Les années 1960 constituent une période déterminante pour la sauvegarde du patrimoine Art nouveau vieux de plus d’un demi-siècle. C’est à cette époque que les premières constructions de ce mouvement sont protégées au titre des monuments historiques. Si l’historiographie a déjà mis en lumière l’action des surréalistes dans la redécouverte du patrimoine art nouveau dans les années 1930[1], l’entre-deux-guerres est une période où se multiplient aussi les tentatives d’identification et de préservation. C’est tout un réseau d’historiens, de critiques d’art et d’architectes qui se mobilise afin de tenter la sauvegarde de ce patrimoine encore méprisé, révélant ainsi une conscience patrimoniale précoce.
Louis Bonnier au Casier archéologique : une démarche pionnière
L’inventaire patrimonial parisien entrepris par le Casier archéologique à partir de 1916 marque le premier moment de la protection du patrimoine architectural Art nouveau. Le Casier archéologique, créé à l’initiative de l’architecte Louis Bonnier et de l’historien Marcel Poëte, est rattaché à la Commission du Vieux Paris.
Il s’agit d’une démarche pionnière d’inventaire exhaustif des richesses patrimoniales, archéologiques et artistiques de la Ville de Paris[2]. L’enregistrement au casier ne constitue pas une servitude légale bien que Louis Bonnier tente d’intégrer le Casier aux procédures d’autorisation de travaux gérées par les services de la Ville de Paris. Le Casier ne se donne pas de limites chronologiques et enregistre alors des édifices très récents. Ce sont plusieurs immeubles d’Hector Guimard, de Jules Lavirotte et de Charles Plumet qui sont ainsi sélectionnés. D’Hector Guimard, on peut citer le Castel Béranger[3] du 14 rue La Fontaine, la synagogue du 10 rue Pavée[4] et le lot d’immeubles des rues Agar, Gros et La Fontaine[5] ainsi que deux entrées du métropolitain[6]. De Lavirotte, sont enregistrées l’immeuble du 29 avenue Rapp[7], l’immeuble du 23 avenue de Messine[8] et l’hôtel particulier du 12 rue Sédillot[9]. Enfin, le Casier ne désigne pas moins de six constructions de Charles Plumet[10].
Il s’agit d’un acte d’identification précurseur alors que les édifices considérés ont seulement une vingtaine d’années d’ancienneté. Ce choix paraît d’autant plus audacieux qu’à cette époque de l’immédiat après-guerre, l’Art nouveau connait un important discrédit. La critique raille la profusion ornementale et les courbes considérées comme « bizarres » du « Modern style ». De plus, on l’associe alors de façon récurrente avec l’art allemand, ce qui achève de jeter l’opprobre sur ce style que seuls quelques historiens et critiques d’art tels qu’Emile Bayard[11] trouvent à défendre. Cependant, la plaidoirie en faveur de l’Art nouveau ne se fait à l’époque jamais sans un « mais ». Fallait-il alors que les contacts entre le Bureau du Casier et les architectes soient forts pour qu’une initiative de ce type soit engagée. Lui-même représentant de l’Art nouveau parisien, Bonnier mène une carrière officielle dans les services d’architecture de la Ville de Paris. Personnalité installée dans le milieu artistique et sur la scène architecturale, il a été membre du jury de l’Exposition Universelle de 1900 et, de plus, a été l’architecte de la transformation de l’incontournable galerie L’Art nouveau de Siegfried Bing en 1895. En 1922, tout comme son ami Charles Plumet, il est membre fondateur de la Société des Architectes Modernes dont Hector Guimard est vice-président.
26 février 1938- Le rapport de Charles Fegdal (1880-1944) à la Commission du Vieux Paris
Cette entreprise de préservation ne restera pas vaine. C’est encore à la Commission du Vieux Paris que l’on doit, une quinzaine d’années plus tard, de réaliser un pas de plus dans la conservation de l’architecture 1900. Lors de la séance du 26 février 1938, l’historien et critique d’art Charles Fegdal-Mascaux présente à la Commission du Vieux Paris un rapport intitulé « Valeur historique et conservation de vestiges architecturaux et décoratifs de la période 1890-1910 (Art 1900)[12] ». Il rappelle que « l’histoire et la beauté ne s’arrêtent pas à 1910, pas plus qu’elles ne s’arrêtent au 19ème siècle, pas plus qu’elles ne s’arrêtent à hier et à aujourd’hui. Et c’est avec raison que la Commission du Vieux Paris a été créée dans le but de sauvegarder le passé, sans désignation précise de date. ». Défendant alors ce qu’il considère être le devoir de la Commission, née précisément « au moment où venait de surgir un art résolument neuf, un art qui — pour compliqué et boursoufflé qu’il ait d’abord pu paraître — doit cependant prendre date dans l’histoire générale de l’art français, spécialement dans l’histoire de l’architecture à Paris[13] ».
Le 15 février dernier l’engouement populaire était bien visible aux abords de la Villa Majorelle pour son inauguration après plusieurs années de restauration. L’annonce de sa réouverture au public avait d’ailleurs largement franchi les limites de la ville et mis en effervescence le monde de l’Art nouveau français et européen, faisant de cette manifestation l’un des évènements culturels de ce début d’année.
Le Cercle Guimard, invité pour l’occasion, avait fait le déplacement. La réouverture de ce joyau de l’Art nouveau construit vers 1901 sur une commande de l’ébéniste Louis Majorelle (1859-1926) au jeune architecte parisien Henri Sauvage (1873-1932) n’était d’ailleurs que le point d’orgue d’un week-end festif fièrement soutenu par la population locale et les grandes institutions culturelles nancéiennes qui avaient laissé leurs portes ouvertes.
Après un nettoyage partiel en 1999 pour l’année de l’Ecole de Nancy et quelques interventions en 2013, quatre années supplémentaires ont été nécessaires pour redonner tout son éclat à la Villa Majorelle. A l’extérieur les mitres, préventivement déposées au milieu des années 2000, ont retrouvé leur place au sommet des cheminées. Le bow-window en façade nord – ajout malheureux du temps de l’administration – a été démoli. Les chéneaux et les balcons en façade ouest ont été restitués et les grés émaillés de Bigot – dont la magnifique balustrade nord dessinée par Sauvage – restaurés et nettoyés. Autant de travaux indispensables qui ont rendu à la Villa sa silhouette si caractéristique et l’harmonie originale voulue par Sauvage et Majorelle. Le parti pris retenu étant l’état connu de la Villa avant 1926 – date de sa vente à l’Etat par Jacques le fils de Louis Majorelle – les modifications liées notamment au bombardement de 1916 ont été conservées comme la suppression de la terrasse sud.
Un seul regret lié à l’histoire immobilière du quartier : le terrain d’origine a été amputé de la majeure partie de sa surface. Le jardin se réduit aujourd’hui à une bande verte entourant la Villa privant du recul nécessaire à l’observation et à la mise en valeur d’un tel bâtiment.
La rénovation intérieure est tout aussi spectaculaire. L’objectif affiché a été de restituer l’ambiance d’une maison familiale habitée par l’un des artistes les plus éminents de l’Ecole de Nancy plutôt que d’en faire un musée, rôle dévolu au musée de l’Ecole de Nancy. L’étude des documents d’époque – notamment les articles parus en 1902 dans les revues Art et Décoration et l’Art décoratif – et de l’album de famille des Majorelle acquis en 2003 ont permis en partie de retrouver l’aménagement et les décors d’origine ou à défaut de s’en approcher.
Passée la marquise au décor de monnaie-du-pape puis le vestibule et son étonnant fauteuil intégré, le visiteur se trouve comme happé par l’imposante et verticale cage d’escalier éclairée par le vitrail de Gruber autour de laquelle s’enroule la rampe dessinée par Sauvage et exécutée par Majorelle.
Certains ensembles mobiliers ont retrouvé leur emplacement d’origine comme la chambre des Majorelle au 1er étage ou la salle à manger du rez de chaussée – probablement la pièce la plus réussie –, deux ensembles acquis en 1984 et 1996 par le musée de l’Ecole de Nancy. Quelques achats plus récents réalisés par l’Association des Amis du musée de l’Ecole de Nancy complètent ce remeublement.
Tout au long de la visite le décor sert de fil conducteur formant un tout avec l’architecture. Partout une lumière savamment calculée met en valeur la diversité des matériaux et la disposition des lieux illustrant toute la modernité du bâtiment. En plus d’être une vitrine des artistes nancéiens, la Villa Majorelle est un véritable manifeste de l’Art nouveau.
La visite se termine presque trop rapidement. Il faudra patienter deux années supplémentaires pour découvrir les dernières pièces encore fermées au public. En 2022 la rénovation intérieure sera entièrement achevée rendant notamment accessible l’atelier de Louis Majorelle au 2ème étage.
Nous profitons de notre présence dans la ville pour visiter le musée de l’Ecole de Nancy qui possède la plus belle collection illustrant ce mouvement. Devant l’entrée nous croisons sa directrice Valérie Thomas qui avec ses équipes n’a pas ménagé ses efforts pour que le projet de réouverture de la Villa Majorelle aboutisse.
Au 1er étage de l’institution, quelques meubles au style bien caractéristique se distinguent parmi les chefs d’œuvre de Vallin, Gruber, Majorelle ou Gallé : le musée expose en effet un petit ensemble de bureau signé… Hector Guimard, provenant de son hôtel particulier de l’avenue Mozart et donné par sa veuve en 1949. Le lien est fait.
Olivier Pons – Bruno Dupont
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