L’entourage découvert de métro en bronze vendu en 2019 par Bonhams à New York était en réalité le quatrième faux entourage de cette nature dont nous avons été informé et qui tous sont présents sur le territoire américain. Nous les présentons ci-dessous dans l’ordre dans lequel ils sont venus à notre connaissance mais qui n’est pas l’ordre chronologique dans lequel ils ont été fabriqués et vendus.
Vente Phillips à New York
La première copie en bronze est un entourage découvert incomplet comprenant un portique et seulement neuf modules. Il a été vendu le 24 mai 2007 par la maison de vente Phillips à New York sur Liveauctioneers. Estimé de 450 000 à 550 000 $, il a été adjugé 340 000 $[1]. À cette époque nous ignorions que ses pièces modelées étaient en bronze.
Entourage découvert comprenant neuf modules vendu à New York par Phillips Live Auctioneers le 24 mai 2007. Photo internet. Droits réservés.
Nous pensions l’avoir perdu de vue quand nous est récemment parvenue la photo ci-dessous, prise au Driehaus Museum à Chicago.
Éléments d’un entourage découvert comprenant neuf modules présenté au Driehaus Museum à Chicago. Photo Driehaus Museum. Droits réservés.
Nous avons contacté le musée qui nous a confirmé que tous les éléments modelés de l’entourage étaient bien en bronze.
Musée de Toledo
La seconde copie en bronze est l’entourage découvert qui est actuellement présenté au musée de Toledo, dans l’Ohio. Il comprend onze modules (trois en largeur et quatre en longueur). Il a été acheté par le prédécesseur de l’actuelle conservatrice du musée et mis en place en extérieur en 1998 devant l’entrée latérale gauche du musée. C’est lors de la visite à Paris en 2011 de la conservatrice, en quête d’informations pour repeindre le plus correctement possible l’entourage, que la nature du métal a fait irruption dans la conversation, à notre grand étonnement.
Entourage découvert comprenant onze modules installé en extérieur du musée de Toledo (Ohio) en 1998. Photo Toledo Museum of Art.
Nous avons récemment retrouvé le vendeur, M. David Allan, un antiquaire parisien[2] qui a accepté de nous répondre oralement puis par écrit. Il aurait acheté puis revendu cet entourage sans jamais l’avoir vu puisqu’il se trouvait alors déjà sur le territoire américain. C’est à Paris qu’il avait rencontré le vendeur (qui serait actuellement décédé) qui lui aurait dit l’avoir acquis de l’État (ou peut-être de la ville de Paris) sans en connaître la station de provenance. M. Allan aurait alors revendu l’entourage au musée de Toledo en 1998 pour 240 000 $.
Entourage découvert comprenant onze modules installé en extérieur du musée de Toledo (Ohio) en 1998. Photo Toledo Museum of Art.
Houston
La troisième copie en bronze est un entourage découvert dont la dernière localisation connue était à Houston, au Texas, où il avait été remonté d’une façon assez originale, en bordure de jardin autour d’une piscine. Il comprenait alors douze modules, un treizième étant conservé en réserve.
Portique d’un entourage découvert comprenant treize modules disposé en bordure de jardin à Houston. Photo ArtCurial.
Balustrade d’un entourage découvert comprenant treize modules disposé en bordure de jardin à Houston. Photo ArtCurial.
Début 2017, après l’avoir démonté et mis en réserve, son propriétaire a contacté la maison de vente française ArtCurial pour le vendre en France. Celle-ci nous a alors contacté en mars 2017. Dès que nous avons su que ses éléments étaient en bronze nous l’avons informé qu’il s’agissait d’un faux et lui avons déconseillé d’accepter cette vente, au risque de déconsidérer son étude. ArtCurial a donc refusé d’organiser la vente en France. Depuis, nous n’avons pas de nouvelles de cet entourage.
D’après les renseignements recueillis par la maison ArtCurial, l’entourage aurait été acheté 1 500 000 $ en 1998 ou 1999. Parmi les documents fournis par le vendeur américain figuraient trois textes :
– Le premier, à l’en-tête de l’antiquaire David Allan, 13 bis rue de Grenelle à Paris, est rédigé en anglais[3]. Il s’agit d’une présentation historique succincte suivie d’exemples d’entourages Guimard se trouvant aux mains d’institutions (musée d’Orsay, MoMA de New York, Toledo Museum of Art). S’appuyant sur le fait que l’entourage du musée d’Orsay provient de la station Montparnasse et que cette même station a vu ses entrées Guimard démontées, le texte croit pouvoir affirmer que les entourages du MoMA de New York, de Toledo et de Houston proviennent aussi de démontages simultanés au début des années soixante de différents entourages de cette même station[4]. Le texte se conclut par l’affirmation qu’il est raisonnable de penser que l’entourage de Houston est authentique. Ce document n’est pas daté mais est postérieur à 1998, date citée comme étant celle de restaurations effectuées sur les entourages parisiens des stations Réaumur-Sébastopol et Châtelet.
– Un second texte est signé par Steven L. Pine, decorative arts conservator attaché au musée des Beaux-Arts de Houston et dont les qualifications et les références ne prennent pas moins de trois pages. Spécialiste de la conservation des métaux, il rédige le 27 juin 2002 un constat d’état des pièces de l’entourage chez son propriétaire, faisant également référence à un précédent constat du l6 juin 1999. Ce second constat comprend des commentaires sur les deux campagnes de mises en peinture observées sur l’entourage. Il affirme bien que les pièces modelées sont en bronze mais aussi — et c’est une surprise — que les globes d’éclairage sont en verre et non en matériau de synthèse[5]. Sans affirmer péremptoirement que l’entourage est authentique (ce qui n’était pas l’objet du constat) Steven L. Pine écrit que la construction globale des composants est cohérente avec les matériaux et les techniques de fabrication attendus pour le portique et la balustrade du métro.
– Un troisième texte, hélas non signé et non daté, tapé à la machine, semble plus ancien que les deux documents précédents et correspond peut-être à un document fourni lors de la vente initiale. Il s’agit d’un historique tout à fait hilarant des entrées de métro de Guimard, écrit en français et en anglais par un individu à l’imagination fertile. Nous ne résistons pas au plaisir de le reproduire entièrement afin de rendre hommage à ses qualités d’invention et de réécriture de l’histoire.
Photos d’un pseudo-historique des accès de métro de Guimard, non daté et non signé, joint à la vente de l’entourage de Houston. Photo ArtCurial.
Le cas particulier de l’entourage de la National Gallery of Art à Washington
Cet entourage découvert comprenant trois modules en largeur et cinq en longueur est exposé depuis plusieurs années en extérieur à la National Gallery of Art de Washington. Il est fondamentalement différent de ceux dont nous venons de traiter car en grande partie authentique.
Entourage découvert de métro comprenant treize modules acquis en 2000 puis installé en extérieur à la National Gallery of Art de Washington. Photo internet. Droits réservés.
Nous l’avons vu pour la première fois à la prestigieuse exposition Art Nouveau 1890-1914 qui s’est tenue d’avril à juillet 2000 au Victoria & Albert Museum à Londres. Il n’était alors déjà plus la propriété de Robert P. et Arlene R. Kogod qui l’avaient acquis d’un collectionneur privé genevois et l’avaient offert en janvier 2000 à la National Gallery of Art de Washington où devait ensuite se tenir l’exposition. Fin 2019, ce même musée a aimablement accepté de répondre à nos questions et nous a donné les informations suivantes :
Avant l’exposition de 2000, un traitement des pièces métalliques a été réalisé par Mr Rupert Harris sous le contrôle du V&A Museum. Son rapport mentionne la présence de deux arches gauches en bronze. L’une d’entre elles a été modifiée pour devenir une arche droite. En 2008-2009, le Département de la conservation des objets du Musée des beaux-arts du Canada a effectué un important traitement de mise en peinture. À cette époque, l’enseigne qui était figurée par un panneau en tôle d’acier et qui était très corrodée, a été remplacée par un panneau en fibre de verre avec un lettrage repris sur une photographie du livre Le Métropolitain d’Hector Guimard (éditions Somogy, 2003). Le musée ignore pour l’instant si casquettes et cimiers sont deux pièces différentes ou sont fusionnés en une seule comme dans le cas de la vente Bonhams. La notice de la NG of Art donne par ailleurs une notion que nous ne connaissions pas : le poids estimé de l’ensemble (sans doute sans le socle) : 2180,5 kg.
Cette année, avant l’écriture de cet article, nous nous sommes adressé à nos correspondants américains pour leur demander de bien vouloir déterminer à l’aide d’un aimant[6] la nature du métal des pièces modelées se trouvant à hauteur d’homme. Il en résulte que toute la balustrade et les piliers sont en fonte de fer, alors que les arches sont bien en bronze.
Détail de la balustrade de l’entourage découvert de métro de la National Gallery of Art de Washington. On voit qu’un aimant adhère à la partie supérieure de l’écusson. Photo Paris Anderson.
La National Gallery of Art nous a assuré qu’à sa connaissance, seules les arches étaient en bronze. Des photos plus précises que celles que nous avions jusque là ont montré que les extrémités supérieures de ces arches étaient modelées d’une manière tout à fait approximative et comparable à ce que l’on trouvait sur la vente Bonhams.
Partie supérieure du portique de l’entourage découvert de métro de la National Gallery of Art de Washington. Les extrémités des arches sont encadrées. Photo Paris Anderson.
Partie supérieure du portique d’un entourage découvert du métro de Paris (station Quatre Septembre). Photo auteur.
Un potelet d’angle isolé vendu à Paris
Le 20 décembre 2019 un potelet d’angle de balustrade d’entourage découvert à fond orthogonal a été vendu à l’hôtel Drouot par la maison de vente Chayette & Cheval avec la notice suivante : « Attribué à Hector Guimard/Élément de rambarde d’un édicule de métro/Fonte émaillée vert/Vers 1900/H.:/ Usures à la patine ». Il a été adjugé 950 € (soit 1231 € avec les frais). Cet élément isolé s’est en fait révélé être en bronze et non en fonte comme l’affirmait la notice. Il ne peut donc avoir fait partie d’un entourage de métro Guimard de Paris, mais il nous a permis de réaliser quelques observations supplémentaires.
Photomontage d’un même potelet d’angle en bronze montrant sa face postérieure et sa face latérale droite, vente Chayette & Cheval 20 décembre 2019, lot n° 115. Photos Chayette & Cheval.
On est tout d’abord surpris par son poids : 78 kg, qui s’explique par le fait que la masse volumique du bronze est bien supérieure à celle de la fonte de fer[7]. Autre caractéristique du bronze, le son rendu en le frappant est bien plus agréable à l’oreille que celui de la fonte de fer. Contrairement aux potelets de milieu de la vente Bonhams, la base de ce potelet d’angle n’est pas creuse et comporte bien une patte de fixation. La présence de plâtre et de mortier adhérant sous cette base montre qu’il a été scellé sur un socle à un moment donné.
Face inférieure de la base d’un potelet d’angle en bronze, vente Chayette & Cheval 20 décembre 2019, lot n° 115. Photo auteur.
La mise en peinture du potelet révèle une couche primaire d’accrochage de couleur carmin foncé, suivie d’une première couche de vert très clair. Une seconde couche de vert foncé est passée sur l’ensemble et essuyée au niveau des reliefs pour faire apparaître la couche vert clair. Enfin les creux sont rehaussés par une couleur vert moyen. Avec le vieillissement de la mise en peinture on obtient l’illusion assez convaincante de l’aspect que l’on pouvait trouver sur les entourages parisiens avant leur restauration en 2000. En certains tout petits endroits où la peinture a été éliminée par friction on peut voir le bronze briller.
Partie supérieure de la face externe d’un potelet d’angle en bronze, vente Chayette & Cheval 20 décembre 2019, lot n° 115. Photo auteur.
Une fois la nature réelle du potelet d’angle connue, une demande de remboursement intégral a été effectuée auprès du commissaire-priseur de la vente et acceptée. Il a donc été rendu à son propriétaire.
Dans un prochain article nous conclurons cette petite étude en formulant quelques hypothèses sur les origines possibles de ces faux entourages en bronze.
F. D.
Nous remercions M. David Allan, antiquaire ; Mme Suzanne Hargrove, Head of Conservation Toledo Museum of Art, Mme Sabrina Dolla, spécialiste département Art Déco de la maison de ventes ArtCurial ; Mme Katherine May, Object Conservator de la National Gallery of Art de Washington ; Mme Paris Anderson à Washington ; M. David Hanks à New York ; Me Charlotte Van Gaver, commissaire-priseur de la maison de vente Chayette & Cheval.
[1] Nous avons écrit par erreur dans le livre l’Art nouveau du métro que sa vente avait été interrompue par le service juridique de la RATP. En réalité, la vente semble s’être poursuivie jusqu’à son terme.
[2] David Allan est un antiquaire parisien, spécialiste en orfèvrerie française, auteur notamment d’un livre consacré au couvert et à la coutellerie de la table française au XIXe siècle, paru en 2007.
[3] En 2019, M. David Allan ne se souvenait plus avoir participé de près ou de loin à la vente de cet entourage.
[4] En réalité, la station Montparnasse-Bienvenüe n’a comporté que deux entourages Guimard, l’un installé en 1906 et démonté en 1937, l’autre installé en 1910 et démonté en 1960 et qui est celui du musée d’Orsay.
[5] L’une des verrines est alors remisée et remplacée par un équivalent en matériau de synthèse.
[6] Rappelons que l’aimant n’est pas attiré par le bronze qui est un alliage de cuivre et d’étain.
[7] La masse volumique du bronze est (selon la composition de l’alliage) de 8400 à 9200 kg/m3, alors que celle de la fonte n’est (selon sa composition) que de 6800 à 7400 kg/m3.
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