La bonne compréhension de cet article nécessite la lecture préalable des deux articles précédents. Le premier traite du faux entourage de métro vendu par Bonhams à New York en 2019 et le second des autres faux entourages en bronze connus aux Etats-Unis.
Rappelons que Guimard ne travaille pour la CMP[1] que de 1900 à 1902. À partir de 1903, la compagnie utilise ses modèles pour équiper des accès de différentes largeurs avec des entourages découverts à fond orthogonal ainsi que des accès secondaires dont les derniers sont mis en place en 1922. En tout, 167 ouvrages Guimard seront créés[2]. En 1908 on enregistre la première suppression d’un accès. Épisodiques dans les années vingt, les démontages d’accès Guimard se multiplient ensuite et leur nombre enregistre un premier pic dans les années 30. Après la coupure de la Seconde Guerre mondiale et la reprise de la CMP par la RATP en 1945, les suppressions reprennent lentement dans les années 50 pour monter en flèche dans les années 60. Un premier arrêté de protection à l’ISMH en 1965 ne concerne qu’un petit nombre d’accès et il faudra attendre 1978 pour qu’une protection totale leur soit enfin offerte. À cette date, 79 accès Guimard ont été démontés. Parmi les entourages découverts subsistants, bon nombre ont vu leur portique fragilisé être remplacé par un candélabre Dervaux. En l’absence de pièces en stock issues de la récupération sur les ouvrages Guimard démontés depuis des décennies, l’entretien des accès subsistants nécessite dès 1976 la commande de nouvelles pièces réalisées par surmoulage à la fonderie GHM. Ce procédé induit un léger rétrécissement de ces copies en raison du retrait du métal lors du refroidissement qui suit la coulée. À partir de 1983, des fontes de nouvelle génération sont produites aux dimensions exactes grâce à la création de nouveaux modèles en aluminium moulé. C’est finalement en 2000 que la RATP réalise une campagne de restauration complète des accès Guimard, leur redonnant l’aspect qu’ils présentent aujourd’hui.
État de l’entourage de la station Europe avant les restaurations de l’an 2000. Le portique a été abattu et remplacé par un candélabre Dervaux à gauche. Photo RATP. Droits réservés.
État de l’entourage de la station Europe après les restaurations de l’an 2000. Le portique a été rétabli au moyen d’une copie fournie par la fonderie GHM et d’une nouvelle enseigne en lave émaillée fournie par la société Pyrolave. Photo auteur.
Les caractéristiques communes des faux entourages en bronze
Toutes les copies d’entourages en bronze dont il a été question dans nos deux articles précédents (nous en excluons celui de la National Gallery of Art de Washington) présentent de fortes similitudes entre elles. Ces entourages ne comprennent jamais de pierre de socle d’origine. Il s’agit toujours d’entourages découverts à fond orthogonal et jamais de fond arrondi[3]. Si le nombre de modules en longueur est variable et parfois incomplet, le nombre de modules en largeur est toujours de trois — configuration la plus courante sur le réseau parisien — ce qui correspond à une trémie d’environ trois mètres et permet de déterminer une largeur de porte-enseigne. La partie supérieure du porte-enseigne de ces entourages a une forme légèrement arrondie sur laquelle nous reviendrons plus loin mais qui détermine une augmentation de la hauteur de l’enseigne. Ces entourages ne comportent d’ailleurs jamais d’enseigne d’origine (qu’elle soit en lave émaillée ou en tôle rouge à lettres pochoir) ce que l’on serait en droit d’attendre du démontage d’un entourage ancien. Dans deux cas l’enseigne est en tôle peinte avec un lettrage discordant (tôle rouge avec lettrage blanc type édicule grand M pour Toledo ; tôle jaune avec lettrage vert entourage grand M comprimé pour la vente Phillips à New York). Pour l’entourage de Houston il s’agit de deux plaques d’un alliage de cuivre, peintes et rivetées sur un pourtour en fer avec un lettrage entourage grand M correct mais approximatif. Dans le cas de la vente Bonhams l’enseigne est tout simplement manquante.
Les photos détaillées fournies par la maison de vente Bonhams nous ont montré l’aspect initial de la mise en peinture de ces faux entourages.
Détail du pilier et de l’arche droits de l’entourage de la vente Bonham à New York en 2019. Photo Bonhams.
Mais une étude plus précise est fournie par le rapport d’état de l’entourage de Houston rédigé par Steven L. Pine en 2002. Il mentionne une première couche d’accrochage couleur terre de Sienne brûlée posée sur le bronze, puis l’utilisation concomitante d’une peinture vert de chrome foncé et d’une peinture blanche pour les reliefs. Cette première mise en peinture est sans doute celle qui a prévalu pour la plupart des faux entourages en bronze puisque nous la retrouvons à peu de chose près sur le potelet d’angle de la vente Chayette & Cheval en 2019. Les faussaires n’ont pas poussé l’abnégation jusqu’à multiplier les repeints alors que les éléments anciens du métro de Paris ont subi au fil des ans de multiples mises en peinture avant leur restauration en 2000 où ils ont été décapés et repeints[4]. Pour les entourages de Toledo et Houston, exposés en extérieur, une nouvelle mise en peinture plus récente a été réalisée. Celui de Houston est recouvert par une peinture époxy verte rehaussée de blanc sur les reliefs.
Pourquoi le bronze ?
L’ingéniosité des faussaires a été d’utiliser le bronze, malgré le coût élevé de ce matériau[5], pour plusieurs raisons :
– une petite unité de production peut suffire pour couler du bronze, alors que couler de la fonte de fer nécessite un cubilot, ce qui n’est pas à la portée d’un artisan désirant agir discrètement.
– le bronze est beaucoup plus facile à retoucher que la fonte de fer.
– en présentant à leurs clients un entourage en bronze, les faussaires ont su les persuader qu’ils achetaient non seulement un authentique entourage de métro parisien mais que, de plus, ils avaient le privilège d’une version deluxe (comme on dit aux États-Unis pour parler de la version plus somptueuse d’un produit) éditée dans les premières années, alors que la CMP avait dû par la suite se contenter d’un matériau plus vulgaire (la fonte de fer) que l’on avait alors peint de la couleur du bronze oxydé.
Les origines possibles
Les origines possibles de modèles ayant pu servir à ces copies en bronze sont multiples car il y a bien longtemps que tout d’abord la CMP puis la RATP ont perdu la maîtrise complète des modèles de Guimard. De plus, les informations permettant de retracer l’histoire de la dissémination des éléments anciens sont très fragmentaires.
Les copies de décorateurs
Le travail de Guimard pour le métro de Paris a fasciné un grand nombre de décorateurs œuvrant dans divers domaines. Ils en ont donné des versions parfois fantaisistes mais parfois très fidèles. La plus ancienne de ces opérations de copie est certainement celle à laquelle le peintre Salvador Dalì s’est livré en 1973, avec l’esprit publicitaire dont il était coutumier, en jetant son dévolu sur le portique de l’entourage de la station Arsenal. Il désirait alors réaliser un décor pour son musée de Figueres[6] en Catalogne. Deux candélabres de portique ont effectivement été mis en place de part et d’autre d’une porte dans la cour du musée.
Pilier, étrier, casque et cimier d’entourage découvert au musée Dalì à Figueres. Photo Pierre Mullor.
Rappelons aussi l’existence d’une scénographie installée en 1988 au Musée de l’Aventure Peugeot à Sochaux. Elle comprend deux portiques complets qui sont sans doute authentiques (même si l’un d’entre eux a été raccourci) alors que les treize autres candélabres sont en résine. Il est donc avéré que des moules des portiques et des éléments de balustrade sont disponibles depuis quelques décennies dans le monde des décorateurs.
Portique probablement authentique d’un entourage Guimard au sein d’une scénographie comprenant des copies de candélabre en résine au Musée de l’Aventure Peugeot à Sochaux. Photo André Mignard.
Les vols de pièces sur les entourages des accès de métro
Ce moyen radical de se procurer un ou des éléments anciens a existé de façon certaine mais il nous est impossible de le quantifier. Il ne concerne pratiquement que les écussons et les cartouches qui sont rivetés sur les fers horizontaux des balustrades. En effet, le vol d’éléments scellés sur le socle comme les piliers et les potelets paraît autrement difficile.
Entourage découvert de la station Square Victoria à Montréal, constitué d’éléments anciens, offert par la RATP en 1966. Jusqu’aux transformations et restaurations effectuées en 2003, il manquait un écusson sur la balustrade, volé à une date indéterminée. Photo internet prise en 2001. Droits réservés.
Un coupable désintérêt
Même si le Museum of Modern Art de New York avait marqué son intérêt pour les accès de métro de Guimard dès 1957, jusque dans les années 60 une totale indifférence a prévalu à la CMP puis à la RATP vis-à-vis de ce qui était perçu comme dénué de valeur artistique et financière. En conséquence, la régie recyclait les pièces intactes et se débarrassait d’éléments Guimard cassés auprès de récupérateurs de métaux. Ces derniers qui n’avaient pas obligation de les détruire, ont très bien pu en revendre un certain nombre à des amateurs, même si ceux ci étaient alors en nombre très réduit. À partir des années 70 et plus particulièrement après l’arrêté d’inscription à l’ISMH de 1978, la RATP avait l’obligation de se conformer à la législation des Monument Historiques. Mais sous la pression de collectionneurs et de marchands d’art sans scrupules, des « fuites » se sont produites à tous les échelons.
Il a donc été possible pour un amateur, avec une certaine patience et à présent avec quelques moyens phynanciers, de reconstituer une balustrade d’entourage de métro Guimard composée d’éléments anciens.
Section de balustrade d’un entourage découvert, composée de pièces de provenances différentes, photographiée chez un receleur dans l’Oise.
Des entourages complets dans la nature
Si les éléments de balustrade pouvaient se trouver assez aisément, il a en revanche toujours été plus ardu de se procurer les éléments des portiques. Cependant la chose n’était pas impossible car certains entourages complets se sont retrouvés « dans la nature », c’est à dire en dehors des cessions officielles de la RATP faites à des institutions reconnues, à titre gracieux[7] ou onéreux[8]
Cela a été le cas du fameux entourage d’Hassi-Messaoud[9], qui aurait été confié en décembre 1960 par la RATP à la Compagnie Française des Pétroles (futur groupe Total) qui était alors vue comme une institution étatique. Selon les termes de la RATP, la CFP désirait recréer à son siège algérien une « ambiance parisienne ». Cet entourage semble s’être ensuite perdu dans les sables du Sahara, à moins qu’il n’ait été récupéré…
L’affaire Novak et la vente publique d’un entourage à Duclair
D’un imbroglio juridique qui s’est étalé sur plusieurs années, nous avons pu extraire quelques renseignements partiels sur un entourage de métro Guimard qui fera son apparition publique en 1994 avant de disparaître.
Dix ans plus tôt, un certain Milan Novak, domicilié à Paris dans le VIIIème arrondissement[10], s’est trouvé en possession d’un entourage de métro. Au cours des procédures qui suivront, il se prévaudra — sans en apporter la preuve — de l’avoir acheté en 1984 (ou 1985) à la RATP[11]. Un constat d’état[12] réalisé par un technicien de la RATP en octobre 1984 donnait cet entourage comme étant composé de 28 éléments (terme vague qui pouvait comprendre plusieurs pièces) et ne reconnaissait pour anciens que les piliers, le porte-enseigne et les potelets d’angle. Parmi les pièces qui n’étaient pas anciennes on trouvait des copies modernes par surmoulage en fonte (les potelets de milieu, les ensembles étrier-casque-cimier, les 13 écussons) et en bronze ou en laiton (les deux arches). Il n’était nulle part question des arceaux.
Novak avait ensuite obtenu en 1985 des douanes françaises une autorisation d’exportation temporaire pour vendre l’entourage aux États-Unis. Cette vente, pressentie par Sotheby’s New York pour août 1985, avec une estimation entre 225 000 et 275 000 $, ne s’est finalement pas réalisée. L’entourage est alors revenu en France (à moins qu’il n’en soit jamais parti) avant d’être conservé dans un entrepôt par la société André Chenue & fils[13] auquel Novak n’a payé ni les loyers ni les frais d’entreposage. Après mise en redressement judiciaire de Chenue & fils le 7 juin 1994 et succession par lui-même le 18 octobre 1994 en la SA André Chenue, cette dernière a vendu l’entourage aux enchères à Duclair (Seine Maritime) par l’entremise de l’étude du commissaire-priseur Séguinet le 4 décembre 1994 pour 310 000 F. La photo publiée dans la Gazette de l’Hôtel Drouot montrait qu’il comportait alors 13 modules et paraissait complet, à l’exception des verrines et du socle en pierre. Nous ne connaissons pas l’identité de son acheteur mais selon son mandataire, il se serait agit d’un collectionneur anglais.
Entourage découvert vendu à Duclair (76) le 4 décembre 1994. Gazette de l’hôtel Drouot. Droits réservés.
Cependant, cette vente avait été effectuée deux mois avant que Chenue n’obtienne le 15 février 1995 du tribunal de commerce de Paris l’autorisation d’y procéder. Elle sera donc contestée par Novak avec une procédure judiciaire uniquement motivée par un différent financier et qui ne se préoccupera jamais de l’origine de l’entourage ni de son authenticité.
Ce n’est qu’en 2002[14] qu’un jugement du Tribunal de commerce de Paris a nommé un expert qui a rendu ses conclusions le 30 avril 2003. Lors des réunions convoquées par l’expert, deux notes dactylographiées non datées et non signées ont été jointes au dossier. L’une est identique au document que nous avons reproduit dans notre second article et qui fait l’historique délirant des entrées de métro de Guimard. L’autre est un historique tout aussi fantaisiste des origines du métro parisien. Toutes deux ont pour vocation d’accréditer historiquement les prétendus entourages en bronze.
Depuis, nous ignorons ce qu’est devenu l’entourage vendu à Duclair. Il est tentant de l’assimiler à celui de la National Gallery de Washington, mais nous ne pouvons avoir de certitudes à ce sujet.
L’histoire curieuse de l’entourage de la station Bastille
Nous avons noté dans le second article la forme anormalement arrondie du porte-enseigne supérieur de la vente Bonhams à New York en juin 2019.
Porte-enseigne de l’entourage de métro vendu par Bonhams New York en juin 2019. Photo Bonhams.
Nous retrouvons cet arrondi anormal sur le porte-enseigne de l’entourage de la vente Phillips à New York en 2007 ainsi que sur celui de Houston.
Détail du porte-enseigne de l’entourage découvert de métro de Houston. Photo ArtCurial.
Et aussi sur celui de Toledo qui paraît même former un angle très obtus.
Porte-enseigne de l’entourage découvert de métro de Toledo. Photo Toledo museum of Art.
Cette forme inhabituelle pourrait, à notre avis, provenir du porte-enseigne supérieur qui se trouvait originellement sur l’entourage découvert installé en 1900 à la station Bastille, sur l’accès de la rue de Lyon.
Porte-enseigne de l’entourage découvert de métro de la station Bastille avant son démontage en 1985. Photo RATP. Droits réservés.
Cet accès a une histoire complexe puisqu’originellement, en 1900, il était prévu de construire un édicule à cet emplacement (cf. notre article sur les entourages à trémies étroites). En raison de l’étroitesse du trottoir, il ne comprend pas de balustrade du côté gauche et il s’agit même du seul accès à trémie légèrement étroite (inférieure à 3 m) conçu par Guimard. Pour adapter le porte-enseigne à cette dimension l’architecte a modifié le modelage de ses deux éléments en raccourcissant le porte-enseigne inférieur et en arrondissant le porte-enseigne supérieur.
Entourage découvert de la station Bastille avant son démontage. Photo RATP/René Minoli, 19 juillet 1984. Droits réservés.
Or cet accès de métro de la rue de Lyon se situait malencontreusement à l’emplacement qui a été ultérieurement utilisé pour la construction de l’Opéra Bastille. Son entourage a donc été démonté en 1985 et les autorités compétentes ont choisit son nouvel emplacement sur l’accès situé à l’angle du boulevard Beaumarchais et du boulevard Richard-Lenoir. Protégé par son inscription à l’ISMH, l’entourage aurait théoriquement dû être démonté, éventuellement complété d’une balustrade gauche et remonté sur son nouvel emplacement. Mais en réalité, quelques éléments n’ayant pu être démontés sans être endommagés, nous savons qu’au final le nouvel entourage mis en place a été entièrement constitué de copies et non d’éléments anciens. La largeur de sa trémie ayant été portée à 3 m, il a donc reçu un porte-enseigne habituel et non plus le porte-enseigne originel arrondi. Si nous connaissons le point de chute de l’enseigne en lave émaillée originel[15], nous soupçonnons son porte-enseigne d’avoir disparu et d’avoir servi à fabriquer les moules dont sont issus les porte-enseigne des entourages en bronze qui présentent tous cet arrondi anormal. Mais comme le porte-enseigne originel avait été conçu pour une trémie un peu plus étroite, les contrefacteurs ont dû l’allonger un peu, tout en conservant sa forme légèrement arrondie[16].
Un autre détail troublant fait de l’entourage de la station Bastille notre second meilleur candidat en tant que modèle pour les copies. On remarque sur la photo ci-dessous qu’en 1984 les extrémités des arches qui viennent normalement recouvrir des surfaces rondes et planes du porte-enseigne supérieur sont toutes deux brisées.
Porte-enseigne de l’entourage découvert de la station Bastille avant son démontage. Photo RATP/René Minoli, 19 juillet 1984. Droits réservés.
Or sur les faux entourages en bronze, les modelages de ces deux zones ne reproduisent pas les motifs d’origine mais sont au contraire malhabilement interprétées.
Porte-enseigne de l’entourage en bronze de Houston. Photo ArtCurial.
La comparaison avec le modelage de Guimard (ci-dessous) est sans appel. Il est donc possible que les arches de l’entourage originel de la station Bastille aient également servi à établir des moules pour les copies en bronze.
Porte-enseigne de l’entourage de la station Quatre-Septembre. Photo auteur.
Le problème des verrines manquantes
Attardons nous sur un fait surprenant que nous avons signalé dans l’article précédent : la présence pour l’entourage de Houston de deux verrines de signalisation en verre. Mais loin de plaider pour l’authenticité de l’entourage de Houston, la présence de ces verrines d’époque ne s’explique pas autrement que par leur « translation » depuis les réserves de la RATP.
Lors de la conception des entourages du métro, Guimard a fait exécuter ces verrines par la cristallerie de Pantin (Stumpf, Touvier, Viollet et Cie à l’époque) au prix de 30 F-or pièce. Elles ont équipé la totalité des entourages découverts Guimard présents sur le réseau parisien.
Verrine ancienne en verre provenant de l’entourage donné en 1966 au métro de Montréal (station Square Victoria), ré-offert à la RATP en 2003 après la restauration de l’entourage. Photo RATP/Jean-François Mauboussin. Droits réservés.
À une date que nous n’avons pas réussi à préciser, elles ont été remplacées par la RATP sur l’ensemble du réseau par des équivalents en matériau de synthèse, moins beaux mais plus légers et moins fragiles.
Verrine actuelle en résine de synthèse. Photo auteur.
Sur les 103 entourages découverts (à écussons avec portique) qui ont été produits entre 1900 et 1913, il y a eu un minimum de 206 verrines mises en place. Pendant sept décennies un certain nombre d’entre elles ont été recyclées pour la maintenance par la CMP puis par la RATP lors des démontages d’entourages. On imagine bien qu’un grand nombre de ces verrines ont été détruites pendant la longue période de défaveur de l’Art nouveau et du métro de Guimard mais il est tout de même gênant de savoir que la RATP qui en avait théoriquement la garde s’en est finalement trouvée complètement dépourvue jusqu’en 2003, date à laquelle la STP, compagnie de métro de Montréal lui en a redonné un exemplaire, provenant de l’entourage ancien offert à Montréal en 1966[17].
Les autres entourages en bronze (vente Philipps à New York, Toledo, vente Bonhams à New York) étaient pourvus de verrines en matériau de synthèse, article qui ne se trouve pas couramment dans le commerce et dont l’origine ne peut être que frauduleuse.
Extrémité d’un candélabre avec une verrine en matériau de synthèse et d’une arche de l’entourage découvert en bronze vendu à New York par Phillips Live Auctioneers le 24 mai 2007. Photo internet.
Une autre procédure judiciaire, cette fois du côté américain
Comme il fallait s’y attendre, les manœuvres de vente des faux entourages de métro en bronze aux États-Unis ne se sont pas faites sans heurts. Aussi avons nous eu connaissance d’une procédure judiciaire en appel qui s’est tenue en janvier 1997 à Bemidji, comté de Beltrami, dans le Minnesota. Elle opposait Arnold P. Mikulay en tant que demandeur et Dean P. Taylor en tant que défendeur, deux personnes dont les noms sont apparus dans notre premier article : Dean P. Taylor (Fresno, Californie) était l’auteur de l’inventaire des pièces d’un entourage (ultérieurement vendu par Bonhams New York en 2019) qu’il adressait à Joe Walters (Minneapolis, Minnesota) et Arnold P. Mikulay était l’acheteur en 1991 de ce même entourage pour lequel l’expert parisien Nicolaas Borsje rédigeait en anglais un certificat d’authenticité le 9 juillet 1993. Comme pour la procédure française évoquée plus haut, le débat du procès américain ne portait pas sur l’authenticité du bien vendu mais sur sa valeur. Cependant les arguments présentés par le défendeur Dean P. Taylor donnent accès à quelques détails intéressants qui complètent la vue qu’on peut avoir de la filière de vente entre la France et les États-Unis. Dans ce compte-rendu de procédure, Dean P. Taylor dit avoir été informé en 1968 par son correspondant français Nicolaas Borsje, qu’un entourage en bronze provenant du métro parisien se trouvait stocké dans une grange dans le Nord de la Californie. En 1985, Borsje aurait demandé à Taylor de l’accompagner à la grange en Californie pour découvrir que l’entourage démonté avait été en partie dérobé. Tous deux auraient alors remonté la piste du vol jusqu’à une fonderie située à Redding en Californie. Borsje devant rentrer à Paris aurait alors mandaté Taylor (moyennant « a nice commission ») pour retrouver les parties manquantes et réassembler l’entourage. Entre 1985 et 1987, Taylor aurait récupéré (ou refabriqué ?) les parties manquantes et aurait ensuite, en 1988 ou après, proposé à Arnold P. Mikulay « an avid collector of art nouveau » d’acheter l’entourage, affaire finalement conclue pour 195 680 $. De son côté, Mikulay assurait que ce n’était qu’en 1993 qu’il avait entendu de la bouche de Borsje l’histoire du vol et de la reconstitution de l’entourage. De ce fait, il en déduisait que la valeur de l’entourage était d’au moins 100 000 $ inférieure à ce qu’il avait déjà payé et qu’il se refusait dès lors à effectuer son dernier versement de 36 760 $. Un premier jugement à Hennepin, Minnesota en janvier 1996 avait été rendu en faveur de Taylor, entraînant une demande de procès en appel de la part de Mikulay qui devait déboucher sur la décision suivante : Taylor gardait ce qu’il avait déjà perçu, Mikulay conservait l’entourage et ne payait pas le reliquat de 36 760 $. Nos lecteurs pourront avoir accès au compte-rendu de cette procédure à l’adresse suivante : https://mn.gov/law-library-stat/archive/ctapun/9701/1094.htm
Des informations apportées par cette procédure, il faut, à notre avis, retenir que Taylor aux USA et Borsje à Paris ont bien été à la manœuvre pour la vente initiale en 1991 de l’entourage ultérieurement vendu par Bonhams New York en 2019. Nous savons également que Taylor a été partie prenante dans la vente initiale de l’entourage qui est actuellement à Toledo. De l’histoire filandreuse du stockage — prétendument depuis 1968 — d’un entourage en bronze dans une grange californienne suivi du vol de certains de ses éléments, nous retenons la notion d’une fonderie à Redding en Californie où les opérations de fonte des éléments en bronze pourraient bien avoir été effectuées.
En conclusion
La concentration de ces faux entourages aux États-Unis nous amène à penser qu’ils proviennent des ramifications d’une même filière organisée entre la France et les États-Unis qui a probablement bénéficié de complicités auprès de certains personnels de la RATP ou d’ailleurs. Cette filière est parvenue à vendre un petit nombre d’entourages à des prix très variables mais généralement très élevés.
Il est bien certain que ce commerce des entourages complets appartient maintenant au passé. Une partie de ses protagonistes, acheteurs comme vendeurs, peuplent probablement à présent les cimetières ou les EPHAD. Il nous est pour le moment difficile de préciser à quel moment ont eu lieu les coulées des pièces en bronze car celles-ci se sont peut être étalées sur plusieurs années, mais nous pensons qu’elles se situent autour de 1984, (date de l’apparition de l’entourage de Novak) et de 1985 (date du démontage de l’entourage de la station Bastille). La plus ancienne date de vente d’un entourage (par Dean P. Taylor et Nicolaas Borsje) à un particulier américain (Arnold P. Mikulay) que nous ayons rencontrée est 1991, retrouvée dans les papiers joints à la vente Bonhams à New York. Nous formulons l’hypothèse qu’elle fait sans doute partie d’une première « fournée » vendue avec l’argumentaire développé dans le texte fantaisiste que nous avons retrouvé à la fois dans la vente Bonhams et dans la procédure Novak/Chenue en rapport avec la vente de Duclair.
Les ventes ultérieures de 1998 pour Toledo et de 1999 pour Houston pourraient provenir d’un même vendeur puisqu’on retrouve dans les deux cas le nom de M. David Allan. Son texte ne fait plus alors référence à leur nature en bronze mais tente de leur inventer une origine commune à la station Montparnasse. Peut-être s’agit-il déjà de reventes, peut-être même sans connaissance réelle de l’origine frauduleuse de l’objet. Le fait de s’adresser à un musée reconnu (celui de Toledo) faisait en effet montre d’une certaine inconscience tant le risque était important qu’un conservateur prudent ne s’informe auprès de ses collègues parisiens, plus au fait de l’œuvre de Guimard et ne donne l’alerte. Il était plus sûr de ne s’adresser lors des premières ventes qu’à de riches amateurs, facilement rassurés par des certificats d’authenticité rédigés à Paris.
Le nombre d’entourages entièrement en bronze à avoir été repérés est pour l’instant assez réduit — quatre — mais nous ne désespérons pas d’en voir apparaître d’autres. Le fait que l’entourage de la National Gallery of Art de Washington comporte quelques éléments en bronze montre que cette filière était capable de fournir à la demande les éléments nécessaires pour compléter un entourage qui pouvait avoir été constitué à partir de pièces disparates — anciennes ou modernes — provenant de Paris. La présence sur chacun de ces entourages de verrines de signalisation en plastique (et même de deux en verre pour celui de Houston) est également en faveur de « coopérations » au sein de la régie.
Ce fructueux négoce n’a pu s’épanouir qu’à une époque de relative méconnaissance du sujet et de faible diffusion de l’information (comparée à celle dont nous sommes à présent accablés, tant en volume qu’en qualité). Ce n’est que tardivement et progressivement que le pot aux roses a été découvert, quand certains de ces entourages se sont revendus une fois leurs propriétaires décédés, divorcés ou lassés. La première vente aux enchères Phillips à New York en 2007 n’a pas suscité de doute quant à l’authenticité de l’entourage. C’est seulement quelques années plus tard que nous avons commencé à prendre conscience du phénomène, lors de la visite en France de la nouvelle et sympathique conservatrice du musée des Beaux-Arts de Toledo en 2011. Ensuite, le refus de la vente en France de l’entourage de Houston en 2017 par la maison de vente ArtCurial aurait dû marquer un tournant pour le marché de l’art si elle n’était restée discrète. Le « flop » de la vente Bonhams à New York, maintenu en juillet 2019, a remis ces entourages à leur juste valeur, celle d’un joli décor, plus apte à enjoliver un casino de Las Vegas qu’à édifier les visiteurs d’un musée.
Balustrade de l’entourage en bronze de la vente Bonhams à New York en 2019. Photo Bonhams.
Mais la vente d’un potelet d’angle en bronze isolé à Drouot en décembre 2019 montre que ces copies peuvent maintenant se présenter aussi « au détail » et non plus sous la forme d’entourages complets. Le fait que ce potelet porte des traces de scellement indique en effet qu’il a sans doute fait partie d’un ensemble plus vaste dont les autres éléments ne manqueront pas d’apparaître un jour. Il sera donc désormais prudent de se munir d’un aimant avant tout achat d’un élément du métro de Guimard.
Des copies à la demande
Une nouvelle forme plus légale[18] de commerce d’éléments de métro de Guimard vient même de voir le jour. Il est à présent possible de se procurer des sections de balustrade présentées comme étant des copies et non comme des originaux. Elles sont vendues à la demande, en tirage aluminium ou bronze, sans dissimulation du métal par une peinture patinée. En aucune manière, nous ne voulons insinuer que ces sections de balustrade proviennent des mêmes moules que les faux entourages en bronze des années 80 et 90. Mais le pays dans lequel elles sont vendues est encore une fois les États-Unis…
Copie en aluminium d’une section de balustrade d’entourage découvert. En vente aux États-Unis sur le site www.chairish.com pour 5000 $ (plus frais d’envoi).
Copie en bronze d’une section de balustrade d’entourage découvert. En vente aux États-Unis sur le site www.chairish.com (prix sur demande).
Addenda du 7 juin 2020 :
Une section de balustrade en bronze du même genre que celles présentées ci-dessus (quoique l’illustration montre des pièces de la couleur de l’aluminium) était proposée sur eBay en juin 2020 par un vendeur américain de Huntington Beach (encore une fois en Californie…) pour 7036 $, offre répercutée par Canonbury Antiques en Angleterre au prix de 7220 $.
Frédéric Descouturelle
avec l’aide d’André Mignard, responsable de la Mission Historique Guimard de la RATP.
[1] La Compagnie du Métropolitain de Paris est la première concessionnaire de l’exploitation du métro de Paris et l’ancêtre de la RATP.
[2] Le 167ème ouvrage est une copie d’édicule B à claire-voie créé en 2000 sur la place Sainte-Opportune pour commémorer le centenaire du métro de Paris.
[3] Rappelons que pour une partie des accès de la ligne 1 et pour la totalité des accès des portions souterraines de la ligne 2, les entourages sont à fond arrondi, un type de fond qui ne semble pas avoir été copié.
[4] La mise en peinture s’est fait selon deux protocoles en fonction du type de l’environnement urbain (vert chaud pour un contexte végétal et vert froid pour un contexte minéral).
[5] Le prix de la tonne de bronze sur le marché des métaux est actuellement de 6322 € (alors que la tonne de fonte vaut entre 150 € et 250 €). Le poids de bronze du potelet d’angle de la vente Chayette & Cheval (78 kg) a donc une valeur d’environ 490 € (valeur théorique car les récupérateurs de métaux n’offrent qu’environ 3 € du kilo).
[6] Nous reviendrons prochainement sur cet épisode que nous avons brièvement présenté à l’Assemblée Générale du Cercle Guimard en 2019, avec notamment des photographies de Salvador Dalì à l’œuvre.
[7] Des entourages complets avec portique ont été cédés au Museum of Modern Art (MoMA) de New York en 1957-1958, au Staatliches Museum für Angewandte Kunst de Munich en 1960, au Musée d’Art Moderne de Paris en 1961, au métro de Montréal en 1966.
[8] L’entourage complet avec portique de la station Alma (actuellement George V) a été vendu par la RATP à la ville de Nogent-sur-Marne en 1974. De plus, il se disait à la RATP qu’en 1931 le vicomte Charles de Noailles avait acheté pour 650 F l’un des quatre entourages étroits démontés à la station Richelieu-Drouot cette année là.
[9] Cet entourage d’Hassi Messaoud est évoqué dans un document interne de la RATP non daté mais diffusé vers 1960, ainsi que dans un article de presse paru en février 1961, puis dans une lettre officielle de la RATP datée du 7 mai 1975. Son existence est donc probable mais nous n’en connaissons aucune photographie.
[10] Sa société existe toujours mais nous n’avons pas pu entrer en contact avec elle.
[11] C’est l’existence de cette hypothétique vente qui incitera la RATP à ne pas s’opposer à la vente Phillips à New York en 2007, de crainte qu’il ne s’agisse du même entourage (cf. notre second article). En fait, l’entourage de la vente Phillips se révèlera être une copie en bronze.
[12] Les expertises et constats d’état qui seront menées au long de cette affaire sont entachés d’erreurs et d’affirmations fantaisistes dues au manque de notions solides sur les accès de métro de Guimard. Ces notions ne seront apportées qu’en 2000 avec la Mission Historique Guimard conduite à la RATP et la publication en 2003 du livre Le Métropolitain d’Hector Guimard.
[13] La société Chenue, alors domiciliée 5 boulevard Ney à Paris, spécialisée dans l’emballage, le transport et le stockage des œuvres d’art, remonte au XVIIIe siècle.
[14] Jugement du 14/05 2002, TC de PARIS, 17ème chambre, affaire NOVAK/SA CHENUE.
[15] Bien reconnaissable car rognée à ses deux extrémités, l’enseigne en lave émaillée de l’entourage de la station Bastille (signée au recto) s’est bizarrement retrouvée sur l’accès de la station Ternes.
[16] Notons tout de même que la forme presque angulaire du porte-enseigne de Toledo relève peut-être d’une manœuvre différente mais qu’elle ne correspond de toute façon à aucune pièce ancienne du métro de Paris.
[17] Ce don venait remercier la RATP pour sa contribution à la restauration de son entourage de la station Square Victoria de Montréal. La seconde verrine a été déposée au Musée des Beaux-Arts de Montréal en 2003.
[18] Les droits patrimoniaux des œuvres de Guimard sont tombés dans le domaine public en 2012.
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