saint-Michel ; 2 m à Château d’eau, Simplon, Marcadet et même 1 m 80 m à Strasbourg-Saint-Denis (4 entourages disparus) et à Réaumur-Sébastopol (2 entourages encore en place).
Par ordre chronologique, les deux entourages à écussons de Réaumur-Sébastopol sont les premiers à être mis en place en 1904 pour la ligne 3[3] dans la rue de Palestro (toujours en place). Leur trémie d’une largeur de 1 m 80 m ne permet qu’un module et deux demi-modules pour le fond orthogonal. Cette étroitesse rend également impossible l’utilisation des arches habituelles (V-3a et V-4a) qui, partant des piliers rejoignent le porte-enseigne. La CMP fait donc couler par la fonderie du Val d’Osne un modèle d’arches différentes (V-3b et V-4b) recourbées, plus basses et plus courtes que les arches habituelles. À leur sommet, elle sont séparées d’environ 30 cm. Leur courbure oblige également à la création d’un nouveau porte-enseigne supérieur réduit et plus cintré (V-5k) que ceux s’adaptant aux arches habituelles. En revanche, le porte-enseigne inférieur (V-6k) est une simple réduction du porte-enseigne inférieur habituel. Le tout reçoit une enseigne avec le lettrage « entourage comprimé » que l’on devine sur une photo ancienne non datée.
Enfin, dans la vague de restaurations de la RATP en 2000, ce sont des enseignes au lettrage « METRO »[4] qui sont fautivement mises en place. Les porte-enseignes inférieurs remis en place à cette occasion sont probablement conformes à ce qu’ils étaient à l’origine
Quatre ans après ceux de la station Réumur-Sébastopol, la CMP implante sur la ligne 4 de nouveaux entourages étroits dont les trémies sont à peine plus larges (2 m). Deux entourages sont installés à la station Château d’eau (toujours en place), un entourage à la station Simplon (détruit en 1967) et un autre à la station Marcadet-Poissonniers (détruit entre 1962 et 1964). Leur fond ne comprend plus que deux modules.
Pour le portique, la CMP conserve cette fois les arches habituelles (V-3a et V-4a) qui se retrouvent affrontées à leur sommet. Les fontes du porte-enseigne se trouvent réduites à leur plus petites taille possible- (V-5e et V6e). La CMP y met en place un nouveau type d’enseigne en lave émaillée, plus étroit (largeur 85 cm), se risquant pour la première fois à l’apocope « METRO ».
La même année, en 1908, toujours pour la ligne 4, quatre autres entourages étroits à écussons sont mis en place sur le boulevard Saint-Denis, à la station Strasbourg-Saint-Denis. Ils ont la particularité d’être à fond arrondi[5]. La largeur de leur trémie étant de 1 m 80 (comme à Réaumur-Sébastopol), la CMP reprend les arches raccourcies (V-3b et V-4b) mais modifie le reste du montage du portique, sans doute pour y utiliser aussi l’enseigne au lettrage « METRO ». Cette fois, en raison d’une inclinaison des piliers vers l’intérieur, les arches sont directement affrontées, sans espace entre elles, ce qui permet d’y utiliser le porte-enseigne inférieur V-6e. Mais de ce fait, il faut raccourcir le porte-enseigne supérieur (V-5l). On voit sur une photo qu’il s’intègre moins bien aux arches raccourcies et coudées. Ces quatre entourages seront détruits en 1931.
L’année suivante, en 1909, toujours pour la ligne 4, un premier entourage à écussons avec une largeur de trémie de 2 m 50 est mis en place à la station Mouton-Duvernet (toujours en place), suivi d’un second à la station Saint-Michel en 1910 (toujours en place). Sur leur fond orthogonal, il est possible de faire tenir trois modules en largeur en serrant au maximum tous les éléments.
Trop étroits pour intégrer tous les éléments du portique classique d’une trémie de 3 m, les portiques de Mouton-Duvernet et de Saint-Michel reçoivent les arches habituelles (V-3a et V-4a) et un porte-enseigne spécifique (V-5f et V-6f) dans lequel prend place une enseigne en lave émaillée d’une largeur d’ 1 m 15 où l’on retrouve le lettrage « entourage comprimé » déjà vu cinq ans plus tôt sur les deux entourages à écussons de Réaumur-Sébastopol.
Finalement, ces entourages étroits adaptés par la CMP sont peu nombreux. Esthétiquement, ils sont plutôt réussis et tout en apportant une certaine variété au sein des ouvrages Guimard, ils ne trahissent pas l’esprit de ses réalisations.
F. D.
[1] Dans tous les articles concernant le métro de Guimard, nous utilisons le terme « largeur » pour quantifier une distance face à l’observateur qui est situé en face de l’accès de métro (largeur de trémie, largeur de l’enseigne, etc). De même, les termes « gauche » et « droit » font référence au coté qui perçu par l’observateur situé en face de l’accès de métro.
[2] L’entourage remonté a peu à voir avec celui qui a été démonté : il s’agit d’un entourage complet avec une balustrade gauche, d’une largeur de trémie de 3 m et dont il semble que peu ou pas de pièces de fontes proviennent de l’entourage initial. Son enseigne est une banale « entourage grand M » signée au recto. À l’occasion des restaurations de 2000, l’enseigne originale (également signée au recto), très reconnaissable à ses extrémités rognées, a été remontée sur l’entourage de la station Ternes.
[3] La mise en place de ces deux entourages à écussons rue de Palestro en 1904 est une présomption, mais pas une certitude, faute de photo antérieure à 1908.
[4] Il s’agit probablement d’enseignes anciennes provenant des destructions d’entourages comme ceux de Simplon et de Marcadet-Poissonnier ou même de Strasbourg-Saint-Denis.
[5] Et non à fond orthogonal (comme nous l’avions écrit dans le livre Guimard l’Art nouveau du métro). Il s’agit d’une unique exception parmi les entourages mis en place par la CMP sans Guimard et qui sont tous à fond orthogonal.
Cet article développe et complète un aspect traité dans le livre Guimard l’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail. Deux autres articles seront consacrés plus spécifiquement aux entrées à trémies étroites et à trémies larges.
Conçus pour être l’exception, les entourages découverts du métro parisien, dessinés par Hector Guimard en 1900, sont devenus — par la volonté des conseillers municipaux — de loin, les plus nombreux, au détriment des édicules qui ont presque failli disparaître du réseau.
Contrastant avec le modelage poussé de leurs fontes, ces entourages ont une structure très simple puisqu’ils sont coiffés d’un portique d’entrée et entourés d’une balustrade qui borde la trémie sur trois côtés. Qu’elle soit à fond arrondi (pour une partie des entrées découvertes de la ligne 1 et la totalité des entrées découvertes de la ligne 2) ou à fond orthogonal (pour les autres entrées découvertes) cette balustrade est constituée d’un socle en pierre de comblanchien sculpté, de potelets en fonte régulièrement espacés et scellés au niveau des jonctions des pierres de socle, d’arceaux en fonte reliant les potelets à leur partie supérieure, de trois types de fers laminés en U horizontaux s’insérant derrière les potelets et ceinturant la balustrade, d’écussons décoratifs en fonte fixés par rivetage sur les fers en U, et enfin, de paires de fers laminés en U décoratifs verticaux (les « flammes »), découpés et pliés à leurs extrémités, rivetés de part et d’autre des écussons sur les fers horizontaux.
À l’exception de l’enseigne en lave émaillée et du socle en pierre, tous les autres éléments sont moulés en série (fontes et verrines en verre du portique) ou sont des produits industriels (fers laminés) transformés. La volonté de Guimard de rationaliser la construction de ces accès et d’abaisser ainsi leur coût de revient est évidente et se réalise, d’une part en utilisant ces matériaux moulables ou ces produits industriels et, d’autre part, en adoptant un système modulaire pour la balustrade
Un module comprend une pierre de socle, deux potelets, un arceau, un écusson et une paire de « flammes ». La largeur[1] la plus habituelle de ce module est d’ 1 m 05,5 (pour la pierre de socle). Mais, sachant que le Conseil municipal peut imposer des longueurs et des largeurs de trémies variables, Guimard a assoupli ce système modulaire dont la largeur peut s’étaler ou se rétracter au long des fers en U horizontaux. Il suffit de réduire ou d’augmenter la largeur de la pierre de socle (ainsi que celle de l’arceau). Les autres éléments en fonte restent inchangés, en particulier l’écusson qui est au centre du module. Les « flammes » sont alors harmonieusement disposées de part et d’autre de l’écusson selon la variation de longueur nécessaire.
La contrepartie de cette « élasticité » du module est que les pierres de socle ne sont pas standardisées et doivent être individuellement sculptées en fonction des mensurations retenues pour l’entrée. Il aurait été tout à fait possible à Guimard d’opter pour une solution très économique qui aurait consisté à faire mouler en ciment les éléments de ce socle dont les décors latéraux étaient toujours identiques et où seule la largeur centrale (une simple moulure) varie. Mais il a sans doute tenu à conserver à ce socle un aspect traditionnel et luxueux en utilisant la pierre[2]. La longueur des arceaux joignant les potelets est soumise à la même variation et oblige à commander à la fonderie des arceaux de différentes largeurs[3].
Ce concept de modularité élastique permet donc d’adapter facilement la balustrade à toutes les longueurs et largeurs de trémies en faisant varier le nombre ou la largeur des modules. Nous l’illustrons par quelques schémas ci-dessous en passant d’une longueur de 3 m à une longueur de 4 m 20.
Sur les deux premiers chantiers du métro auxquels il participe, Guimard est essentiellement confronté à des largeurs de trémies de 3 m (soit 3 modules d’un mètre). Mais quelques accès ont une largeur spécifique. L’un est plus étroit (2 m 75) à Bastille (accès incomplet sans balustrade gauche) et trois autres sont plus larges : 3 m 50 à Palais Royal et Père Lachaise et même 4 m à Villiers (détruit).
Si l’élasticité du système modulaire de Guimard absorbe facilement ces variations au niveau de la balustrade, en revanche, au niveau du portique, il est nécessaire de recourir à des largeurs différentes des deux pièces en fonte du porte-enseigne qui relie les deux candélabres.
Malgré les contraintes que nous venons d’évoquer, il est bien certain que le système de Guimard présentait des avantages, tant par sa souplesse d’utilisation que par sa facilité de mise en place. On peut soupçonner la CMP d’avoir rapidement compris qu’une fois l’entreprise de serrurerie rompue au montage des accès, l’intervention de l’architecte comme le paiement de ses honoraires, deviendraient superflus, ses propres ingénieurs pouvant facilement le remplacer. Il est probable que lors du conflit financier qui l’oppose à Guimard de 1901 à 1903, la volonté de la CMP de récupérer la propriété des modèles et les droits de reproduction — ce qu’elle obtiendra en échange des sommes réclamées par Guimard — cache l’intention de le court-circuiter à l’avenir. Ce faisant, elle se remboursera facilement du dédommagement financier accordé à Guimard. Ce dernier se trouvera en quelque sorte victime de l’ingéniosité de son système.
Après l’arrêt de la collaboration de Guimard avec la CMP en 1903, la compagnie continuera à utiliser largement ses modèles d’entourages découverts à fond orthogonal. La plupart auront des dimensions de trémie « standard » permettant d’utiliser trois modules en largeur et cinq ou six modules en longueur.
Mais elle sera aussi confrontée à des trémies de largeurs très différentes allant de 1 m 80 à 6 m. N’ayant ni le talent ni l’inventivité de Guimard, les ingénieurs de la CMP modifieront alors les fontes et les enseignes des portiques d’une façon parfois peu élégante.
La longueur des entourages est elle aussi variable, mais dans des proportions moindres. Elle ne dépend que de la profondeur à rejoindre pour que l’escalier de la trémie débouche dans le premier couloir. Cinq ou six modules sont suffisants. Eux aussi sont soumis à l’élasticité qui leur permet de couvrir toutes les longueurs prescrites par les autorités.
Le concept de modularité développé par Guimard pour les entourages découverts se retrouve aussi sur ses autres types d’accès du métro (édicules et pavillons) avec moins de souplesse puisque des plaques de lave émaillée remplacent les espaces vides occupés par les fers et les écussons.
On peut penser que cette modularité n’a pas manqué d’être mise en avant par Guimard lors du choix — plutôt contraint, rappelons-le — de ses projets par les autorités municipales et préfectorales. Elle fait partie de ses préoccupations constantes, son travail étant en bonne partie, et dès le virage stylistique du Castel Béranger, orienté vers la recherche d’économie, la production sérielle et même, après la première guerre mondiale, vers la préfabrication.
Dans le cas du métro cette recherche est donc restée partielle. Comme nous l’avons vu, elle aurait pu être plus radicale avec l’utilisation du ciment au lieu de la pierre de comblanchien pour le socle. Quoique son système fût acceptable pour les faibles variations de largeur de trémies qui lui étaient demandées, Guimard aurait peut-être pu également adopter un autre système d’enseigne, moins contraignant. Cependant, comme on peut le constater dans nombre de ses œuvres, les économies réalisées au moyen de différentes recettes par Guimard sont souvent « réinvesties » dans certains aspects décoratifs coûteux qui n’auraient pu, sans elles, voir le jour. Comme il s’en explique — de façon assez peu claire il est vrai — dans sa conférence prononcée en juillet 1899 dans les locaux du Figaro, il opère donc un savant équilibre entre les économies dégagées par la « logique » de son travail et le surcoût induit par le « sentiment » généré par le particularisme de son style.
F. D.
[1] Dans tous les articles concernant le métro de Guimard, nous utilisons le terme « largeur » pour quantifier une distance face à l’observateur qui est situé en face de l’accés de métro (largeur de trémie, largeur de l’enseigne, etc). De même, les termes « gauche » et « droit » font référence au coté qui perçu par l’observateur situé en face de l’accès de métro.
[2] Cette volonté d’avoir un socle en pierre a pour conséquence d’augmenter considérablement la facture finale puisque son coût représente le principal poste de dépense d’un accès découvert. Nous avons pu calculer qu’en 1902 le socle d’un accès de la ligne 2 revient à 1389 F-or, alors que le montant de la fourniture en pièces de fontes d’un accès de la même ligne n’est que de 889 F-or.
[3] Actuellement la RATP résout ce problème différemment en soudant ensemble deux demi-arceaux recoupés à la bonne taille, mais en 1900 cette technique n’est pas applicable.
Le vaste cimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine se trouve en fait à la Défense, sur les territoires des communes de Puteaux et de Nanterre. Cette localisation paradoxale s’explique par son ouverture tardive en 1886 — le cimetière ancien de Neuilly étant saturé — alors que le foncier des communes de la banlieue ouest n’offre déjà plus beaucoup de possibilités pour de grandes surfaces.
De nos jours, en raison de son enclavement, l’accès en est peu pratique et il faut vraiment être motivé pour accéder à l’entrée principale en contournant à pied l’Arche de la Défense. Et pourtant, il résiste toujours aux interminables travaux qui bordent ses murs : des bureaux puis un immeuble d’habitation viennent de surgir tout à côté d’un immense stade… Le paysage est en perpétuelle évolution et ces importants travaux ne sont pas sans conséquences sur l’état général du terrain.
La sépulture Grunwaldt, réalisée par Guimard, se trouve dans la division 1a — la plus ancienne — au n° 2. Elle n’est pas encore mentionnée sur la liste proposée des personnalités inhumées, accompagnée du plan, mais est répertoriée dans les « curiosités » du site Cimetières de France et d’ailleurs. Elle est du même gabarit que les autres petits monuments avoisinants, tous de styles néo-gothique ou néo-classique.
Inconnue des premiers chercheurs sur Guimard, absente des listes d’œuvres rédigées par l’architecte, sans plan retrouvé parmi les dessins connus de Guimard, la redécouverte de cette sépulture s’est faite par épisodes. En 1992, l’Inventaire général d’Ile-de-France la repère, la photographie et la répertorie sous le nom de « Chapelle Funéraire dite sépulture Grunvaldt » (avec une faute dans le nom propre) sous la forme de quatre fiches. À cette date, le monument possède encore ses deux porte-bouquets en laiton ou en bronze placés au pied de la façade, ses quatre porte-couronnes, ainsi que trois sur quatre de ses pilastres porte-bouquets.
En 2001, la sépulture est incluse dans le répertoire d’une grande étude menée par le Service de l’Inventaire général d’Ile-de-France (Hommes et métiers du bâtiment 1860-1940, éditions du Patrimoine, p. 226). Elle n’y fait l’objet que d’une modeste notice, accompagnée de l’illustration de la façade, recadrée et en petite taille.
Deux ans plus tard, dans son monumental ouvrage récapitulatif Hector Guimard (éditions Charles Moreau et Ferré, 2003, p. 248-249), Georges Vigne consacre une première notice descriptive à la sépulture Grunwaldt et présente en pleine page sa première photographie couleur due à Felipe Ferré. À ce moment, les porte-bouquets de la façade ainsi qu’un porte-couronne ont disparu.
Dès la fin du XIXe siècle, le fourreur Pavel Michailovitch Grunwaldt occupe une place de choix dans cette branche du commerce de la mode à Paris. Sa boutique, à l’adresse prestigieuse du 6 rue de la Paix, est l’une des plus courues de la capitale, habillant les élégantes aristocrates comme les comédiennes à la mode. Ce patronyme [1] qui évoque l’Alsace ou l’Allemagne est celui d’une famille juive qui a migré à plusieurs reprises au cours du XIXe siècle. Quant au prénom de Pavel Michailovitch, il est l’indice presque certain d’une naissance sur le sol russe. Pour plus de commodité nous le désignerons par son prénom francisé, Paul.
Paul Grunwaldt a un sens très développé de la communication publicitaire car on peut relever sans peine l’existence d’un grand nombre d’encarts publicitaires et de luxueux catalogues très illustrés où les élégantes se voient proposer un nombre étourdissant de modèles et de types de fourrures. Les clientes ont aussi la sensation de coudoyer les grands de ce monde puisque des articles publicitaires le donnent comme — entre autres — fournisseur du tsar.
« Les toilettes étaient d’une simplicité fort élégante, presque toutes de nuances foncées, sauf celles, fort jolies d’ailleurs, en drap rouge avec broderies noires, la jaquette en velours ou en loutre, la loutre dominant. La mode est d’ailleurs aux fourrures. Jamais les cols de fourrures, les grands boas de zibeline, les toques et manchons n’avaient été plus nombreux. On nous dit que M. Pavel Michailovitch Grunwaldt, le célèbre fournisseur de l’Empereur de Russie, en a vendu à lui seul plusieurs milliers depuis son arrivée à l’Hôtel Dominici. La fourrure sied d’ailleurs beaucoup au teint des femmes. »
(Le Figaro, 12/05/1889).
Au sein des catalogues, la longue liste des récompenses obtenues à diverses expositions débute effectivement à Kiev et Riga en 1871, Moscou en 1872, avant Vienne en 1873 et les expositions Universelles de Paris en 1878, 1889 (où il est membre de la commission russe, membre du jury et hors concours) et 1900 (vice-président du jury international). Parmi les diverses décorations glanées au cours de sa carrière, en plus de divers rubans russes, bulgares, serbes, perses et belges, notons la légion d’honneur, dès 1878 [2], peut-être décernée alors qu’il a acquis la nationalité française.
L’adresse personnelle des Grunwaldt est au 4 avenue Ingres dans le XVIe arrondissement parisien, donc relativement proche des domiciles de Guimard et de sa principale aire d’activité professionnelle.
Pourquoi la famille Grunwaldt a-t-elle choisi un cimetière de banlieue ? Dans Paris intra-muros, le choix pouvait se porter sur le cimetière d’Auteuil à la pointe sud du XVIe arrondissement ou sur le cimetière de Passy, à proximité du Trocadéro. En achetant une concession au cimetière nouveau de Neuilly, la famille n’a donc pas recherché une localisation prestigieuse (surtout valable pour le cimetière de Passy). La question religieuse ne semble pas être entrée en ligne de compte puisque la sépulture se trouve placée dans une division sans distinction confessionnelle et n’arbore aucun signe distinctif de la religion juive.
L’explication vient tout simplement de la domiciliation de l’acquéreur de la parcelle. En effet c’est Rodolphe Grunwald, âgé alors de 36 ans, sans profession, qui s’adresse au cimetière dont dépend sa domiciliation — il habite alors au 2 rue Rigaud à Neuilly-sur-Seine — et qui fait l’acquisition le 6 février 1907, officialisée le 11 février, de la concession (perpétuelle) n° 6553, 1ère division, 2ème série, n° 25, d’une surface de 4 m2. Par acte notarié du 26 juin 1907, il en fait don à ses beaux-parents, Paul et Lydia Grunwaldt. Cette démarche peut paraître étrange. Au cas où la santé de Paul ou de Lydia aurait été défaillante en 1907, leur faire don d’une concession aurait été d’un goût douteux. Il est plus raisonnable de penser que Rodolphe a agi à la demande de ses beaux-parents. Mais en ce cas pourquoi en aurait-il pris en charge les frais, à une époque où les affaires de la maison Grunwaldt sont florissantes ?
Étant donné son jeune âge, Rodolphe Grunwald n’était sans doute pas destiné à être le premier utilisateur de la concession. Et pourtant, c’est lui qui décède le premier, le 27 juin 1917 à l’âge de 46 ans, 47 rue Jacob à Paris [3]. Il est inhumé le 1er juillet dans un caveau provisoire, dans la concession qu’il a lui-même acquise dix ans plus tôt. Et, comme on le verra plus loin, il y est à nouveau inhumé en 1920, après la construction d’un caveau familial.
C’est le 20 janvier 1922 que décède Paul Grunwaldt, à l’âge 70 ans, à Nice. Il est inhumé dans le caveau neuf jours plus tard.
Trois ans plus tard, Lydia Grunwaldt, l’épouse de Paul, décède le 27 octobre 1925 et est inhumée le 30 octobre.
Une inspection sommaire de l’intérieur de la sépulture relève la présence d’une plaque dédiée à la mémoire d’une enfant du nom de Smadja, décédée à l’âge de deux ans.
Les registres du cimetière donnent les dates des dernières inhumations qui ont lieu en février 1958 pour Valérie Grunwaldt ; en avril 1959 pour Wladimir Grunwaldt, fils de Paul ; en mai 1959 pour Marie-Clémence Grunwaldt, sœur de Wladimir ; en 1971 pour Gladys Mandelbrojt, née Grunwaldt ; en septembre 1983 pour Szolem Mandelbrojt, époux de Valérie Grunwaldt.
Si la sépulture est bien signée « Hector Guimard Arch » sur l’angle inférieur droit de la façade, elle n’est pas millésimée.
Le dossier administratif de la conservation du cimetière ne contient aucun document concernant la construction à proprement dite de la sépulture. En 1992, le Service de l’Inventaire général d’Ile-de-France la datait de 1922, date du décès du principal occupant du caveau.
Pour sa part, en 2003, Georges Vigne contestait la date de 1922 et lui préférait celle de 1907 (ou peu après) pour des raisons stylistiques. À son avis, la sépulture Grunwaldt, par son style général relevant de l’Art nouveau, est trop différente de la sobre tombe de l’écrivain Albert Adès, conçue en 1922 et inaugurée en avril 1923 au cimetière du Montparnasse (cf. son article sur notre site).
Cette dernière présente effectivement un aspect pré-Art Déco ou plutôt antiquisant, voire orientalisant, faisant sans doute référence à la naissance d’Adès en Egypte.
Autre différence significative avec la tombe Adès, alors que cette dernière est dépourvue de fontes ornementales Guimard, la sépulture Grunwaldt reçoit plusieurs fontes Guimard : quatre pilastres porte-bouquets GB, quatre porte-couronnes GA et une poignée de porte GB.
Georges Vigne confère à la présence de ces fontes un indice de datation. Créées pour la majorité d’entre elles de 1903 à 1907, elles seront éditées par la fonderie de Saint-Dizier et commercialement disponibles à partir de 1908, même si Guimard peut en disposer pour son compte au cours des années précédentes.
Autre indice d’une datation précoce, la forme de la lettre « G » (pour Grunwaldt) exécutée en fer forgé et fixée sur la porte, ressemble à celle du monogramme de Guimard sur son hôtel particulier (1909-1912).
Cependant, il nous semble que ces arguments d’ordre stylistique peuvent être contestés et qu’il est possible de relever d’autres indices pouvant permettre de dater ce monument.
Tout d’abord sa forme générale le fait effectivement rattacher au style Art nouveau, principalement en raison de la présence de son important fronton en arc à la fois en accolade et outrepassé. Comme on le sait, les influences gothiques (l’arc en accolade) et orientalisantes (l’arc outrepassé) font partie intégrante des composantes du style Art nouveau. Guimard a lui même utilisé l’arc en accolade sur les façades du groupe d’immeuble des rue Gros, La Fontaine et Agar.
À notre avis, de même qu’il avait donné un aspect antique et oriental à la tombe d’Adès né en Égypte, Guimard a cherché ici à introduire un élément rappelant la naissance sur le sol russe de Paul (Pavel Michailovitch) Grunwaldt. Ce type d’arc à la fois en accolade et outrepassé est en effet fréquent dans le style néo-russe, élaboré de la seconde moitié du XIXe siècle à la révolution russe et qui remet en valeur les éléments traditionnels de l’architecture locale.
D’autres détails comme la présence de lignes souples sur la ligne faitière confèrent également à la sépulture un aspect Art nouveau.
Mais ce type de détails peut être retrouvé sans peine sur d’autres œuvres tardives de Guimard comme la Mairie du Village Français à l’Exposition des Art décoratifs de 1925. Alors que dans les premières années du style Guimard, il est possible de suivre son évolution stylistique presque année après année, cette évolution se ralentit très nettement après 1910, si bien qu’il devient plus périlleux de dater une œuvre tardive par la seule présence ou absence de certains détails décoratifs qui peuvent survivre longtemps dans son œuvre. Capable de se renouveler, il ne semble pourtant abandonner qu’à grand regret le style Art nouveau qui a fait sa célébrité. La tombe Adès (1922) par exemple, est encore agrémentée de l’habituel « coquillé » ou « bouillonnement » caractéristique du style de Guimard à partir de 1903. Ces zones restreintes de turbulences sont également présentes sur l’immeuble du 3 square Jasmin en 1921-1922 et même sur le linteau de l’entrée de l’immeuble Guimard du 18 rue Henri Heine en 1926 avant de disparaître finalement sur les immeubles suivants (si l’on ne tient pas compte des staffs intérieurs et des fontes ornementales).
Quant aux fontes ornementales de Guimard, elles sont restées disponibles à la fonderie de Saint-Dizier, au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. S’il est exact qu’après la Première Guerre mondiale Guimard restreint le nombre de modèles employés sur ses bâtiments, il les emploie encore abondamment jusque sur ses derniers immeubles de la rue Greuze en 1927-1928. De plus, nous savons à présent par la redécouverte d’une série de photographies, qu’il va déployer au début des années vingt un important effort de création dans le domaine funéraire et qu’il a très probablement envisagé la parution d’un catalogue de tombes pourvues des fontes déjà éditées à Saint-Dizier. Il en a même créé au passage de nouvelles (poignées de cercueil, potelets). Leur présence sur une sépulture Grunwaldt édifiée en 1920-1922 n’est donc pas incongrue.
Effectivement, la forme de la lettre « G » qui orne l’imposte de la porte du monument ressemble clairement à certains « G » dessinés par Guimard. Il fait subir à cette lettre de nombreuses variations, portant sur la barre horizontale plus ou moins présente et surtout sur l’exagération de l’empattement vertical qui peut devenir une sorte d’appendice caudal très important pouvant repasser sous la lettre. La présence des deux traits forme alors une sorte de flèche. Cette exagération de l’empattement vertical est longuement utilisée par Guimard puisque qu’on peut le retrouver sur la signature du 3 square Jasmin (1922) ou sur les plans du 38 rue Greuze (1928). On remarquera d’ailleurs à propos du « G » de la sépulture Grunwaldt une réelle médiocrité dans l’exécution — puisqu’il s’agit d’une simple tôle découpée — qui nous fait soupçonner qu’il ne s’agit pas de la pièce d’origine mais plutôt d’une restauration assez maladroite.
Un décor végétal est sculpté sur les piédroits de la façade avant, à la naissance de l’arc du fronton. Cet assemblage de feuilles longues et d’autres courtes est de prime abord peu reconnaissable et cette partie du décor sculpté pourrait également être vu comme relevant de l’Art nouveau puisque ce style a abondamment utilisé le décor végétal.
Rares sont les évocations végétales dans l’œuvre de la période Art nouveau de Guimard. On peut en trouver quelques unes sur la façade de l’immeuble du 21 rue La Fontaine ou sur certains éléments de lustres. Mais dans ces cas il ne s’agit pas d’espèces botaniquement reconnaissables, plutôt de formes naturelles d’inspiration végétale.
Cette incursion dans la naturalisme est donc très inhabituelle chez Guimard, autant dans ses décors avant-guerre qu’après-guerre, et ne nous oriente pas non plus dans la datation du monument.
La détermination des deux espèces sculptées sur la sépulture Grunwaldt se précise quand on considère le décor de la porte où s’étale une palme en fer forgé, ainsi que le décor de son imposte où un rameau de laurier et une palme se croisent et entourent l’initiale « G ».
Représentés d’une façon plus conventionnelle et donc plus facilement reconnaissables, ces derniers éléments n’ont pas été dessinés par Guimard mais fabriqués en série et simplement achetés. Plutôt qu’un simple décor naturaliste, la présence de ces deux espèces répond certainement à une demande de la famille Grunwaldt qui les fait placer sur la sépulture en tant que signal adressé au passant. Ces deux espèces sont en effet couramment utilisées dans le décor funéraire pour symboliser les honneurs, précisément ceux que Paul Grundwalt a collectionnés tout au long de sa vie.
En jetant un œil à l’intérieur de la sépulture, on voit que le décor est centré sur le buste de Paul Grunwaldt, posé sur un socle reposant sur une console, face à la porte d’entrée.
Au dessus du buste, les rameaux de lauriers sont à nouveau présents, gravés sur les bords de la plaque de marbre honorant Paul Grunwaldt. La silhouette inhabituelle de cette plaque n’est d’ailleurs pas incompatible avec un dessin de Guimard et, en en observant soigneusement les lettres, on verra que les « G » sont assez caractéristiques de Guimard. Cette plaque et son lettrage pourraient donc lui être attribués, ce qui, cette fois, préciserait la datation de l’ensemble vers 1922, après le décès Paul Grunwaldt.
Deux autres plaques, l’une en forme de cœur, l’autre en demi-disque, fixées à l’intérieur sont toutes deux à nouveau dédiées à Paul Grunwaldt par son épouse Lydia. Elles étaient probablement elles-mêmes ornées de branches de laurier. L’absence d’une autre inscription ou plaque dédiée à Rodolphe Grunwaldt confirme que le premier état de cette sépulture est exclusivement consacré à Paul.
Nous pensons donc avoir établi que la construction de la sépulture n’est pas incompatible avec la période d’après-guerre de Guimard. Mais il serait toujours possible d’imaginer qu’elle a été érigée telle quelle à l’usage de Paul Grunwaldt, de son vivant, peu après l’achat de la concession en 1907. Si l’on admet que la première plaque intérieure est bien l’œuvre de Guimard, il faudrait alors admettre que son épouse Lydia la lui a demandée quinze ans plus tard.
Mais les derniers doutes seront levés par la consultation des déclarations d’autorisation de travaux. La première est signée un mois après le décès de Rodolphe Grunwaldt par son beau-père Paul, le 29 juillet 1917. Elle indique la nature des travaux à effectuer par l’entreprise Romelot de Puteaux : « maçonnerie pour garantir le cercueil – Entourage provisoire — Jardin. » À cette date, en 1917, le monument n’est donc pas encore construit.
Quatre ans plus tard, le 4 juin 1920, une nouvelle autorisation de travaux est signée par Paul et Lydia Grunwaldt. Le même entrepreneur Romelot, domicilié cette fois à Neuilly-sur-Seine, est mandaté pour un « Caveau double à mur de refend de 12 places, plus le mètre sanitaire meulière – Mur de refend pierre – Dallage de recouvrement du corps de Mr Rodolphe Grunwaldt – Fermeture provisoire en attendant caniveau et chapelle. » Ces derniers mots indiquent clairement qu’en 1920 le monument n’est toujours pas construit.
Le dossier administratif contient une dernière autorisation de travaux, signée le 29 novembre 1958 par Janine Frachon, née Grunwaldt, qui autorise l’entreprise Labonne de Pont-St-Maxence à exécuter une « remise en état de la porte de la chapelle avec réfection des joints en ciment ».
Pour conclure, au vu de l’autorisation de travaux de 1920, on peut penser que la construction du monument a suivi de peu l’aménagement du caveau à cette date. Mais il est plus probable, ainsi que nous l’avons vu plus haut, que c’est Lydia Grunwaldt qui en a pris l’initiative à la suite du décès de son époux en 1922 et qu’elle le fait construire à la gloire exclusive de son époux.
À l’extérieur, les deux porte-bouquets en laiton ou en bronze placés aux pieds de la façade étaient encore présents en 1992, date à laquelle l’Inventaire général a pris la sépulture en photo.
Ils ont peut-être été volés après la publication des éditions du Patrimoine en 2001 et en tous cas avant celle du livre de Georges Vigne et de Felipe Ferré en 2003. Il en reste actuellement les fixations ainsi que les traces d’oxydation caractéristiques d’un alliage de cuivre qui en dessinent le contour. Une vue de trois quarts permet de se rendre compte que leur partie inférieure épousait l’incurvation du mur au-dessus du socle. S’il s’était agit de pièces issues d’une série destinée par Guimard à l’édition, cette incurvation n’aurait pas convenu à leur mise en place en toute situation. Il aurait alors mieux valu que leur fond soit strictement plat. Et si une telle série avait été éditée, Guimard n’aurait eu alors qu’à remonter ces porte-bouquets de quelques centimètres pour qu’ils se trouvent sur une surface plane. Ces considérations, jointes au fait que ces modèles n’ont jusqu’ici jamais été rencontrés ailleurs que sur cette sépulture, nous fait penser qu’il s’agit de créations originales réalisées pour cette seule occasion.
Mais, après leur vol, ces porte-bouquets ne sont sans doute pas restés éternellement cachés chez un receleur ou chez un collectionneur. Car dans sa vente du 10 & 11 juin 2008, la maison de vente Christie’s de New-York présentait sous le n° 854, une paire d’« appliques espagnoles en laiton doré » attribuées à Guimard. L’annonce permettait aussi de prendre connaissance des dimensions des pièces (52 cm de haut, 27,3 cm de large, 10,4 cm de profondeur). Estimées entre 2 000 et 3 000 $, elles ont été adjugées pour 3 750 $.
En dehors de leur contexte, leur attribution à Guimard n’était pas si évidente. On aurait aussi bien pu évoquer d’autres noms de créateurs comme celui de Tony Selmersheim, voire de Maurice Dufrène. Ce n’est que replacées sur la sépulture Grunwaldt que l’on se convainc facilement qu’elles sont bien dues à Guimard. Quant à la dénomination d’« appliques » qui leur est donnée dans la notice de vente, elle est certainement à rapprocher de celle de « torchères » [4] que leur attribue la fiche de l’Inventaire général de 1992. Tout ceci nous amène à penser que le vendeur de 2008 avait sans doute bien connaissance de la provenance des pièces.
Autre vol manifeste, celui du porte-couronne avant droit qui a lui aussi été descellé après 1992.
Au fur et à mesure que nous visitons ce monument, nous constatons que son état se dégrade de façon très préoccupante.
Il a même à présent été vandalisé comme l’ont été la plupart des tombes des cimetières parisiens. La porte est ouverte et des décors de lauriers en galvanoplastie, gisent pêle-mêle au sol. Le buste n’a pas encore été dérobé, mais ce n’est plus qu’une question de temps. Les joints de la voute n’étant plus étanches, l’humidité gagne peu a peu et hâte les désordres dans la maçonnerie.
Les fontes ornementales sont à présent rouillées de manière irréversible. À une date inconnue, les pilastres porte-bouquets en fonte ont été remplis de ciment ce qui a entraîné leur ruine par éclatement quand l’humidité à fait gonfler le ciment. Celui du coin arrière droit était déjà cassé avant 1992.
Cet état de la sépulture Grunwaldt nous fait craindre sa ruine prochaine. Les échanges récents avec les descendants de la famille Grunwaldt ont démontré leurs préoccupations face à la dégradation du monument et leur volonté de trouver des solutions pour le sauvegarder. Le Cercle Guimard souhaite s’associer à cette démarche indispensable afin que ce monument particulièrement intéressant retrouve toute sa place dans l’œuvre funéraire de Guimard.
Christine Grasset, Frédéric Descouturelle, Olivier Pons
[1] Voir à ce sujet l’article de Marie-Claude Paris, Sépulture Grundwaldt : l’énigme de la consonne muette.
[2] Paul ou Pavel Michailovitch Grunwaldt ne figure pas dans la base Léonore recensant les titulaires de la Légion d’honneur.
[3] C’est à dire dans l’hôpital de la Charité, démoli en 1935 pour faire place à la faculté de médecine de la rue des Saint-Pères. Il ne s’agit donc sans doute pas d’un décès lié à la Première Guerre mondiale.
[4] Cette dénomination de torchère est pour le moins curieuse. On ne pourvoit généralement pas les tombes de véritables porte-torchères mais seulement de simples représentations de flammes. Et ni une torche ni une applique électrique de cette époque n’auraient eu leur source de lumière et de chaleur aussi près de la paroi.
Nous avons déjà mentionné ce type d’horloges suspendues, dite « horloges boulangères », lors du commentaire de la vente Sotheby’s Paris du 16 février 2013, qui en présentait une. Attribuée à Guimard, elle s’était vendue 10 000 €, prix sans doute le plus élevé obtenu pour l’une de ces horloges. Nous avions alors la conviction qu’elle n’était pas de Guimard.
Quelques recherches qui se sont étalées sur plusieurs années nous permettent à présent de mieux cerner ces objets. En observant les exemplaires attribués à Guimard on peut les répartir facilement en deux catégories : les grands modèles à boîtier métallique et les petits modèles à boîtier en faïence.
Quoique parfois différents entre eux, les exemplaires que nous connaissons possèdent un certain nombre d’éléments communs, propres aux horloges boulangères, qui leur donnent un air de famille. Leurs chaînes ont des maillons semblables faisant alterner un maillon rond et un maillon plat rectangulaire festonné. Au centre de cette chaîne un grand maillon central ou un motif néo-Louis XV sert à la fixation murale.
Les extrémités de la chaîne s’insèrent sur des éléments décoratifs en bronze doré. Ces éléments latéraux, symétriques entre eux, sont complétés par un élément apical et un élément basal, et sont fixés sur un boîtier d’horloge. Les cadrans en métal émaillé ont toujours des chiffres arabes et sur la plupart des exemplaires les aiguilles sont semblables ou proches.
Parmi ces grands modèles (hauteur 45 ou 47 cm, largeur 38 cm) on trouve des baromètres, conçus pour faire pendant aux l’horloge. Ils ont une profondeur moindre que celles des horloges.
Tous les grands modèles sont montés sur des boîtiers d’horloge en cuivre affectant la forme d’un simple cylindre.
À la suite d’une probable erreur de remontage, l’un des exemplaires que nous connaissons a ses éléments décoratifs métalliques du haut et du bas inversés par rapport aux autres. Tous les cadrans (à l’exception de l’un d’entre eux qui a été refait) ont un décor identique avec une couronne de petites feuilles se mêlant aux points des minutes et possèdent des chiffres semblables. Certains présentent des inscriptions comme « PARDIEU/Agen », « G. CUSPINERA/BARCELONA » et « À LA GERBE d’OR/A. Simonin/Grenoble » qui sont des noms de bijoutiers-horlogers revendeurs. Dans ce dernier cas, la raison sociale « À LA GERBE d’OR » n’est pas comme on pourrait le croire celle d’une boulangerie, mais celle d’une chaîne de magasins de bijouteries implantés dans de nombreuses villes françaises et dont la maison principale est à Paris, rue de Rivoli. On voit aussi que leur exportation s’est faite jusqu’en Catalogne, terre favorable à l’Art nouveau comme on le sait.
Les quatre décors métalliques des petits modèles (largeur environ 27 cm, hauteur environ 34 cm) sont entièrement différents de ceux des grands modèles. Ils sont toujours montés sur un boîtier en faïence rond et bombé présentant une découpe à l’avant pour le cadran et une autre à l’arrière pour le passage du mécanisme. Ces boîtiers sont des commandes spéciales passées auprès d’un céramiste. L’un des exemplaires connus appartenait à la collection de la Macklowe Gallery à New York (2004). Sa notice donnait comme provenance du boîtier la faïencerie Keller & Guérin, grande manufacture de céramique artistique de Lunéville, près de Nancy. Un autre exemplaire s’est vendu chez Ader à l’hôtel Drouot le 14 juin 2013.
Plus récemment, un petit modèle à la faïence identique à celui de la Macklowe Gallery est passé en vente à Drouot.
Il est bien évident que les attributions à Guimard qui ont fleuri à propos de ces horloges ne se sont fondées que sur l’aspect des éléments décoratifs fixés sur les boîtiers. Sans eux, l’objet perd tout caractère Art nouveau car rien, ni dans le décor à motif de petites feuilles du cadran, ni dans le dessin des chiffres, ni dans la forme des aiguilles n’indique une participation de Guimard à sa conception. Seules les faïences à décor floral des petits modèles attestent une influence Art nouveau, dans la mouvance de l’École de Nancy.
En revanche, les formes complexes des décors métalliques, asymétriques, mouvants et continus, ont une réelle élégance et sont visiblement inspirées par le style de Guimard. Mais elles présentent néanmoins un aspect plus naturaliste, évoquant plutôt des branchages entrecroisés, s’éloignant des motifs décoratifs de Guimard à toutes les étapes de son évolution stylistique.
Et surtout, il n’est pas dans l’habitude de Guimard d’ajouter des éléments adventices de son cru à des objets manufacturés déjà porteurs de leur propre décor. Ses créations sont toujours une reconstruction complète de l’objet à concevoir.
Lors d’une vente à Drouot d’une semblable horloge dans les années 1990, la légende faisait état de la présence de ce type d’horloge au sein des pavillons du métro construits par Guimard ou au sein d’autres stations de métro. S’il est vraisemblable que la CMP ait installé des horloges dans ses salles de guichets, on imagine mal qu’elle ait disposé des modèles artistiques aussi faciles à subtiliser. Jusqu’ici aucune allusion à de semblables horloges n’a pu être retrouvée dans les archives de la RATP, ni aucune photographie ancienne prouvant leur présence dans le métro. Tout en mentionnant bien dans ses notices que l’objet est « d’après Guimard » la maison de vente Ader a continué à colporter cette légende en affirmant : « Selon plusieurs documents écrits, des versions identiques de cette pendule réalisées en très grand format, auraient figuré dans le Métro parisien au début du XXe siècle. » (ventes du 14 décembre 2011, du 25 mai 2012 et du 14 juin 2013). Et pour mieux encore accréditer cette filiation, les photographies détourées de l’horloge et du baromètre de la vente du 14 décembre 2011 sont superposées à des reproductions tirées de l’album du Castel Béranger. Une seule maison de vente — Christie’s — a mentionné que l’horloge était « d’après Guimard » pour la vente du 11 février 2003 à Londres en indiquant « after a design by Hector Guimard ». Mais lors de sa vente du 29 octobre 2009 à Londres, Christie’s oubliait cette précaution et redonnait pleinement l’attribution à Guimard. Le petit modèle vendu par Leclère à Drouot en janvier 2017 affichait un plus prudent « Guimard dans le goût ». Faut-il y voir l’effet de la première version de cet article sur notre site ?
L’un de nos correspondants en Belgique, M. Jean-Luc Delval, nous a éclairé sur la démarche du constructeur de ces horloges en nous fournissant ces photos recto et verso d’une horloge petit modèle au décor différent :
On remarque tout de suite la parenté de construction de cette horloge avec celles en pseudo « Guimard » qui nous préoccupent. Et l’on comprend que le fabricant ne s’est évidemment pas limité au style Art nouveau. Il a aussi assemblé des horloges dans d’autres styles. Celle-ci, néo-baroque, nous rappelle la présence sur certaines horloges de style Art nouveau du motif néo-Louis XV de la fixation murale.
Malheureusement, le logo gravé au revers du mécanisme ne nous donnait pas d’indication précise quant à sa provenance et la faïence ne portait pas non plus de marque.
En réalité, ces horloges boulangères de divers styles ont été bien plus nombreuses que celles de style Art nouveau. On en retrouve sans difficulté sur Internet, provenant du même fabricant, comme celle-ci (invendue sur eBay à 380 € le 29 septembre 2013) qui présente le même boîtier en faïence que celle de la vente Ader, Paris, du 14 juin 2013,
ou celle-ci dont le boîtier en faïence est octogonal.
D’autres fabricants ont produit des horloges boulangères dans la même veine, souvent moins luxueuses. Mais ce n’est que très récemment, grâce à d’autres correspondants qui nous ont envoyé des photos, que nous avons enfin pu identifier leur principal producteur.
Tout d’abord, l’une de nos correspondantes nous a envoyé une vue rapprochée du mécanisme de son horloge.
Le logo gravé était le même que celui de l’horloge de M. Delval.
Nous avons alors interrogé Michael Schrader, l’un de nos adhérents allemands, qui est collectionneur de pendules art nouveau. Il a tout de suite identifié la marque comme étant celle du fabricant de mécanismes Eugène Farcot (1850-1896) qui avait sa société rue des Trois-Bornes à Paris.
Très connu à la fin du XIXe siècle, Farcot avait exposé de monumentales horloges à pendule aux expositions de 1878 et 1889. Mais qu’il soit le fabricant des mécanismes ne signifiait pas qu’il était aussi le concepteur et l’assembleur de ces horloges boulangères. Cependant, Michael Schrader a pu rapidement découvrir qu’il existait des cartels montés sur faïence qui portaient la marque Farcot.
De plus, ces cartels avaient le même cadran bien reconnaissable que celui de l’horloge boulangère vue plus haut. Il s’agissait donc bien d’une horloge assemblée et vendue par Farcot.
Mieux encore, cette publicité de Wandenberg, gendre et successeur de Farcot, mentionne bien des « faïences montées » et des « cartels à chaînes ».
L’illustration de la publicité montre d’ailleurs une horloge de cheminée qui est une faïence montée, équivalente à cette horloge.
À chaque fois, le bronze supérieur est identique et se retrouve sur plusieurs modèles de ces horloges boulangères.
Nous ne saurons sans doute jamais qui était le fondeur qui fournissait Farcot pour les bronzes, y compris les bronzes en « genre Guimard ».
En revanche, nous avons pu retrouver le fabricant des faïences grâce à un cinquième correspondant, M. Philippe Michaud, qui ayant démonté son horloge boulangère…
… a pu photographier à l’intérieur de la faïence la marque du céramiste.
Il s’agit de la société Hippolyte Boulenger à Choisy-le-Roi, grosse entreprise de céramique industrielle et artistique qui a notamment fourni les carreaux biseautés du métro. L’attribution à Keller & Guérin de la faïence de l’exemplaire de la Macklowe Gallery est donc sans fondement.
L’idée que l’expression « horloge boulangère » ait dérivé du nom du céramiste Boulenger vient alors immédiatement à l’esprit. L’hypothèse est séduisante mais cependant, nous ne croyons pas qu’elle soit exacte. Dans ses publicités, la maison Farcot utilise le terme de « cartels à chaîne » et non celui « d’horloges boulangères » et ne met pas en avant le nom du céramiste qui reste bien caché à l’intérieur. Au contraire, elle n’hésite pas à faire apposer sa propre marque sur certains cadrans en faïence. Elle n’est donc sans doute pas à l’origine de l’expression « d’horloge boulengère » qui se serait transformée en « horloge boulangère ». Quant au public, il n’avait pas les moyens d’identifier le nom du céramiste. Une autre hypothèse voudrait que ce type d’horloges ait été utilisé dans des commerces et préférentiellement des boulangeries. Si ces horloges, assez délicates et mieux à leur place dans un salon, ont effectivement pu être placées aux murs de certaines boutiques, il n’y a pas de raison qu’elles aient été spécifiques des boulangeries.
L’origine de ces horloges Farcot ayant été établie, il n’y a plus aucune raison de lire des notices de vente fantaisistes les présentant comme étant « de Guimard », « d’après Guimard » ou « dans le goût de Guimard ». Il s’agit tout simplement d’horloges Farcot de style Art nouveau.
Frédéric Descouturelle
Un grand merci à tous nos correspondants sans qui il n’aurait pas été possible de progresser.
Bien conscient qu’on ne change que progressivement des habitudes d’attribution, depuis la publication de cet article nous intervenons de temps à autres auprès des maisons de vente qui attribuent encore ce type d’horloge à Guimard.
Les attributions ont été modifiées de bonne grâce
– oralement à la vente de la maison Leclere à Drouot le 20 janvier 2017 (lot 12).
– sur le catalogue en ligne de la vente de la maison Bournier & Ardennes Enchères à Charleville-Mézières le 23 juin 2018 (lot 108).
Nous ne sommes pas intervenu auprès de la maison de ventes Debaecker & Richmond à Saint-Martin-Boulogne dans le Pas de Calais. Lors de la vente du 12 octobre 2019, au n° 158, ils proposaient une horloge Farcot « dans le style de Guimard » mais — le manque d’imagination étant sans limite — l’intitulaient « Pendule Art Nouveau Castel Béranger »…
D’autres annonces postérieures à la rédaction de l’article nous permettent de mieux décrire ces horloges.
En novembre 2020, un grand modèle en version baromètre, semblable à celui que nous présentons en début d’article, a été mis en vente sur eBay.
Prudemment intitulé « BAROMETRE ANEROIDE BRONZE Selon inspiration HECTOR GUIMARD Art nouveau », il était présenté avec de nombreuses photos où notre attention a été attirée par un détail que nous avions négligé : le lettrage de style Art nouveau qui est employé pour tous les cadrans décorés de petits feuillages, quel que soit le nom du revendeur mentionné sur ces cadrans (Cie des Bronzes/Lille, PARDIEU/Agen, G. CUSPINERA/BARCELONA, À LA GERBE d’OR/A. Simonin/Grenoble). Il est donc probable que tous ces cadrans, y compris ceux destinés à des revendeurs, sont émaillés à la demande par la maison Farcot (ou son fournisseur) dès leur commande. Dans ces lettrages qui paraissent mêler plusieurs sources, on voit que seuls certains « E » semblent inspirés de ceux qu’on voit sur les enseignes « METROPOLITAIN » en lave émaillée. Les autres lettres sont plus « ramollies ».
Les photos accompagnant ce baromètre montraient également la fixation des décors en bronzes sur le boitier en cuivre.
Le cercle Guimard vous propose un ensemble de visites guidées et commentées, à Paris, sur l’oeuvre d’Hector Guimard et l’architecture de la période 1900 et de la première moitié du 20ème siècle.
D’une durée d’environ 2 heures, ces visites sont organisées selon un rythme régulier et assurées par Emilie Dominey, historienne de l’art et restauratrice du patrimoine, en alternance avec Maréva Briaud, architecte DE, spécialisée dans les mondes professionnels de la lave émaillée au XIXe siècle. Les dates des nouvelles visites seront communiquées au début de chaque mois.
Dans l’attente de vous rencontrer nombreux lors de ces prochaines visites architecturales…
Les réservations aux visites sont ouvertes 15 jours avant la première visite du mois.
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 04/01/2025 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 1 |
sam 18/01/2025 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, ses œuvres de jeunesse" | 17 |
Durée : 2h environ
Durée : 2h environ
Durée : 2h environ
Durée : 2h environ (prévoir un titre de transport si temps peu clément)
Durée : environ 2h30
Durée : environ 2h
Durée : environ 2h
Durée : environ 2h
Durée : environ 2h
Les tarifs de nos visites guidées évoluent à partir de juillet 2022 :
Tarif unique pour les adhérents et non adhérents : 20 euros
Vous pouvez réserver 4 places maximum par visite.
Pour des visites en groupe, merci de nous écrire.
Le Cercle Guimard se réserve le droit d’annuler une visite si manque d’affluence.
Les entrées Guimard des stations du métro, chefs-d’œuvre de l’Art Nouveau sont à tout jamais liées à la légende de Paris, elles en sont même devenues une icône. Le nom de leur créateur n’est pas toujours connu du passant, mais qui n’en a gardé le souvenir après les avoir croisées ?
86 entrées différentes, sur les 88 subsistant à Paris, sont désormais inscrites à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. 167 ouvrages Guimard, tous modèles confondus, ont pourtant été créés pour le métro parisien.
En examinant les 79 ouvrages Guimard disparus, on constate à regret que les créations les plus originales de l’architecte n’existent plus. Si aujourd’hui les entourages sont la généralité et les édicules l’exception, le Conseil municipal de Paris en 1899 avaient défini un programme inverse. Les édicules devaient couvrir la quasi-totalité des trémies d’accès alors que les entourages devaient rester l’exception. Par un revirement dans sa délibération du 16 novembre 1900, le conseil va imposer et concrétiser la généralisation des entourages sur la voie publique et proscrire les édicules.
Le Conseil municipal définit les dimensions et l’emplacement des bouches de métro sur la voie publique en avril 1899. Il impose également, sans en préciser l’aspect, les caractéristiques générales de ces entrées : trois gares, des édicules fermés et, exceptionnellement, une balustrade sur des emplacements ressentis comme esthétiquement sensibles.
Les comptes-rendus des débats se font l’écho d’amples discussions et controverses sur l’utilité ou non de protéger de la pluie le voyageur descendant dans le métro. Cette problématique qui nous paraît aujourd’hui si banale, plonge alors les conseillers municipaux dans un abîme de perplexité. Parallèlement, en 1898, Les clauses de la concession échue à la CMP lui imposent de définir et financer tous les aménagements extérieurs des stations. Elle doit donc choisir un architecte, proposer les plans au Conseil municipal pour validation, puis en assurer la construction à ses frais. Comme il se doit pour des réalisations aussi visibles, la CMP va se couvrir en organisant un concours, clos en août 1899. Nous savons qu’il y eut 21 projets. Le règlement du concours est très clair, la CMP devient propriétaire des projets primés mais ne s’engage pas à les réaliser. Elle imagine certainement que son architecte maison, Friesé, pourra s’en inspirer.
Sans doute influencé par une collusion de divers conseillers municipaux non identifiés et de membres de son administration, le Préfet de la Seine a déjà refusé fin décembre 1899 les propositions des architectes Friesé puis Formigé, présentées successivement par la CMP. Une note interne retrouvée récemment dans les archives précise que le directeur de la CMP est avisé par un haut fonctionnaire préfectoral que les projets de Guimard pouraient être agréés à la fois par la préfecture et par le Conseil Municipal.
Quinze jours plus tard, soit le 12 janvier 1900, Guimard est engagé par la CMP au vu de ses dessins. Le 7 février 1900, la Commission du métropolitain approuve les plans de Guimard, puis le 16 février, le préfet les agrée. Dans les archives de la CMP récemment exhumées, quelques zones d’ombre persistent encore à propos de cette « conjuration » où le nom de Président de la CMP, le banquier Adrien Bénard, n’apparaît pas. Sur le seul fait qu’il était amateur d’Art Nouveau, on avait en effet trop facilement écrit que Bénard avait imposé Hector Guimard. D’interprétations erronées en reprises successives, chacun avait enjolivé la légende et on avait fini par travestir l’origine du choix de l’architecte.
Pour réaliser les modèles des fontes, Guimard a engagé des frais dont il exige le remboursement, alors que la CMP lui déclare qu’ils sont inclus dans ses honoraires. Une contestation sur la propriété artistique oppose également les deux parties. Porté à son paroxysme pendant l’année 1902, le différent, uniquement d’ordre financier, se conclut par un règlement à l’amiable dans une convention signée le 1er mai 1903. Moyennant un dédommagement conséquent, Guimard abandonne ses droits de propriété artistique sur ses modèles.
Ces créations de l’architecte ne rencontrent plus aujourd’hui les critiques acerbes qu’elles essuyèrent à l’époque. Nous les apprécions pour leur inventivité, leur ligne unitaire et arborescente fusionnant le décor et la structure. Ce n’est cependant pas pour leur valeur artistique qu’elles furent approuvées par les autorités, mais plus certainement pour leur rationalisation. La standardisation permit de déployer un modèle à l’infini tout lui en permettant de s’adapter à chaque configuration d’accès. La CMP, soucieuse des dividendes versés à ses actionnaires, apprécia les économies ainsi réalisées.
Même si le style Art Nouveau fut longtemps ressenti comme désuet, il n’y eut jamais de véritable campagne organisée de dépose de ces ouvrages de Guimard. Aujourd’hui, sur les chemins de 66 stations du métro, les Parisiens peuvent croiser 3 édicules différents, 60 entourages aux étranges candélabres et 25 entourages à cartouches.
Exposition du 2 avril au 17 août 2014
Sous-titrée La Ville spectacle, l’exposition du Petit Palais tente — et réussit — de donner une vision complète des images fixes et mouvantes que renvoie la capitale parisienne au monde entier, au moment de l’Exposition Universelle de 1900 et pendant les quelques années qui la suivent. Comme il s’agit d’une vision globale de Paris, les œuvres présentées ne sont pas (ou peu) hiérarchisées mais présentées dans des sections à thèmes, repris en chapitres dans le catalogue : Paris, vitrine du monde (l’Exposition Universelle), Paris Art nouveau, Paris capitale des arts, Le mythe de la Parisienne, Paris la nuit, Paris en scène. La mise en scène de l’exposition est réussie, fluide, bien éclairée et propose de nombreux cartels explicatifs.
La salle à manger de l’Hôtel Guimard qu’expose par ailleurs le Petit Palais dans ses collections permanentes n’a pas été intégrée à l’exposition. C’est fort dommage car cela aurait pu être l’occasion de lui redonner une disposition plus conforme au plan ovalaire originel. Sans doute y a-t-il un réel problème de fragilité de ses éléments qui empêche son déplacement. C’est en tout cas la raison qui avait été invoquée en 1992 pour motiver le refus de son prêt à l’exposition Guimard du Musée d’Orsay.
Hector Guimard est tout de même présent dans les deux premières sections de l’exposition avec quelques objets qui donnent un bon aperçu de la diversité de ses talents. Nous profitons de ce compte-rendu pour donner quelques informations ou hypothèses supplémentaires et corriger quelques erreurs les concernant.
Le portique d’un entourage découvert à écussons du métro a été prêté par la RATP. Cette dernière a malheureusement négligé de prêter aussi une enseigne en lave émaillée du modèle correct pour ce type de portique (correspondant à une trémie de largeur standard de trois mètres). Il faut se contenter d’une plaque de tôle émaillée au seul recto avec un lettrage « METROPOLITAIN » qui était en fait destiné aux édicules B ou aux stations Tuileries et Concorde.
Le site de la RATP, qui rend compte de l’exposition Paris 1900, s’avance par ailleurs à écrire que le nombre d’accès Guimard construits était de 141. Depuis 2003, date de publication du premier des deux ouvrages consacrés à Guimard et au métro (d’ailleurs soutenus par la RATP), on sait que ce chiffre est de 167. Il serait souhaitable que le service de communication de la RATP actualise un jour ses sources.
Le tirage d’un cliché ancien de la station de métro Palais Royal par Etienne et Louis-Antonin Neurdein (collection Roger-Viollet) est daté 1900. Si cette station ouvre effectivement en juillet 1900 pour l’inauguration du métro pendant l’Exposition Universelle, seule la balustrade en fonte est alors en place. Son portique provisoire en bois ne sera remplacé par le portique Guimard qu’au cours de l’été 1901. De plus, les enseignes « METROPOLITAIN » en lave émaillée ne seront posées que pendant le second semestre de 1901. La photo exposée qui semble avoir été prise en été, ne saurait donc être antérieure à cette date.
Cette première vue est complétée dans le catalogue par un tirage photographique de l’entourage à écussons de la station Anvers, d’Albert Harlingue. Son cliché, daté 1909 dans la collection Roger-Viollet, montre le fond arrondi de l’entourage, pourvu de son porte-plan et de sa lanterne. Or ce modèle de porte-plan n’ayant été approuvé par le conseil municipal que le 31 décembre 1912 n’a été déployé qu’après cette date sur tous les entourages Guimard. Il est donc vraisemblable que cette photographie soit au plus tôt de 1913. Elle montre également des détails qui nous avaient échappés jusqu’ici, notamment la forme et la couleur des premières plaques en tôle émaillée portant le nom des stations (cf. l’actualisation de l’article sur les “cornichons” dans la rubrique Ceci n’est pas un Guimard).
Le commentaire du catalogue à propos du métro de Guimard est un progrès partiel par rapport à ce que l’on peut habituellement trouver à ce sujet. Si l’on échappe à l’habituelle fable du choix de Guimard par le banquier Adrien Bénard (Président de la CMP pour lequel Alexandre Charpentier conçoit une salle à manger Art nouveau vers 1900), on apprend avec surprise que Guimard a été primé en 1900 pour le Castel Béranger (en réalité en 1899) ; que les entrées sont « agrémentées de réverbères » (en réalité de candélabres) ; que les accès Guimard sont controversés dès l’origine (ils sont en fait bien accueillis au début) et que « la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris, qui ne voulait pas déplaire aux Parisiens met fin dès 1904 à sa collaboration avec Guimard ». Comme on le sait depuis fort longtemps, l’arrêt de cette collaboration a eu lieu en 1903 et essentiellement à la suite d’un conflit financier. Enfin, la protection définitive des « rares entrées construites Guimard qui ont échappé à la destruction » (il en reste en fait alors encore près d’une centaine) ne se fait pas en 1965 (date à laquelle un arrêté n’en inscrit que sept à l’Inventaire Supplémentaires de Monuments Historiques) mais bien plus tard, en 1978.
Un album Le Castel Béranger et sa planche de titre dédicacée : « À monsieur Paul Signac / hommage sympathique de l’auteur / Hector Guimard ».
Cet exemplaire, présenté en 1992 à l’exposition Guimard du musée d’Orsay, appartient aux collections de ce musée grâce à un don de Mme Françoise Cachin — qui en fut directrice de 1986 à 1994 —, petite fille de Paul Signac. Le peintre pointilliste a en effet habité le Castel Béranger très tôt, probablement vers la fin de 1897, occupant un appartement et un des ateliers d’artiste situés au dernier niveau, voisin de l’atelier de l’architecte et décorateur Pierre Selmersheim (1869-1941).
Hector Guimard exploita publicitairement le succès de cet ensemble immobilier (14 rue La Fontaine, Paris XVIe) qui fut l’un des six ouvrages primés le 28 mars 1899 au premier concours de façades de la ville de Paris.
Dès le 4 avril 1899, dans les salons du journal Le Figaro, Guimard organise une exposition d’objets et de documents (dont ce fameux album) consacrée presque exclusivement au Castel Béranger sous-titrée : « Compositions dans un style nouveau – architecture, sculpture, décoration, ameublement et objets d’Art » et accompagnée de conférences de l’architecte.
Guimard songea à la publication de cet album bien avant l’achèvement des bâtiments et se réserva sa promotion et l’exclusivité de la diffusion des photographies. Il réussit même à convaincre la Ville de Paris d’acquérir huit exemplaires de l’album pour certaines bibliothèques et écoles municipales.
Un autre exemplaire prestigieux de l’album est conservé au musée Horta de Bruxelles et dédicacé par Hector Guimard : « À l’éminent Maître et ami / Victor Horta, hommage affectueux de son admirateur / Hector Guimard ».
Le Cercle Guimard procède actuellement à une étude approfondie de cet album du Castel Béranger qui recèle beaucoup plus de mystères qu’il ne semble au premier abord. Notre site Internet vous informera du résultat de cette étude.
Un vase des Binelles édité à Sèvres est prêté par la Cité de la céramique de Sèvres-Limoges. Comme chacun de ces deux musées qui ont fusionné en 2010 possède un exemplaire du vase des Binelles, il convient de se pencher sur les détails des cristallisations pour reconnaître qu’il s’agit de l’exemplaire de Sèvres, daté 1903, alors que l’exemplaire du musée Adrien Dubouché de Limoges a été livré en 1905.
Comme l’établit Georges Vigne, on est presque certain que Guimard présente un exemplaire du vase des Binelles à l’Exposition Universelle de 1900, classe 66, sur un stand intitulé « salle de billard (Frag.) ». La photographie qui en est connue est centrée sur un modèle de cheminée (celui de l’agence Guimard ou de la salle à manger du Castel Henriette) en fonte bronzée. On peut voir, sur le coté gauche de cette photo dont nous reproduisons un détail, le vase des Binelles ou plutôt un modèle très proche de celui qui sera édité à Sèvres. Les quelques différences visibles sont entourées en rouge.
Ce modèle présenté en 1900 serait donc antérieur d’au moins trois ans à la commande passée par Sèvres à Guimard le 26 décembre 1902 et pour laquelle il sera payé 1200 F-or. Georges Vigne signale qu’outre les deux tirages conservés aux musées de Sèvres et de Limoges, trois autres tirages sortiront des ateliers de la manufacture de Sèvres (un en 1907 et deux en 1911). Il faut sans doute y ajouter les deux exemplaires de la collection Manoukian, datés 1903 (vendus en 1993 pour 350 000 et 380 000 F). Ces derniers n’ont pas toujours appartenu à ce grand collectionneur puisqu’ils proviennent sans doute de la succession organisée dans les années 50 et 60 suite au décès de deux célèbres pionniers du cinématographe français…
Ces deux exemplaires sont aujourd’hui visibles dans des collections publiques mais il faudra se rendre aux Etats-Unis pour les admirer. L’un se trouve au musée des Beaux-Arts de Cleveland depuis une vingtaine d’années tandis que l’autre est entré récemment dans les collections du Metropolitan Museum de New-York.
Logiquement, on a toujours pensé que la dénomination du vase faisait référence au Castel Henriette, construit par Guimard de 1899 à 1903 à Sèvres, rue des Binelles. Cependant, une hypothèse complémentaire est envisageable. En effet, autour de 1900, il existe un petit atelier de céramique rue des Binelles, tenu par Amalric Walter qui, quelques années plus tard, sera engagé par Daum à Nancy pour développer la technique de la pâte de verre (d’après François Le Tacon et Jean Hurstel, Amalric Walter, maître de la pâte de verre, éditions Serpenoise, 2013).
Un exemplaire du papier peint édité par Le Mardelé provient des collections de la bibliothèque Forney. Il est daté « vers 1900 » bien qu’il s’agisse d’un modèle créé pour le Castel Béranger (avant 1898). Il ne subsiste plus aujourd’hui aucun pan de papier peint original au sein de ses appartements. Seuls la bibliothèque Forney et le musée Cooper-Hewit de New-York possèdent encore des fragments de lés anciens de papiers peints de Guimard dont certains modèles ont pu être utilisés au Castel Béranger. À chaque type de pièces présentes dans chacun des appartements (antichambre, chambre, salle à manger et salon) Guimard attribue un motif de papier. Celui qui est exposé au Petit Palais est dévolu aux chambres.
Mais s’agit-il réellement du modèle posé au Castel Béranger ? La seule source d’information que nous ayons des couleurs des revêtements effectivement posés est celle de l’album du Castel Béranger (1898). Mais ses planches ne sont pas des traductions de la réalité puisqu’il s’agit d’impression par héliogravure de photographies aquarellées dont la sélection des couleurs dépendait donc de l’imprimeur et de Guimard. On sait qu’en de multiples occasions, ce dernier ne s’est pas privé d’apporter aux planches de cet album des modifications et des améliorations de la réalité. Les planches 41 et 42 qui reproduisent ce papier peint destiné aux chambres montrent deux jeux de couleurs, différentes de celles du morceau de lé de la bibliothèque Forney.
Mais dans les deux cas le petit motif circulaire — qui sert de logo à notre association — est bleu alors qu’il apparaît rouge pastel sur le papier peint de la bibliothèque Forney. On se trouve confronté à des constatations similaires pour les autres modèles de papiers peints destinés aux différentes pièces des appartements. Nous développerons plus complètement ce sujet dans l’étude qui sera consacrée à l’album du Castel Béranger.
Cette étude pour la couverture de la Revue d’Art n’est pas la version définitive retenue pour illustrer ce nouvel hebdomadaire artistique regroupant la Revue des Beaux-Arts, le Moniteur des Arts et la Revue Populaire des Beaux-Arts. Pas moins de neuf dessins relatifs à ce projet figurent dans le fonds Guimard à Orsay. Ils témoignent des hésitations de l’architecte dans la recherche d’un motif particulièrement abstrait et tourmenté qui rappelle les choix décoratifs adoptés par Guimard à la fin du XIXe siècle. Cette impression est renforcée par les annotations manuscrites figurant en bas à gauche de l’œuvre « C’est un ornement nouveau mais je veux (vais ?) être plus dans le sentiment »…
La version choisie pour l’exposition réalisée à l’encre de chine est assez proche du dessin définitif rehaussé à l’aquarelle, lui-même quasi identique à la couverture de la Revue d’Art. Notons simplement que l’éditeur ne retiendra pas les couleurs proposées par Guimard et préfèrera s’en tenir à une version monochrome peut-être plus économique mais laissant une impression d’inachevé.
Cette publication hebdomadaire paraissant le samedi connaît une carrière éphémère puisque seuls onze numéros sont édités à partir du 4 novembre 1899. Le premier propose notamment un très bel article sur les meubles modernes signé par Frantz Jourdain et agrémenté de photos inédites dans lequel le travail de Guimard occupe une place centrale. À partir du n° 8, c’est un dessin peu inspiré de Robert Kastor que l’on retrouve en couverture. Ce changement ne lui portera pas chance puisque la Revue d’Art cessera sa publication avec le n° 11 du 13 janvier 1900.
Le modèle original du balcon de croisée GA prêté par le Musée d’Orsay est devenu un « motif de grand balcon » que l’auteur de la notice croit être « le modèle original d’un balcon qui a été réalisé pour l’Hôtel Mezzara, 60 rue La Fontaine ». Les modèles de fontes d’ornement de Guimard n’était pourtant pas destinées à un bâtiment précis mais mis à la disposition des architectes et des entrepreneurs par l’intermédiaire d’un catalogue édité à partir de 1909 (et non 1907) par la fonderie de Saint-Dizier. Le balcon de croisée GA n’a d’ailleurs jamais été utilisé par Guimard et nous pensions même qu’aucun architecte ne s’en était servi avant qu’il ne soit identifié sur plusieurs maisons d’une même rue à Enghien et que l’un d’entre nous ne retrouve un immeuble à Vincennes (d’architecte inconnu et non daté) qui en est entièrement équipé.
Quant à l’Hôtel Mezzara (1910-1911), c’est un grand balcon GA droit qu’il reçoit au balcon du premier étage de la façade sur rue.
Nous recommandons fortement de visiter cette très belle exposition, qui propose une quantité extraordinaire d’images et d’objets dont certains sont rarement vus. Mais ce n’est pas là qu’il faudra chercher à s’informer sur l’Art nouveau ni sur Guimard car, au vu des notices, une petite mise à niveau des connaissances ne serait pas inutile.
Frédéric Descouturelle, Olivier Pons et Dominique Magdelaine