Une des heureuses conséquences de la mise en place de la récente exposition Guimard, architectures parisiennes aux Archives de Paris[1] est la découverte au sein des collections de cette institution de nouveaux documents qui complètent nos connaissances sur plusieurs chapitres de l’œuvre de Guimard. L’une de ces pièces est un petit dossier du Service technique du métropolitain constitué en 1900 et concernant l’accès de la station Tuileries. Peu avant cette découverte, nous avions reçu en don plusieurs dessins de recherche de Guimard pour l’accès de cette même station. Dans le livre consacré au métro de Guimard[2], nous avions brièvement évoqué les circonstances qui ont conduit à la mise en place des deux actuels entourages d’accès de cette station sur l’étroit trottoir de la rue de Rivoli. Mais grâce à ces nouveaux documents, nous allons pouvoir en retracer plus sûrement l’historique.
Si la construction du métro de Paris a été une affaire municipale, il faut se rappeler que la Ville de Paris était alors placée sous la tutelle de l’État et administrée par une autorité bicéphale : la Préfecture de la Seine, émanation du pouvoir exécutif et le Conseil municipal, élu par les Parisiens. Après que l’État a cédé en 1895 sur le caractère d’intérêt local du projet de métro parisien, le Conseil municipal a formé en son sein une Commission du Métropolitain chargée de préparer les projets qui devaient ensuite lui être présentés pour approbation. C’est en particulier à cette commission, en collaboration avec le Service technique du métropolitain, qu’il revenait de définir les trajets des lignes et les emplacements des accès[3].
La Ville s’est chargée de la construction des infrastructures souterraines tandis que la fourniture des voies, du matériel roulant et l’équipement des stations ont été dévolus à la CMP (Compagnie du Métropolitain de Paris) formée en mai 1898 en vue de recevoir la concession de l’exploitation du métro.
La construction des accès de surface était également à la charge de la CMP qui n’avait pas pour autant de pouvoir décisionnel quant à leur aspect. Contrastant avec l’austérité des équipements souterrains, ces accès devaient aussi constituer une sorte d’image publicitaire à laquelle l’audace des projets de Guimard allait pleinement contribuer, du moins pendant les premières années. Mais la première partie des épisodes que nous allons relater à propos de la station Tuileries s’est déroulée peu après la formation de la CMP et ne concernait pas l’entourage de l’accès ni son décor. Comme nous le verrons, les projets de Guimard, même s’ils ont été mûris pendant le second semestre de 1899, n’ont été connus des autorités que dans les derniers jours de l’année.
Cette station est située sur la ligne 1, de Porte Maillot à Porte de Vincennes, la première à avoir été ouverte avec deux tronçons supplémentaires au cours du premier chantier. Elle avait pour fonction de desservir l’Exposition universelle de 1900, mais elle était surtout construite sur un trajet Est-Ouest de la rive droite, identifié comme étant le plus susceptible de répondre aux besoins du public. Pour ce premier chantier, par économie, la plupart des stations ne bénéficiait que d’un seul accès sur la chaussée, donnant accès à une salle souterraine de vente des billets. Il n’était alors pas encore question de sorties ou d’accès secondaires qui ne seront généralisés que plus tard.
Sur la rue de Rivoli, de la station Saint-Paul à la station Concorde, le trajet est pratiquement rectiligne.
Les voies du métro y ont été prudemment établies à faible profondeur, sous un tablier métallique placé sous la chaussée.
Aux stations Saint-Paul, Hôtel de Ville, Châtelet, Louvre et Palais Royal, la largeur des trottoirs ou l’existence de terre-pleins ont permis de prévoir des trémies d’escalier d’une largeur standard de 3 m, ou un peu plus dans le cas de Palais Royal (3 m 50), là où une correspondance (et donc un afflux plus important de voyageurs) était attendue. À l’exception de cette dernière station, les accès ont été établis du côté des numéros impairs (côté vers la Seine). En revanche, pour les deux dernières stations de la rue de Rivoli, Tuileries et Concorde, l’étroitesse des trottoirs ne permettait plus d’ouvrir une trémie de trois mètres de large, ni d’un côté de la rue, ni de l’autre. Pour la station Tuileries, dont les quais sont situés entre la rue du 29 juillet et la rue d’Alger, l’emplacement de son accès a été prévu en face de la rue du 29 juillet et au niveau de l’entrée du jardin des Tuileries. L’idée initiale du Service technique du métropolitain était de créer un accès sur la terrasse des Feuillants qui longe la rue de Rivoli et dont elle est séparée par un muret et une grille. À cet endroit, la terrasse est au même niveau que le trottoir. En revanche, le jardin des Tuileries proprement dit se trouve en contrebas et pour y descendre les promeneurs empruntaient un petit escalier parallèle à la rue[4].
Le dossier[5] retrouvé aux Archives de Paris concernant la station Tuileries contient tout d’abord un rapport de Fulgence Bienvenüe, chef du Service technique du métropolitain, daté du 3 mars 1900 et faisant l’historique des démêlés mettant aux prises au sein même de l’État, d’une part le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et d’autre part la préfecture de la Seine et son Service technique du métropolitain.
Le premier projet de l’équipe de Bienvenüe consistait à gagner du terrain sur la terrasse des Feuillants en reculant la grille pour établir un escalier de descente vers la salle souterraine. Nous ne possédons pas le plan de ce projet mais nous pouvons formuler l’hypothèse selon laquelle, pour permettre de placer un tel escalier, il aurait été nécessaire d’ouvrir la grille du jardin de part et d’autre.
Si la voirie de la rue de Rivoli appartient bien à la Ville de Paris, le jardin des Tuileries est une propriété de l’État relevant du ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts. C’est donc à ce dernier qu’a été adressé le 31 octobre 1898 ce projet. Trois mois plus tard, le ministère, refusant que l’accès du métro n’empiète sur la terrasse, l’a rejeté par décision du 8 février 1899. Mais conscient qu’il faudrait trouver une solution, il a réfléchi à un contre-projet qu’il a présenté sous forme d’un croquis lors d’une réunion qui a eu lieu sur place le 11 juillet 1899. Sur ce dessin sommaire que nous reproduisons ci-dessous, deux escaliers placés sur le trottoir de la rue de Rivoli (et non sur la terrasse) convergeaient devant une petite salle de vente des billets en cul-de-sac, placée sous la terrasse.
Jugeant cette solution techniquement inadaptée (salle trop petite, escaliers se recoupant, mauvaise gestion des flux), le Service technique du métropolitain a alors opté pour une solution de rechange : ouvrir un escalier de descente vers la salle des billets, non plus sur la terrasse des Feuillants, mais dans son mur, en contrebas, du côté du jardin. La CMP, à laquelle incombait l’équipement des accès de surface aurait alors été chargée d’établir « tel système de grille qui eût convenu au service des Beaux-Arts, pour isoler cette entrée, occasionnellement, du reste du jardin ». Cette solution était astucieuse, mais avait le défaut de rendre l’accès peu visible depuis la rue et probablement aussi d’imposer la fermeture de la station pendant les heures de clôture du jardin. Nous ne possédons pas le plan de ce projet, mais nous pouvons également en donner une approximation.
Cette disposition d’un accès pratiqué dans un mur était proche de celle qui a été adoptée pour la station Concorde, où l’accès (faisant fonction d’entrée et de sortie) a été percé dans le mur de la terrasse du Jeu de Paume, mais cette fois du côté de la rue de Rivoli qui, à cet endroit, se trouve en contrebas de cette terrasse.
Ce type d’accès pratiqué à la station Concorde n’a posé aucun problème dans la mesure où il débouchait sur la voirie municipale. En revanche, ce second projet pour la station Tuileries, de même nature que pour la station Concorde mais débouchant dans le jardin, a été refusé comme le relate Bienvenüe : « Après bien des pourparlers et malgré l’insistance mise par le Conseil Municipal de Paris dans une délibération spéciale (1er décembre 1899), cette étude eut finalement le même sort que la première proposition, annoncé par une dépêche ministérielle du 22 décembre 1899). »
Cette dépêche (dont nous n’avons pas copie) comportait pourtant l’acceptation d’« une sorte de petite gare dans le tréfonds du Domaine », notion vague qui pouvait peut-être signifier que le ministère accepterait la possibilité de construire un édicule en bordure du jardin. Il aurait été en ce cas assez éloigné de la salle souterraine de vente des billets, ce qui ne pouvait pas convenir au Service technique du Métropolitain. Ce dernier s’est donc rabattu sur la solution moins favorable préconisée depuis juillet 1899 par le ministère et que, par prudence, le Conseil municipal avait validée à l’avance : celle d’escaliers implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Celui-ci n’ayant qu’une largeur de 3 m 50, l’escalier serait réduit à 1 m 50, « mais on ferait deux volées au lieu d’une, l’une pour l’entrée, l’autre pour la sortie. » Le plan annexé au rapport de Bienvenüe, que nous reproduisons ci-dessous, montre que, contrairement au croquis du ministère, les marches supérieures des deux escaliers se trouvaient cette fois logiquement placées de part et d’autre de l’entrée du jardin qu’ils desservaient (entrée à gauche et sortie à droite). À leur partie inférieure, de chaque côté, un corridor permettant de canaliser les flux d’entrée ou de sortie, tout en contournant le système racinaire des arbres de la terrasse proches de la grille, se retournait pour déboucher dans la salle de vente des billets.
C’est sans doute à cette époque — dans les derniers mois de 1899 — que Guimard a esquissé des projets pour l’accès de la station Tuileries qui constituait l’un des cas à part à traiter indépendamment des accès standards (édicules et entourages découverts). Comme on le sait, il s’était prudemment abstenu de participer au concours institué par la CMP de juin à août 1899 puisque ce concours destiné à donner des idées à l’architecte maison de la CMP, Paul Friesé, ne débouchait pas sur la commande des accès. Cependant, quelques esquisses crayonnées sur des calques appartenant au fonds Guimard du musée d’Orsay[6] montrent qu’il préparait des projets alors que, parallèlement, ses « supporters » au sein de l’administration préfectorale et de la Commission du métropolitain s’employaient à saper les projets « officiels » présentés à la Préfecture par la CMP[7]. Arrivés à maturité à la fin de l’année 1899, les projets de Guimard ont pu être approuvés par le conseil d’administration de la CMP le 12 janvier 1900, puis par la Commission du métropolitain[8] le 7 février, ainsi que par la Préfecture le 16 février.
Par leur finition sommaire et par leur style visiblement antérieur à celui des projets définitifs de janvier 1900, les dessins de Guimard non titrés, non datés et non signés que nous reproduisons ci-dessous font partie de sa période de recherche. Cependant, ils montrent qu’il avait déjà accès à des informations inconnues du public. Sans doute bien renseigné par un informateur — peut-être Defrance, le directeur administratif des travaux de Paris de la préfecture de la Seine ? — il a en effet travaillé sur la solution à deux escaliers convergents vers la surface, implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Comme on peut le voir, il s’est servi de la montée des deux escaliers pour adopter de part et d’autre deux formes rampantes[9] venant se rejoindre au centre en enserrant l’enseigne au centre, devant la grille du jardin des Tuileries.
D’autres dessins, fragmentaires, donnent tout de même une idée plus précise du décor particulièrement original qu’il envisageait pour cet accès. Nous nous en sommes servi pour donner par infographie une restitution de l’édicule de sortie puis des deux édicules affrontés, comme sur le dessin ci-dessus. Ces deux édicules adoptaient déjà le schéma constructif qui sera celui des édicules A et B, c’est-à-dire des parois constituées de plaques de lave surmontées de vitrages puis d’un espace d’aération. Il est fort probable qu’à ce niveau, ces dessins n’étaient connus que de sa seule sphère amicale et qu’ils n’ont pas été communiqués à l’ensemble des conseillers municipaux, ni officiellement au Service technique du Métropolitain, ni à la CMP.
Une fois ses projets d’accès pour le métro (entourages découverts, édicules et pavillons) globalement adoptés par les autorités[10], du 12 janvier au 16 février 1900, Guimard aurait pu s’atteler à concevoir un projet plus définitif pour l’accès particulier de la station Tuileries à partir de ses esquisses. Mais à peine quelques jours plus tard, le projet du Service technique du métropolitain avec deux escaliers convergents vers la surface a essuyé un nouveau refus du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, signifié le 28 février 1900 et compromettant donc le principe du projet de Guimard. Nous n’avons pas le texte de ce refus, mais à la lecture du rapport de Bienvenüe, nous pouvons comprendre que le ministère, s’arc-boutant sur sa propre solution, reprochait à celle du Service technique du métropolitain de « compromettre l’existence des arbres dont les racines ne trouveraient plus une couche de terre suffisante », de prévoir une salle de vente des billets trop vaste, nécessitant de supprimer un arbre placé au-dessus d’elle et enfin, trouvait que les escaliers étaient trop proches de l’entrée du jardin. Dans son rapport, Bienvuenüe arguait qu’on ne saurait réduire significativement la salle et que l’arbre en question était déjà « fort misérable ».
Dans un second rapport, daté du 19 avril 1900, Bienvenüe relate la suite de l’affaire.
Sûr du bien-fondé du projet du Service technique du métropolitain et estimant sans doute que son blocage se faisait à un échelon inférieur au sein du ministère, il avait entre-temps fait appel au préfet de la Seine (Justin de Selves) afin que ce dernier intercède directement auprès du ministre. Mais cette intervention n’avait pas donné le résultat escompté puisque par une nouvelle dépêche du 28 mars 1900, le ministre avait fait savoir « qu’il ne saurait adopter d’autre combinaison que celle qui fut examinée sur place le 11 juillet 1899. » Ce nouveau refus péremptoire a donc finalement contraint le Service technique du métropolitain à adopter le système du ministère, tout en l’aménageant. Il a en effet fallu reculer un peu les escaliers, à présent divergents vers la surface et convergents vers la salle de vente des billets. Celle-ci, conformément aux exigences du ministère a eu des dimensions plus réduites, épargnant au passage l’arbre faisant face à l’entrée du jardin. L’accès de sortie était à présent situé à gauche et celui d’entrée à droite. Nous donnons ci-dessous le plan général qui était joint à ce dernier projet. On y remarque, dessinés à l’encre rouge, le pourtour et les ceintures des marquises destinées à surmonter les escaliers et qui marquent l’entrée officielle de Guimard dans le projet, vers avril 1900.
Pendant ce temps, en raison de ces tergiversation, l’accès de la station n’avait pas pu être construit et lors de l’inauguration de la première ligne du métro (elle-même en retard), le 19 juillet 1900[11], la station n’était pas ouverte. Elle ne le sera que le 27 août, avec une balustrade et un portique en bois qui vont sans doute perdurer jusqu’au début de 1902.
Un dossier constitué par la CMP[12] et déposé aux Archives de Paris révèle l’étape suivante. Il ne contient pas de rapport explicatif mais des plans correspondant à l’état du projet d’édicules présenté en septembre 1900. Les esquisses antérieures de Guimard ne pouvant convenir à ce nouveau projet, il a travaillé, cette fois officiellement, sur la nouvelle disposition adoptée par le Service technique du métropolitain.
À cette époque, une partie des conseillers municipaux, très déterminés, ont obtenu la suppression d’une majorité des édicules prévus pour le premier chantier[13] du métro pour les remplacer par des entourages découverts. Ces derniers qui devaient au départ être l’exception sont devenus majoritaires. Pour tenter de sauver son programme d’édicules (dont la construction était pourtant plus onéreuse que celle des entourages), la CMP et Guimard ont proposé des édicules à claire-voie sur lesquels les plaques de lave des parois étaient remplacées par des écussons, créant ainsi un effet de transparence des plus heureux. L’accès de la station Hôtel de Ville[14] a ainsi reçu un édicule A à claire-voie (plan daté juillet 1900) tandis que celui de la station Gare de Lyon a reçu un édicule B à claire-voie (plan non daté, avant novembre 1900).
Ces deux édicules expérimentaux ont effectivement été agréés par la Commission du métropolitain et par la préfecture, puis construits. Mais ils sont cependant restés uniques dans leur genre et, dès la conception des accès aux stations souterraines de la ligne 2 au début de l’année 1902, le principe des édicules a été définitivement abandonné au profit d’entourages découverts à fond arrondi. En ce qui concerne l’accès de la station Tuileries, les plans de Guimard datés du 30 août 1900 — donc dans la même période que ceux de Gare de Lyon et d’Hôtel de Ville — présentent également une balustrade avec des écussons. Guimard n’a représenté qu’un seul des deux demi-édicules qui étaient symétriques, celui côté entrée.
Du côté de la rue, deux piliers en fonte de forme arborescente, à gauche et à droite, soutiennent la ceinture de la marquise relevée. Celle-ci est constituée de deux séries de panneaux de verre se recouvrant partiellement comme des tuiles.
L’eau de pluie est conduite vers l’arrière, dans un chéneau maintenu par des poteaux métalliques prenant appui sur le muret de la grille avec laquelle il n’y a pas de contact. Au contraire — et c’est ce qui confère une grande séduction à ces accès — Guimard a donné à l’extrémité latérale des marquises un mouvement enveloppant autour des piliers de la grille, mouvement qui évoque irrésistiblement le spathe de l’arum.
Une enseigne « METROPOLITAIN » en lave émaillée était placée parallèlement à la rue sur chacun des demi-édicules et complétée par une enseigne « ENTRÉE » ou « SORTIE »[15] placée en oblique. Guimard avait prévu de maintenir ces derniers panneaux par de fines lignes de fontes étirées entre le pilier avant et la ceinture de la marquise. Visuellement l’effet était superbe, mais il est possible que Guimard ait présumé de la solidité d’un tel montage[16] en sous-estimant le caractère cassant de la fonte.
Enfin, en examinant de près les dessins, on peut soupçonner que deux verrines d’éclairage ayant la forme d’un globe étaient insérées au sommet des piliers. Elles assuraient la même fonction de signalisation de l’accès que les verrines des entourages découverts.
Ce projet qui aurait pu devenir l’une des plus belles réussites de l’architecte pour les accès du métro de Paris n’a pourtant pas vu le jour. Cette fois, nous ne bénéficions plus des explications du rapport de Bienvenüe, mais il est fort probable que ce nouveau refus a été imputable aux conseillers municipaux anti-édicules.
Dans un prochain article, nous verrons comment Guimard et la CMP ont pu trouver une solution satisfaisant toutes les parties et comment cette solution a finalement été « détournée » de son usage initial.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Du 20 septembre au 21 décembre 2024, au 18 boulevard Sérurier 75019 Paris (métro et tramway Porte des Lilas)
[2] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, Éditions La Vie du Rail, 2012.
[3] Les emplacements et les dimensions de ces accès ont été officiellement soumis aux votes du Conseil municipal des 17 et 20 mars 1899 sur proposition de la Commission du Métropolitain et finalement approuvés le 20 mai 1899. Cependant, l’essentiel de ces caractéristiques avait été défini auparavant par le Service technique du métropolitain, ce qui, pour l’accès de la station Tuileries, avait permis d’engager des pourparlers avec le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts dès 1898.
[4] Ce dispositif d’accès au jardin en contrebas a été ultérieurement modifié pour établir un large escalier perpendiculaire à la rue et deux rampes qui lui sont parallèles.
[5] Archives de Paris, V2O8 7.
[6] Voir notre article Une visite à l’exposition-accrochage au musée d’Orsay « Hector Guimard et la genèse du Métropolitain ».
[7] Cette manœuvre est une supposition mais que nous croyons être suffisamment étayée pour être crédible. On se reportera au livre Guimard l’Art nouveau du métro, p. 31.
[8] Dans les derniers jours de 1899, en raison du blocage des projets « officiels », aucune solution concrète ne se présentait pour la CMP. Or l’intersession du conseil municipal avait été fixée du 31 décembre 1899 au 5 mars 1900. Si une décision ne pouvait intervenir qu’après cette date, la CMP ne pourrait alors pas mettre à temps les accès en fabrication pour une mise en exploitation prévue lors de l’Exposition universelle de 1900. Par une délibération du 30 décembre 1900, le conseil municipal a donc délégué à la Commission du métropolitain la possibilité d’accepter les projets d’accès pendant l’intersession.
[9] Il faut signaler que lors du concours organisé par la CMP en 1899, l’architecte Bonifassé avait également utilisé une forme rampante, de surcroit dans un style Art nouveau. Il avait obtenu un troisième prix ex-æquo pour l’édicule C (place de l’Étoile) et le journaliste Rivoalen (La Construction Moderne du 18 novembre 1899) reconnaissant qu’il s’agissait là d’une solution rationnelle pour abriter une descente d’escalier l’avait surnommé « l’audacieux rampiste de l’art nouveau ». Signalons aussi que certains accès du métro de New York, placés sur des trottoirs, ont utilisé une forme rampante à partir de 1904.
[10] À part l’édicule B (celui à toiture en V) qui a été adopté d’emblée, les plans des autres types d’accès ont ensuite reçu des modifications, notamment l’édicule A, et l’entourage découvert pour son portique. Comme pour l’accès de la station Tuileries, les deux cas particuliers de l’accès de la station Bastille du côté du chemin de fer de Vincennes et de celui de la gare de Lyon ont été traités plus tardivement.
[11] Le 19 juillet 1900, seules huit stations ont été ouvertes. Beaucoup d’accès, en particulier ceux devant recevoir un édicule ou un pavillon étaient encore provisoires avec une balustrade en bois. Les entourages découverts comportaient alors un portique provisoire en bois.
[12] Archives de Paris, 2Fi 324-327.
[13] Ces manœuvres ont commencé dès le printemps 1899, donc à un moment où l’on ne connaissait pas encore l’aspect qu’allaient prendre les édicules. Ces conseillers municipaux, issus des « beaux quartiers », craignaient en fait que ces édicules ne compromettent la beauté et la régularité des avenues. La délibération du Conseil municipal du 19 mai 1899 a supprimé les édicules sur la rue de Rivoli (stations Châtelet, Louvre, Palais Royal) remplacés par des entourages découverts à fond orthogonal et sur les Champs-Élysées (stations Champs-Élysées, Rue Marbeuf, Avenue de l’Alma) remplacés par des entourages découverts à fond arrondi. Mais le combat contre les édicules a continué et la délibération du Conseil municipal du 16 novembre 1900 a supprimé les édicules de l’Avenue Kléber, de la place Victor Hugo et de la place du Trocadéro (stations Kléber, Boissière, Victor Hugo et Trocadéro) au profit d’entourages découverts à fond orthogonal.
[14] Cet édicule a été transféré à la station Abbesses en 1974.
[15] Voir notre article Les signalisations d’entrée et de sortie des accès de métro de Guimard.
[16] Ainsi, Guimard avait dû modifier le montage initial trop fragile des porte-enseignes des entourages découverts, . Cf. notre article à ce sujet.
La journée d’étude Hector Guimard à l’Hôtel de Ville de Paris a été un grand succès. Des spécialistes de Guimard s’y sont relayés toute la journée dans une ambiance conviviale pour donner des synthèses des connaissances dans certains domaines, exposer des parallèles avec d’autres architectes contemporains ou encore pour présenter des nouveautés tout à fait passionnantes. Nous avons également bénéficié de communications de nos amies américaines car ce sujet d’étude a toujours été vivant de part et d’autre de l’Atlantique.
Le Cercle Guimard ne relâche pourtant pas ses efforts et propose pour clore l’année Guimard une conférence qui sera consacrée à l’histoire de la station de métro Tuileries. La conférence — gratuite — aura lieu le 17 décembre 2024 à 18 h, aux Archives de Paris, 18 boulevard Serurier, 75019 Paris, salle Paul Verlaine, sans inscription préalable, dans la limite des 100 places disponibles.
Qui imaginerait en descendant les escaliers de cette station de la ligne 1 que la mise en place de ses accès a été l’occasion d’une lutte sourde entre, d’une part le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et d’autre part le Service du Métropolitain de la Préfecture de la Seine ? De nouveaux documents découverts par l’équipe des Archives de Paris — à l’occasion de la mise en place de l’exposition Guimard qui s’y déroule jusqu’au 21 décembre — nous permettent d’en retracer les péripéties d’une façon plus précise que ce que nous avions pu écrire dans le livre consacré au métro de Guimard[1]
De plus, Le Cercle Guimard a eu la chance de bénéficier du don de plusieurs fragments de dessins originaux de Guimard qui nous renseignent sur son immiscion dans cette affaire, nous convainquant que les accès de la station Tuileries, si modestes aujourd’hui, auraient pu être des créations exceptionnelles et originales de notre architecte. Nous en dévoilons ci-dessous un détail, mais nous serons aptes à en montrer une vue plus complète au cours de la conférence du 17 décembre.
Après cette conférence, deux articles à paraître sur notre site ne seront pas de trop pour présenter ces nouveautés et pour compléter l’histoire des accès de cette station ainsi que de leurs avatars… et de leurs avanies.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, La Vie du Rail, 2012.
Ce sujet inusable, qui revient à la télévision presque aussi souvent que la déclaration de revenus, sera à nouveau traité par France 3 Régions Paris-Île-de-France dans l’émission Parigo qui a pour sujet habituel les mobilités (dures ou douces) en région parisienne :
Un petit rappel d’information étant toujours profitable, vous pourrez entendre les doctes explications prodiguées par notre guide conférencière Émilie Dominey et par Frédéric Descouturelle.
Un « replay » est désormais accessible sur le site de France Télévisions. Voici le lien : https://www.france.tv/france-3/paris-ile-de-france/parigo/3380065-hector-guimard.html
Le sujet de cet article qui concerne un aspect infime de l’œuvre de Guimard, avait déjà été abordé dans le livre consacré au métro[1]. Mais le besoin de l’approfondir s’est imposé à nous par la découverte d’une image ancienne inédite au sein d’un article de la presse étrangère d’époque[2]. L’étude de ces panneaux d’entrée et de sortie apporte une nouvelle preuve de l’attachement extrême qu’avait Guimard pour le traitement de chaque détail de ses œuvres. Elle touche aussi à un sujet beaucoup plus vaste que nous ne ferons ici qu’effleurer et qui est celui des dessins de lettrages. Cet exercice dans lequel Guimard s’est complu tout au long de sa carrière, a entrainé la création d’un très grand nombre de titres, d’en-têtes et de mentions sans que jamais il ne veuille fixer ses lettrages par le dépôt d’une ou de plusieurs polices de caractères. Au contraire, la liberté virtuose de son dessin, avec ses infinies variations, lui a permis d’individualiser presque chaque mention qui devenait ainsi un véritable logotype.
1- Les dédoublements d’accès
Rappelons que Guimard n’est réellement intervenu que sur les deux premiers chantiers du métro de 1900 à 1902. Par la suite, la CMP ayant récupéré les droits de ses modèles en 1903[3], elle continuera à installer des accès Guimard en les adaptant à des largeurs de trémies très diverses.
Sur le premier chantier en 1900, la plupart des stations n’avaient qu’un seul accès qui servait à la fois à l’entrée et à la sortie[4]. Le choix de la mise en place d’un accès unique était tout simplement motivée, pour la Ville comme pour la CMP, par une recherche d’économie, au mépris de la sécurité[5]. De même, toutes les stations des deux tronçons souterrains de la ligne 2 n’avaient qu’un seul accès lors de leur construction.
Cependant, certaines stations du premier chantier ont vu leur accès dédoublé en un accès d’entrée et un autre de sortie, pour plusieurs raisons. La plus évidente était la conformation particulière des lignes aux terminus. Les motrices des rames, après avoir débarqué leurs passagers sur un quai d’une première salle souterraine, poursuivaient leur route le long d’une boucle de retournement et allaient ensuite s’arrêter devant le quai d’une autre salle souterraine de la même station, afin d’y embarquer de nouveaux passagers pour le voyage de retour[6]. Cette configuration, avec deux édicules B, l’un pour l’entrée, l’autre pour la sortie, se rencontrait à la station Porte Dauphine[7], à la station Porte Maillot[8] et la station Porte de Vincennes[9].
D’autres stations du premier chantier ont également eu deux accès car une affluence importante y était attendue. C’était le cas à la station Nation en raison d’une correspondance à venir avec la future ligne circulaire B (scindée en lignes 2 et 6). Un édicule B servait ordinairement[10] à l’entrée et à la sortie et un second édicule B[11] était mis en service les jours d’affluence. Il servait uniquement à la sortie, le premier édicule ne servant plus alors qu’à l’entrée.
Édicule B d’entrée sur la place de la Nation, entre l’avenue Dorian et la rue Jaucourt. Photo parue dans la revue Le Mois littéraire et pittoresque en septembre 1901. Coll. auteur.La bonne compréhension de cet article nécessite la lecture préalable des deux articles précédents. Le premier traite du faux entourage de métro vendu par Bonhams à New York en 2019 et le second des autres faux entourages en bronze connus aux Etats-Unis.
Rappelons que Guimard ne travaille pour la CMP[1] que de 1900 à 1902. À partir de 1903, la compagnie utilise ses modèles pour équiper des accès de différentes largeurs avec des entourages découverts à fond orthogonal ainsi que des accès secondaires dont les derniers sont mis en place en 1922. En tout, 167 ouvrages Guimard seront créés[2]. En 1908 on enregistre la première suppression d’un accès. Épisodiques dans les années vingt, les démontages d’accès Guimard se multiplient ensuite et leur nombre enregistre un premier pic dans les années 30. Après la coupure de la Seconde Guerre mondiale et la reprise de la CMP par la RATP en 1945, les suppressions reprennent lentement dans les années 50 pour monter en flèche dans les années 60. Un premier arrêté de protection à l’ISMH en 1965 ne concerne qu’un petit nombre d’accès et il faudra attendre 1978 pour qu’une protection totale leur soit enfin offerte. À cette date, 79 accès Guimard ont été démontés. Parmi les entourages découverts subsistants, bon nombre ont vu leur portique fragilisé être remplacé par un candélabre Dervaux. En l’absence de pièces en stock issues de la récupération sur les ouvrages Guimard démontés depuis des décennies, l’entretien des accès subsistants nécessite dès 1976 la commande de nouvelles pièces réalisées par surmoulage à la fonderie GHM. Ce procédé induit un léger rétrécissement de ces copies en raison du retrait du métal lors du refroidissement qui suit la coulée. À partir de 1983, des fontes de nouvelle génération sont produites aux dimensions exactes grâce à la création de nouveaux modèles en aluminium moulé. C’est finalement en 2000 que la RATP réalise une campagne de restauration complète des accès Guimard, leur redonnant l’aspect qu’ils présentent aujourd’hui.
Les caractéristiques communes des faux entourages en bronze
Toutes les copies d’entourages en bronze dont il a été question dans nos deux articles précédents (nous en excluons celui de la National Gallery of Art de Washington) présentent de fortes similitudes entre elles. Ces entourages ne comprennent jamais de pierre de socle d’origine. Il s’agit toujours d’entourages découverts à fond orthogonal et jamais de fond arrondi[3]. Si le nombre de modules en longueur est variable et parfois incomplet, le nombre de modules en largeur est toujours de trois — configuration la plus courante sur le réseau parisien — ce qui correspond à une trémie d’environ trois mètres et permet de déterminer une largeur de porte-enseigne. La partie supérieure du porte-enseigne de ces entourages a une forme légèrement arrondie sur laquelle nous reviendrons plus loin mais qui détermine une augmentation de la hauteur de l’enseigne. Ces entourages ne comportent d’ailleurs jamais d’enseigne d’origine (qu’elle soit en lave émaillée ou en tôle rouge à lettres pochoir) ce que l’on serait en droit d’attendre du démontage d’un entourage ancien. Dans deux cas l’enseigne est en tôle peinte avec un lettrage discordant (tôle rouge avec lettrage blanc type édicule grand M pour Toledo ; tôle jaune avec lettrage vert entourage grand M comprimé pour la vente Phillips à New York). Pour l’entourage de Houston il s’agit de deux plaques d’un alliage de cuivre, peintes et rivetées sur un pourtour en fer avec un lettrage entourage grand M correct mais approximatif. Dans le cas de la vente Bonhams l’enseigne est tout simplement manquante.
Les photos détaillées fournies par la maison de vente Bonhams nous ont montré l’aspect initial de la mise en peinture de ces faux entourages.
Mais une étude plus précise est fournie par le rapport d’état de l’entourage de Houston rédigé par Steven L. Pine en 2002. Il mentionne une première couche d’accrochage couleur terre de Sienne brûlée posée sur le bronze, puis l’utilisation concomitante d’une peinture vert de chrome foncé et d’une peinture blanche pour les reliefs. Cette première mise en peinture est sans doute celle qui a prévalu pour la plupart des faux entourages en bronze puisque nous la retrouvons à peu de chose près sur le potelet d’angle de la vente Chayette & Cheval en 2019. Les faussaires n’ont pas poussé l’abnégation jusqu’à multiplier les repeints alors que les éléments anciens du métro de Paris ont subi au fil des ans de multiples mises en peinture avant leur restauration en 2000 où ils ont été décapés et repeints[4]. Pour les entourages de Toledo et Houston, exposés en extérieur, une nouvelle mise en peinture plus récente a été réalisée. Celui de Houston est recouvert par une peinture époxy verte rehaussée de blanc sur les reliefs.
Pourquoi le bronze ?
L’entourage découvert de métro en bronze vendu en 2019 par Bonhams à New York était en réalité le quatrième faux entourage de cette nature dont nous avons été informé et qui tous sont présents sur le territoire américain. Nous les présentons ci-dessous dans l’ordre dans lequel ils sont venus à notre connaissance mais qui n’est pas l’ordre chronologique dans lequel ils ont été fabriqués et vendus.
Vente Phillips à New York
La première copie en bronze est un entourage découvert incomplet comprenant un portique et seulement neuf modules. Il a été vendu le 24 mai 2007 par la maison de vente Phillips à New York sur Liveauctioneers. Estimé de 450 000 à 550 000 $, il a été adjugé 340 000 $[1]. À cette époque nous ignorions que ses pièces modelées étaient en bronze.
Nous pensions l’avoir perdu de vue quand nous est récemment parvenue la photo ci-dessous, prise au Driehaus Museum à Chicago.
Cette série de trois articles développe un aspect traité dans le livre Guimard L’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail. Nous y utilisons les termes d’entourages « anciens » ou « authentiques » du métro de Paris, de « copies » et de « faux » que nous devons tout d’abord expliciter. Nous considérons comme « authentiques » ou « anciens » les entourages et édicules du métro de Paris dont les éléments ont été édités d’après les modèles de Guimard depuis la création du métro en 1900 jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale en 1922. Cependant les accès de métro Guimard actuellement présents sur le réseau parisien ne sont qu’en partie authentiques car bon nombre d’entre eux ont subi à partir de 1976 des restaurations plus ou moins complètes où des éléments disparus ont été remplacés par des copies. Celles-ci ont été rééditées tout d’abord par surmoulage, puis avec de nouveaux moules aux dimensions exactes. C’est avec ces copies d’éléments qu’au cours de ces dernières années la RATP a fourni des entourages complets aux compagnies de métro de différentes villes étrangères (Lisbonne, Mexico, Chicago et Moscou). Il s’agit là de copies d’entourages, mais pas de « faux » au sens légal du terme puisqu’il n’a jamais été question de les faire passer pour des entourages anciens de Paris. En revanche, nous allons nous intéresser à une série de copies d’entourages qui sont des faux car ils ont été créés avec l’intention de les vendre comme authentiques.
En mars 2019 nous avons été contacté par la représentante en France de la filière américaine d’une maison de ventes aux enchères britannique bien connue : Bonhams. Elle nous proposait de nous prononcer sur un « exceptionnel ensemble de Guimard » et d’en rédiger la notice de présentation pour sa vente prévue en juin 2019 à New York. Pressentant de quoi il pouvait être question et contrairement à nos habitudes, nous avons répondu favorablement à cette demande. Nous avons alors eu confirmation qu’il s’agissait bien d’un nouvel entourage de métro parisien qui se vendait aux États-Unis…
Comme nous commençons à avoir une certaine expérience des « nouveaux-entourages-de-métro-parisien-se-vendant-aux-États-Unis » et sans encore dévoiler nos batteries, nous avons aussitôt demandé des précisions à Bonhams New York.
Le premier élément que nous avons voulu éclaircir était la nature du métal employé pour les pièces modelées de l’entourage. Comme nous nous y attendions, il nous a été répondu qu’elles étaient en bronze. Ce simple fait impliquait à lui seul que ces pièces avaient été surmoulées et coulées dans un matériau autre que les pièces originales [1] et que l’entourage était donc une copie.
Nous avons aussi demandé des photographies supplémentaires, ciblées sur des points où nous étions à peu près sûr de trouver matière à faire des commentaires. Les clichés qui nous ont été fournis confirmaient l’hypothèse d’une copie en montrant que certaines pièces modelées présentaient un aspect discordant avec celui qu’elles auraient dû avoir et que leur assemblage souffrait d’erreurs et d’approximations.
En plus des photos demandées, la maison Bonhams nous a fourni deux documents :
Afin de faciliter la description d’un entourage découvert, nous rappelons ci-dessous les noms que nous avons attribués à ses éléments constitutifs :
1- piliers (fonte).
2- arches (fonte).
3- porte-enseigne supérieur (fonte).
4- porte-enseigne inférieur (fonte).
5- étriers (fonte).
6- casques (fonte).
7- cimiers (fonte).
8- verrines de signalisation (originellement en verre soufflé-moulé) puis remplacées par des globes de signalisation (matériau de synthèse moulé).
9- écussons (fonte).
10- arceaux (fonte).
11- potelets de milieu (fonte).
12- potelets d’angle (fonte).
13- flammes (fers en U en acier laminé, découpés et pliés aux extrémités).
14- fers (fers en U en acier laminé).
15 & 16- lames (barres en acier laminé).
17- pierres de socle (Comblanchien).
18- enseigne (lave émaillée).
Nous avons donc envoyé à la maison de vente Bonhams l’argumentaire suivant :
Cet article développe un aspect traité dans le livre Guimard L’Art nouveau du métro, paru en 2012 aux éditions La Vie du Rail.
Dans un précédent article, nous avons vu que Guimard avait dû modifier la fixation du porte-enseigne des portiques des entourages découverts du métro. Cette notion repose sur l’observation d’un dessin ancien provenant de l’agence de Guimard et sur la comparaison entre ce dessin et l’état existant. Le dessin montrait clairement que Guimard avait primitivement eu l’idée de fixer les deux fontes du porte-enseigne aux arches par des rivetages transversaux.
Mais il a rapidement dû se rendre à l’évidence que ce mode de fixation était trop fragile et devait être sérieusement renforcé par une lame de fer passant sous le porte-enseigne et de fixations placées, cette fois, dans le plan frontal.
Fort de cette certitude, si on descend le regard le long des arches et que l’on observe leur mode de fixation sur les piliers, on peut légitimement se demander si, là aussi, Guimard n’aurait pas eu à renforcer le système de fixation qu’il aurait primitivement imaginé. Mais faute d’un dessin ancien rendant compte de sa première idée qui aurait pu être similaire à celle envisagée pour la fixation du porte-enseigne, nous en sommes cette fois réduit à émettre une hypothèse.
Grâce à la RATP, nous avions eu la possibilité de photographier séparément en atelier un pilier et une arche. La partie inférieure de cette dernière est creuse afin de venir coiffer une encoche qui fait protrusion sur le coté intérieur du pilier.
Il est fort probable que Guimard avait l’intention de fixer l’arche à ce niveau en deux points. La première fixation était prévue avec un boulon traversant l’arche et le pilier. Ce boulon, qui sera conservé dans le montage final, prend place sur l’arche au niveau d’un gros renflement où la matière semble refoulée par la pression qu’il exerce.
Un second point de fixation était sans doute prévu plus bas, à l’extrémité inférieure de l’arche. Il nous semble que le modelage de cette extrémité présente elle aussi un renflement autour d’un creux qui aurait pu être l’emplacement du point de fixation. S’il a effectivement été envisagé, ce point de fixation ne sera pas conservé dans le montage final.
Guimard va en effet renforcer la fixation de l’arche sur le pilier en se servant — comme pour celle du porte-enseigne inférieur sur l’arche — d’une lame de fer. Celle-ci vient se placer verticalement, dans un creux ménagé du côté intérieur de l’arche. Cette dernière a été complètement évidée face à l’encoche du pilier, de façon à ce que la lame puisse être vissée par taraudage à cette encoche. Plus haut, le vissage de la lame se poursuit en plusieurs points sur l’arche. Il n’assure alors plus le maintien de l’arche sur le pilier mais lui procure un soutien efficace. Sans elle, le risque de casse de cette pièce en fonte n’est pas négligeable en raison de sa position en porte-à-faux. La lame se termine sous la fixation de l’extrémité latérale du porte-enseigne. Sa présence passe le plus souvent inaperçue grâce à un masquage des joints par du mastic, le tout étant unifié par la peinture.
L’observation attentive du montage du montage du porte-enseigne sur les arches puis des arches sur les piliers a donc révélé une particularité : le fait qu’en adaptant son modelage aux impératifs techniques, Guimard en profite pour suggérer une déformation de la matière par l’application de forces de pression par les points de fixation. En raison du changement de mode de fixation qu’il a dû adopter en s’aidant de lames de fer et en abandonnant certains points de fixation, cette suggestion visuelle est devenue moins évidente.
Mais cette idée de déformation de la matière est également présente sur d’autres éléments du métro comme les pattes de fixation des potelets.
Elle est plus visible encore sur les pattes de fixations inférieures des écussons qui semblent étirées et pressées autour du point de fixation.
On peut aussi retrouver de semblables idées de déformation de la matière dans certaines des fontes artistiques de Guimard éditées à Saint-Dizier.
En dehors de toute intervention humaine, Guimard se plait aussi à représenter l’action d’une force naturelle, celle de la pesanteur.
Pour le métro, les bases des poteaux antérieurs des entourages secondaires, en débordant de leur socle en pierre illustrent également cette action de la pesanteur.
Cette suggestion de l’application de forces se conçoit aisément lors de la phase de modelage qui est effectuée avec de la terre glaise. Elle paraît sans doute moins légitime sur le tirage final en fonte, un matériau qui n’est pas particulièrement déformable. Cependant, il n’est pas impossible que Guimard ait voulu rappeler qu’avant de se figer, la fonte est passée par un état liquide qui a permis de la couler.
F. D.
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