Après avoir expliqué la raison du déport vers l’extérieur de la console postérieure droite[1] de l’édicule A à claire-voie de la station Abbesses, nous allons examiner une seconde anomalie présente sur cet édicule et qui va renforcer la visibilité de ce défaut de soutien du chéneau. Pour bien la comprendre, il faut se remémorer la façon dont l’eau pluviale y est collectée.
La toiture d’un édicule peut relever de deux fonctions différentes. Tout d’abord apporter de l’ombre. Cependant, dans le cas particulier des édicules du métro, l’ombre n’est pas recherchée pour des utilisateurs qui ne font qu’un bref passage sous la toiture. Au contraire, il est important que l’escalier soit bien éclairé et c’est pour cette raison que les édicules ont été couverts de verre. La seconde fonction d’un édicule est de protéger de la pluie et c’est bien cette fonction qui a été clairement recherchée et mise en avant par la Commission du métropolitain et la CMP. On retrouve en effet dans différents articles de presse et dans les rapports de la Commission du métropolitain de nombreuses mentions de la volonté des autorités de placer le voyageur à l’abri de la pluie (et du verglas en hiver) lorsqu’il descend les escaliers des accès du métro[2]. On craint également que, sans toiture au dessus de la trémie, l’eau des orages n’envahisse la salle des billets[3] située en contrebas. Pour chacun des deux modèles d’édicules, Guimard a non seulement apporté une solution élégante à la collecte des eaux pluviales, mais celle ci a dirigé ses plans.
Pour l’édicule B, en relevant de toute part la toiture, Guimard collecte la pluie dans un chéneau central puis la dirige à l’intérieur du pilier postérieur et enfin dans un regard d’égout, évitant ainsi le ruissellement en bord de toiture.
Pour l’édicule A, le choix d’une toiture à deux pans et croupe postérieure, l’oblige à prévoir des chéneaux sur le pourtour des faces latérales et postérieure. Ces chéneaux sont constitués d’éléments articulés en fonte, fabriqués par la fonderie meusienne Bigot-Renaux, spécialisée dans cet article et qui éditera la presque totalité des différents modèles de chéneaux conçus par Guimard depuis le Castel Béranger.
L’eau de ces chéneaux s’écoule de l’arrière vers l’avant de l’édicule, passe par une cuvette[4] placée aux extrémités gauche et droite, puis rejoint par un tuyau coudé le fût des piliers antérieurs qui sont creux. À l’avant de l’édicule, la marquise relevée envoie l’eau dans un chéneau arqué qui la conduit également aux extrémités supérieures des piliers antérieurs avant qu’elle ne s’écoule au sol par des trous ménagés à la base des piliers.
Un détail d’une photographie ancienne de l’édicule A de la station rue de Reuilly montre que sur cet édicule, ce circuit d’écoulement des eaux vers les piliers antérieurs est respecté. Il y a bien continuité entre le chéneau latéral et la cuvette qui le poursuit vers l’avant.
En revanche si l’on scrute l’écoulement de l’eau au même endroit sur l’édicule de la station Abbesses, on a la surprise de voir que le chéneau et la cuvette sont disjoints mais reliés par un petit tuyau coudé banal (sans mouluration Guimard).
La même anomalie se devine sur l’édicule de la station Saint-Paul où l’on voit que le chéneau et la cuvette sont également disjoints.
La complexification de ce circuit est due au fait que le chéneau latéral qui se trouvait initialement écarté du linteau en a été à la fois rapproché et remonté. Cette intervention, qui a entraîné le raccourcissement des fers soutenant le chéneau, répond forcément à une nécessité que nous ne connaissons pas précisément mais qui pourrait être un mauvais passage de l’eau de la toiture vitrée au chéneau.
Aux angles postérieurs, le rapprochement du chéneau latéral est rendu visible par son raccord assez inharmonieux avec le chéneau postérieur.
Ce raccord inesthétique n’existe pas sur l’édicule de la station Rue de Reuilly puisque le chéneau latéral est ici écarté du linteau.
Du côté droit, cet écartement du chéneau masque partiellement le débord de la console postérieure droite que nous avons signalé plus haut.
Le fait que le rapprochement des chéneaux latéraux ait existé sur l’édicule A de la station Saint-Paul montre qu’il s’agit d’une modification effectuée avant la Première Guerre mondiale. Malgré son caractère de « bricolage » elle doit être prise en considération lors de futures restaurations de l’édicule A à claire-voie de la station Abbesses. Il faudra alors décider ou non de revenir à la conception originelle de Guimard, tout en s’assurant que le recueil des eaux de pluies se fasse correctement.
F. D.
[1] Dans tous les articles concernant le métro de Guimard, nous utilisons les termes « gauche » et « droit » en faisant référence au coté qui perçu par l’observateur situé en face de l’accès de métro.
[2] « Si le grand Manitou de l’Univers laissait faire nos édiles nationalistes la Terre ne tarderait pas à tourner dans l’autre sens. Deux d’entre eux, MM. Fortin et Quentin-Bauchard (livrons leurs noms à la postérité) ont imaginés de ne pas mettre de toit sur les gares du Métropolitain de Paris dans leurs circonscriptions, d’où inondation et cascades souterraines, en attendant les dangereuses glissades d’hiver (…) » Georges Bans, La Critique, 5 août 1900. Le journaliste Georges Bans est en relation amicale avec Guimard et lui sert de relais pour exprimer son mécontentement de voir le programme des édicules réduit à la portion congrue. Deux mois plus tard, en octobre 1900, il signera un bel article consacré aux nouveaux accès du métro de Paris dans la revue l’Art Décoratif.
[3] Le 16 janvier 1902, la CMP demande à l’administration l’agrément des entourages découverts à fond rond de Guimard pour la future ligne n° 2. Dans sa notice, le directeur des travaux revient une nouvelle fois sur la question de la pluie et des entourages découverts : « Le principe des accès découverts a été imposé par le Conseil municipal pour des motifs d’esthétique. Au premier abord, la Compagnie ne l’avait accepté qu’avec hésitation ; elle craignait que l’escalier découvert ne prît un aspect fâcheux en temps de pluie, et surtout que les pluies d’orage ne pénétrassent dans la salle de distribution de la station. Aussi demanda-t-elle à plusieurs reprises, dans l’intérêt du public, que le Conseil municipal revînt sur les décisions prises en ce sens. La Compagnie doit reconnaître aujourd’hui que ses appréhensions étaient mal fondées, et que les inconvénients qu’elle redoutait peuvent facilement être évités sans que la couverture de l’escalier s’impose. »
[4] Contrairement à ce que nous avions écrit dans le livre Guimard, L’Art nouveau du métro, les deux cuvettes sont identiques.
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