L’œuvre décorative occupe une place grandissante dans la carrière d’Hector Guimard. Nos connaissance ne se limitent plus à quelques ensembles mobiliers célèbres que l’on peut aujourd’hui admirer dans les musées ou durant quelques prestigieuses ventes aux enchères. Il s’agit aussi d’étudier et de décrire les méthodes qui ont permis à Guimard de mettre en œuvre ses idées en matière de fabrication et de production de meubles, d’objets et d’éléments décoratifs.
Dès la première moitié des années 1890, l’architecte ne se contente plus de dessiner les plans des édifices qu’il construit : il en conçoit également la décoration et l’ameublement comme des prolongements naturels lui permettant d’appliquer aux espaces intérieurs ses théories architecturales.
Les premiers mobiliers connus sont réalisés pour les hôtels Jassedé en 1893 et Delfau en 1894. Guimard, en pleine recherche stylistique, livre des ensembles éclectiques mais néanmoins cohérents dont la décoration s’accorde visiblement avec les bâtiments prévus pour les abriter. Ne disposant pas encore de ses ateliers, il en sous-traite la fabrication.
Le Castel Béranger, œuvre fondatrice de sa carrière dont la construction débute en 1895, lui permet d’exprimer sa vision globale de l’architecture. Guimard fait de cet ensemble un véritable laboratoire d’idées : adepte de l’art dans tout, il en dessine les moindres détails du sol au plafond dans un style affirmé qu’il va progressivement affiner pour devenir un style reconnaissable entre tous, le Style Guimard.
Les meubles contemporains de cette époque, dont il a réussi à maitriser la fabrication grâce à l’embauche de quelques artisans, sont parmi les plus étonnants et mouvementés de sa production. Guimard dessine le mobilier comme il construit des maisons : déstructurant les volumes, il privilégie l’asymétrie et fait la part belle aux courbes, contre-courbes et autres excroissances, puisant son inspiration, en le stylisant, dans le répertoire esthétique végétal.
Un véritable tournant s’opère en 1903. Alors que son style commence à s’assagir, Guimard dispose avec la création des Ateliers d’Art et de Fabrication, avenue Perrichont, d’un formidable outil de production à la mesure de son ambition. Avec l’aide de quelques collaborateurs triés sur le volet, capables d’exprimer toute la virtuosité du Style Guimard, il édite pendant une dizaine d’années des petites séries de meubles et d’objets en bronze et céramique, destinés à une clientèle haut de gamme, habituée des Salons d’Art décoratif de l’époque dans lesquels il expose régulièrement. Il se constitue ainsi un carnet d’adresses conséquent, amplifié par un bouche à oreille efficace qui prend ainsi le relais sur une exposition médiatique en baisse et des critiques de plus en plus virulentes à son égard.
Dans les années qui suivent, les meubles et objets, dont une partie est parvenue jusqu’à nous, atteignent une qualité d’exécution quasiment sans égale à cette époque. Les ensembles réalisés pour la famille Nozal ou provenant de son propre hôtel particulier, avenue Mozart, figurent parmi les plus beaux dans la carrière de Guimard. Conscient cependant qu’ils s’adressent à une clientèle aisée, même si celle-ci lui assure des revenus confortables, il poursuit ses efforts en vue de diminuer le coût de ses productions. Pour cela, il souhaite que ses créations soient accessibles au plus grand nombre et notamment à ses confrères et aux professionnels du bâtiment et de la décoration. Accélérant le mouvement engagé à la fin du siècle dernier, il multiplie à partir du milieu des années 1900, les contrats avec des industriels spécialisés en leur déléguant la diffusion de ses tapis, fontes d’ornement, lustres ou encore cheminées et cadres. Les catalogues, parfois luxueux, édités par ceux-ci, assurent une large visibilité à ses créations et un processus de production quasi-industriel.
Il se sert également de ces éléments pour habiller abondamment les façades des immeubles et des villas qu’il édifie ainsi que leurs espaces intérieurs, une habitude qu’il conservera durant toute sa carrière y compris pour les constructions tardives des années 1920. Cette période de grande créativité le conduit aussi à élaborer de nouvelles méthodes de fabrication comme cet astucieux système de réemploi d’éléments décoratifs interchangeables selon leur nature et leur destination.
Quelques années plus tard, la Première guerre mondiale stoppe cet élan. Guimard est obligé de se séparer de ses ateliers pour des raisons financières. C’est la fin de sa production mobilière ou presque.
La seule exception notable est l’ensemble créé pour la Mairie du Village français en 1925 à l’occasion de l’Exposition internationale des Arts décoratifs. Comme au tout début de sa carrière, Guimard est contraint de sous-traiter la fabrication de ces meubles mais il veille, là encore, à les insérer dans un décor de sa composition qui fait la part belle à l’utilisation des nouveaux matériaux et aux méthodes de construction standardisées. Cette réalisation est la dernière de Guimard en tant qu’architecte décorateur.
L’énergie que Guimard a déployée durant toute sa carrière pour mettre en application ses théories n’a pas toujours rencontré le succès ni même l’écho escompté.
Le travail de recherches engagé depuis plusieurs années par Le Cercle Guimard vise à comprendre et à promouvoir les méthodes et pensées visionnaires d’un des plus grands architectes designers du siècle dernier.