Cet article reprend et complète un aspect traité dans le livre Guimard L’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail.
La rapidité avec laquelle Hector Guimard a mis au point, pour les entourages découverts du métro, un système à la fois techniquement et stylistiquement novateur est assez étonnante. Cependant, comme toute œuvre humaine, le travail de Guimard recèle quelques défauts qu’il n’est pas cruel de mettre en lumière car leur existence même nous renseigne sur l’état de fébrilité dans lequel a dû se dérouler la conception des accès du métro de Paris.
Ces défauts repérés sont essentiellement au nombre de trois : la trop grande fragilité de la fixation du porte-enseigne, le problème de l’accrochage des écussons sur la balustrade et l’erreur d’orientation d’une console de pilier arrière que nous développerons ici. Ce défaut est couplé à une modification du circuit d’écoulement des eaux pluviales de l’édicule A que nous examinerons dans la seconde partie de l’article.
L’édicule A est indubitablement d’une conception moins audacieuse que celle de l’édicule B dont le fond arrondi et la toiture inversée soutenue par trois piliers séduisent immédiatement. Il est classiquement conçu avec une toiture à deux pans avec croupe à l’arrière, reposant sur un volume parallélépipédique. Néanmoins, sa grande marquise relevée, arrondie et légèrement cintrée lui confère une allure certaine. Dès que l’on s’en approche, on constate que le modelage de Guimard enrobe et transforme ces volumes simples en une structure arborescente où les différents plans sont reliés entre eux, notamment par une multitude de consoles.
Contrairement à l’édicule B dont les plans sont adoptés dès leur présentation, l’édicule A sera sans aucun doute le type d’accès du métro créé par Guimard qui rencontrera le plus de difficultés dans sa mise en place. Ses plans initiaux subissent très certainement des critiques lors de leur présentation à l’autorité préfectorale le 16 février 1900. Ce rejet entraîne des modifications visibles sur une seconde série de plans datée d’août 1900, date plutôt tardive alors que la ligne 1 est déjà inaugurée depuis un mois et que les édicules B ont commencé à être implantés à partir du mois de juillet[1]. Les dimensions sont légèrement modifiées et la marquise reçoit à présent un décor plus conséquent sur son pourtour comprenant le blason de la ville de Paris en son centre[2].
Parallèlement à ce retard, le programme initial d’accès établi par la commission du métropolitain et qui comprenait essentiellement des édicules est en bonne partie démantelée par l’action résolue de deux conseillers municipaux issus des « beaux quartiers ». Charles Fortin et Maurice Quentin-Bauchart, bataillent en effet sans relâche depuis mai 1899 pour faire remplacer ces édicules par des entourages découverts. Sur une soixantaine initialement prévus, leur nombre va en effet chuter à seulement 13. Le modèle A souffrira plus particulièrement de ce changement de politique. Prévu en mars 1900 sur sept accès, il ne sera finalement installé que sur deux d’entre eux : à la station Saint-Paul et à la station Rue de Reuilly (actuellement Reuilly-Diderot).
Curieusement, alors qu’elle avait tout intérêt à réaliser une importante économie avec leur remplacement par des entourages découverts, la CMP semble avoir eu un certain attachement pour son programme d’édicules. Pour preuve, en réponse au projet de supprimer les cinq autres édicules A prévus sur l’avenue Kléber, la place du Trocadéro et la place Victor-Hugo, la CMP fait étudier à Guimard une proposition alternative d’édicule A à claire-voie.
Grâce à la similitude de conception entre les entourages et les édicules, Guimard peut facilement présenter en juillet 1900 (un mois avant la seconde série de plans de l’édicule A) des plans pour un « projet de couverture pour les entourages carrés ». En remplaçant les panneaux de lave et les vitres de l’édicule A par des balustrades à écussons, Guimard supprime l’obstacle visuel des parois et obtient un effet de légèreté saisissant. Mais quelques mois plus tard, la délibération du conseil municipal du 16 novembre 1900 écarte définitivement l’installation d’édicules sur l’avenue Kléber, la place Victor-Hugo et la place du Trocadéro. Malgré tout, cet édicule A à claire-voie sera installé à la station Hôtel de Ville.
Il restera à la station Hôtel de Ville jusqu’au début des années 1970, date à laquelle la construction d’un parking souterrain impose de son démontage[3]. C’est la station Abbesses, sur la butte Montmartre, qui est choisie pour sa réinstallation en 1974. Depuis la destruction des deux édicules A, celui de la station Saint-Paul en 1922 à la suite d’un bombardement allemand en avril 1918 et celui de la station Rue de Reuilly en 1928, il est le seul témoin subsistant de ce modèle d’accès. Idéalement situé dans un lieu touristique, il est devenu une véritable icône parisienne dont l’image accueille les voyageurs à l’aéroport de Roissy et figure en couverture de nombreux guides touristiques[4].
Lors de nos visites à Montmartre pour y effectuer des reportages photographiques, nous avons rapidement repéré un curieux décalage entre la console d’angle postérieure droite[5] et le chéneau qu’elle doit soutenir.
Alors que la console postérieure gauche soutient parfaitement le chéneau.
Confiant dans la perfection de notre architecte favori nous avons alors attribué cette anomalie à un défaut de remontage commis lors de la réinstallation de cet édicule sur la place des Abbesses.
Cependant, nous avons constaté que la même anomalie pouvait être retrouvée sur des photographies anciennes alors que l’édicule se trouvait encore à la station Hôtel de Ville.
Les photographies anciennes disponibles des deux autres édicules A (à paroi en lave émaillée) sont plus difficiles à interpréter. Pour l’édicule de la station Saint-Paul, il n’est actuellement pas possible de visualiser correctement l’angle postérieur droit.
Pour l’édicule de la station Rue de Reuilly, il semble que la console postérieure droite soit également déportée vers l’extérieur, mais sans doute dans une moindre proportion qu’à Hôtel de Ville. Nous apporterons dans notre second article un éclaircissement à cet état de fait.
Pour expliquer que la console postérieure gauche soit parfaitement située sous l’angle du chéneau à gauche, alors que la console postérieure droite ne l’est pas, il faut s’intéresser à la façon dont Guimard a conçu les piliers arrière en fonte et leurs consoles en cherchant à réemployer des éléments. En réalité, ces deux piliers postérieur sont identiques et Guimard les utilise indifféremment à gauche et à droite en les faisant pivoter tout simplement d’un quart de tour, de la même manière qu’il se servirait d’une simple cornière d’angle. Et comme leur décors latéraux sont différents, le décor de la face postérieure de l’un devient le décor de la face latérale de l’autre (et inversement). L’extrémité supérieure des piliers reçoit trois consoles en fonte qui s’insèrent dans un trou ménagé dans le fût et y sont vissées. Deux des consoles, celles qui sont placées à angle droit (V-74, bleue et rouge sur le dessin) sont identiques entre elles et viennent s’appliquer sous les linteaux latéraux et postérieur joignant les piliers. Là encore, la rotation du pilier d’un quart de tour fait que la console latérale devient la console postérieure (et inversement). La troisième console (V-73, verte sur le dessin) vient soutenir le chéneau collectant les eaux de pluie de la toiture.
Comme le chéneau arrière est beaucoup plus large que les chéneaux latéraux, en modelant le pilier et la console d’angle postérieure gauche, Guimard donne à cette console une inclinaison vers le centre pour que son extrémité vienne soutenir convenablement l’angle du chéneau gauche.
Mais quand il modèle la console de l’angle postérieur droit, dans sa volonté de standardiser, Guimard la crée à l’identique de la console de l’angle postérieur gauche (tout en lui donnant pourtant un décor légèrement différent). Et comme l’angle de son insertion dans le fût n’a pas été modifié, son extrémité se trouve, cette fois, déportée vers l’extérieur et ne peut plus venir soutenir l’angle du chéneau droit que de façon imparfaite.
À suivre…
F. D.
[1] Au vu d’un entrefilet du journaliste Georges Bans paru dans la revue La Critique, la date d’implantation des édicules B que nous avions estimé avoir débuté aux environs d’août 1900, doit être un peu avancée.
[2] On est surpris par le décalage entre les décors présentés sur tous ces plans (édicules A et B) et ceux qui seront effectivement réalisés. Si à la fin juillet 1900, des édicules B sont déjà implantés sur la voie publique, cela signifie que le modelage définitif de leurs pièces en fonte a été effectué plusieurs mois auparavant. Or tous ces plans ne semblent pas tenir compte des directions qui ont été prises et reprennent pendant plusieurs mois des options décoratives qui ont été écartées. Il ne faut donc probablement pas les voir comme des documents contractuels mais plutôt comme des esquisses qui ont subsisté dans les archives de la RATP alors que les plans d’exécution ont été perdus depuis longtemps à la fonderie du Val d’Osne à Sommevoire.
[3] Et non de sa destruction puisqu’il est alors protégé depuis 1965 par une inscription à l’inventaire supplémentaires des monuments historiques.
[4] Cf. l’article d’Emilie Dominey. https://www.lecercleguimard.fr/fr/nos-actions/le-cercle-guimard-aide-les-etudiants/etude-de-la-station-abbesses
[5] Dans tous les articles concernant le métro de Guimard, nous utilisons les termes « gauche » et « droit » en faisant référence au coté qui perçu par l’observateur situé en face de l’accès de métro.
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