La collection « pour les nuls » a certes des côtés urticants, mais il faut reconnaître qu’elle sait attirer les « bons » auteurs. Ces nouveaux Que sais-je ?, beaucoup moins académiques et plus ludiques que leurs ancêtres, couvrent un champ de connaissances toujours plus vaste et si l’on accepte l’absence d’illustrations et l’utilisation des recettes d’« éditing » chères à l’édition contemporaine, on peut se sentir tout à la fois attiré par leur prix modique et saisi de respect par leur considérable tirage. La parution de ce volume consacré à l’histoire du métro de Paris, dont l’auteur principal est notre ami et adhérent André Mignard, nous donne l’occasion de faire un tour d’horizon des publications sur ce sujet dont l’intérêt, au vu du nombre d’ouvrages qu’il a suscité, reste vif. Et plutôt que de le décrire dans le détail, nous préférerons dans cet article en rendre compte sous l’angle de la participation de Guimard au métro parisien.
L’histoire et la description du métro parisien ne sont donc pas des nouveautés puisque dès 1901, soit un an à peine après l’ouverture de la première ligne, Albin Dumas publie Le Chemin de fer métropolitain de Paris. Il est suivi de près par Jules Hervieu qui écrit Le Chemin de fer métropolitain municipal de Paris en 1903 et 1908 et par Louis Biette avec Le Métropolitain de Paris en 1906. Bien plus tard, Roger-Henri Guerrand, adoptant un point de vue sociologique, écrira Mémoires du métro, publié en 1961 aux éditions La Table ronde, ouvrage qu’il réécrira et rééditera plusieurs fois. Plus technique, Notre métro de Jean Robert, publié en 1968 aux éditions Omnes & Cie, restera longtemps un ouvrage de référence et sera réédité aux éditions Jean Robert en 1983. Il faut attendre les plus récents Fulgence Bienvenüe et la construction du métropolitain de Paris de Claude Berton et Alexandre Ossadzow aux Presses des Ponts en 1998, De Bienvenüe à Météor, un siècle de métro en 14 lignes, de Jean Tricoire aux éditions de La Vie du rail en 1999, Le Métro de Paris de Julian Pepinster chez le même éditeur en 2010 et La Grande Histoire du métro parisien de Clive Lamming aux éditions Atlas en 2011, pour bénéficier d’ouvrages généralistes complets et actualisés sur le sujet. [1]
L’intervention de Guimard — qui nous intéresse plus ici — est diversement traitée au fil des décennies. Si en 1901, Dumas dévoile déjà un certain nombre d’illustrations des ouvrages Guimard en cours d’installation, il ne les commente pas, laissant ce soin à la presse spécialisée. Dans les années soixante, le livre de Roger-Henri Guerrand et ses avatars se situent en pleine redécouverte enthousiaste de l’Art nouveau dont Guerrand sera l’un des protagonistes. Plus polémistes que scientifiques, ses textes vont certes mettre en lumière le nom de Guimard, mais être aussi à l’origine d’un certain nombre de légendes ou d’affirmations abusives que nous continuons à voir resurgir de temps à autres. Elles sont par exemple reprises dans La Grande Histoire du métro parisien de Clive Lamming en 2011, mais aussi de façon plus surprenante sur les cartels de la salle Guimard du Musée des beaux-arts de Lyon. Les études universitaires, les catalogues d’expositions muséales et les livres consacrés à Guimard en reprendront aussi un certain nombre, avant que la tendance ne s’inverse avec la parution du Métropolitain de Guimard aux éditions Somogy en 2004 puis de Guimard, l’Art nouveau du Métro aux éditions de La Vie du rail en 2012, écrits en collaboration avec André Mignard, deux ouvrages qui ont donné un socle cohérent à l’histoire et à la signification de l’œuvre de Guimard pour le métro.
Depuis longtemps, plus aucun auteur, de crainte de passer pour un béotien, ne se risquerait à critiquer ouvertement les créations de Guimard. Que l’on se sente ou non attiré par son style, l’approbation est devenue générale. Mais la compréhension n’est pas pour autant toujours au rendez-vous. C’est l’impression que laisse l’ouvrage Paris Métro, histoire et design de Sibyl Canac et Bruno Cabanis aux éditions Massin en 2014, où les inexactitudes, les imprécisions et les contresens fourmillent. Tout aussi irritant est l’emploi récurrent des termes « libellules », « pagodes chinoises » et autres « brins de muguet » pour décrire les accès de métro de Guimard. Ces formules toutes faites, raccourcis culturels suggestifs, parfois poétiques ou parfois malveillants, ont fait mouche à une époque. Mais elles devraient être définitivement signalées comme des trouvailles spirituelles et non être utilisées comme des outils de description en raison de leur pouvoir par trop réducteur.
Si L’histoire du métro parisien pour les nuls est bien un ouvrage généraliste sur le métro, il consacre plusieurs passages aux accès créés par Guimard sans jamais tomber dans les travers signalés plus haut. En reprenant partiellement des passages du Guimard, l’Art nouveau du Métro, le texte ne s’écarte pas du sillon tracé. Au contraire — et c’est là son intérêt véritable — il le renforce en explicitant finement les mécanismes de décision et de fonctionnement au sein des administrations municipales et préfectorales. André Mignard qui avait pu accéder pleinement aux archives de la RATP, a consacré de nombreuses heures de recherches en bibliothèque pour étudier les délibérations de la Commission municipale du métropolitain. Ce sont ces actes qui donnent les clés de la démarche de la municipalité parisienne, bien décidée à construire et à financer par elle-même son propre métro, au service de ses administrés (et parfois au détriment des banlieusards et des provinciaux). Loin de négliger, comme il est souvent fait, l’aspect financier de l’opération, l’auteur détaille avec précision les montages financiers du début, ainsi que les subtilités des différentes conventions passées entre la Ville et ses concessionnaires (CMP, Nord-Sud, puis RATP). Grâce à cette démarche rigoureuse, il confirme au passage plusieurs faits concernant Guimard et le métro que nous rappelons ici pour la forme :
Au fil des nombreux chapitres, eux-mêmes entrelardés d’encadrés précisant un point particulier ou même une anecdote, de nouvelles informations se font jour. On apprend par exemple que si la convention passée avec la compagnie du Nord-Sud fin 1904 prévoit de façon expresse la mise en place d’ascenseurs, c’est certainement parce que la CMP n’avait pas eu dans sa convention de 1898 l’obligation stricte d’en équiper certaines stations. C’est ainsi que le pavillon des voyageurs de la station Étoile, pourtant conçu pour recevoir de tels ascenseurs n’en comportera jamais, la CMP se refusant constamment à en faire la dépense. Ce pavillon de Guimard, ainsi privé de véritable fonction, prêtera d’autant plus facilement le flanc aux critiques de ceux qui veulent l’abattre dès 1904. Il sera finalement détruit en 1926.
Nous recommandons donc vivement la lecture de cet excellent petit ouvrage et nous espérons que sa forte diffusion contribuera à ancrer les informations exactes qu’il contient dans l’esprit du grand public et des médias.
F. D.
[1] Mentionnons aussi l’existence de plusieurs petits ou gros ouvrages plus anecdotiques ou plus spécialisés comme le catalogue de l’exposition Métro-Cité, écrit en collaboration aux éditions Paris-Musées en 1997, Le Patrimoine de la RATP, écrit en collaboration aux éditions Flohic en 1998 ; Le Métro de Paris, 1899-1911 : images de la construction aux éditions Paris-Musées en 1999 ; Paris Métro-Rétro de Gérard Roland aux éditions Bonneton en 2001, Métro insolite de Clive Lamming aux éditions Parigramme en 2002 ; une première compilation de cartes postales anciennes Le Métro de Paris, les premières lignes de Jean-Pierre Rigouard aux éditions Alan Sutton en 2002, suivi de Le Métro de Paris, les lignes complémentaires du même auteur aux mêmes éditions en 2003 ; Stations de métro d’Abbesses à Wagram de Gérard Roland aux éditions Bonneton en 2003 ; Petite histoire du ticket de métro parisien par Grégoire Thonnat aux éditions Télémaque en 2010 ; Les Archives inédites de la RATP de François Siegel aux éditions Michel Lafont en 2011 ; L’Histoire du métro racontée par ses plans par Julian Pepinster et Mark Ovenden aux éditions de La Vie du rail en 2015. Cette liste copieuse est pourtant loin d’être complète.
En devenant adhérent, vous participez à nos rencontres... et soutenez nos activités !
Adhérer au Cercle Guimard