Le monument commémoratif à Paul Nozal situé sur la commune de Le Tâtre en Charente (16) a bénéficié ces deux dernières années d’une campagne de mise en valeur exécutée par les services de la commune. Les travaux se sont achevés en fin d’année dernière.
Le processus d’inscription au titre des monuments historiques ayant abouti en 2021[1], nous avions été sollicités peu de temps après par le conseil municipal de la commune, soucieuse de restaurer le monument dessiné par Guimard et d’aménager son environnement immédiat. Surprise d’abriter sur son territoire ce qui était jusqu’à présent ignoré ou considéré au mieux comme une curiosité locale, la mairie cherchait à compléter ses connaissances sur l’histoire du monument.
En effet si l’accident automobile ayant provoqué la mort de Paul Nozal a été abondamment relayé dans la presse nationale et locale de l’époque, la date de l’installation du monument est moins précise, vraisemblablement antérieure à 1907[2]. Exécuté en pierre locale, son dessin est un rappel des piliers encadrant le portail d’entrée principal des magasins Nozal à Saint-Denis. Malheureusement, il a lui-même subi un accident dans les années 1960.
Longtemps remisé, il avait ensuite été réinstallé au même emplacement.
Depuis la fin des années 2010, et par les hasards heureux d’un réaménagement routier, le monument ne se trouvait déjà plus en bordure de la dangereuse Nationale mais le long d’une petite voie communale dont la tranquillité seyait mieux à sa fonction. La mairie avait profité de l’occasion pour nettoyer la stèle noircie par la pollution et les intempéries. La pierre avait ainsi retrouvé sa blondeur originelle.
Ce nettoyage avait aussi permis d’améliorer la lisibilité de l’inscription en découvrant au passage les quatre « x » (pour « OZAL ») portés en exposant de la lettre « N ». Autre découverte : la lettre grecque « Ω », symbole de fin et d’éternité qui clôture opportunément le texte.
Il ne restait plus qu’à aménager les abords et à installer un panneau explicatif dont nous avions fourni le texte. C’est désormais chose faite depuis la fin de l’année dernière. Le monument a donc retrouvé un environnement paisible, et les vaches du pré voisin un peu de tranquillité…
Ainsi que nous le faisons régulièrement, nous complétons et modifions les dossiers que nous publions sur le site de l’association au gré de nos recherches et de nos découvertes, mais aussi des informations que nos lecteurs nous communiquent en citant systématiquement nos sources et laissons de côté les théories au mieux distrayantes que l’on nous signale parfois sur internet.
Concernant le drame familial survenu en Charente et plus globalement sur les relations entre la famille Nozal et Hector Guimard, nous renvoyons nos lecteurs vers le dossier en deux parties déjà publié sur le site de l’association et qui vient d’être enrichi de documents inédits et de nouvelles informations issus des archives familiales et du Cercle Guimard : voyage de Paul Nozal et Hector Guimard à l’été 1901, clichés inédits du Chalet Blanc/La Surprise en construction et de la famille Nozal dans leur propriété du Ranelagh :
Bonne lecture.
Olivier Pons
Notes
[1] Inscription par arrêté du 09 avril 2021.
[2] Grâce au pèlerinage annuel effectué par la famille Nozal sur les lieux du drame, nous savons néanmoins que la stèle était en place en 1907.
Il y a quelques jours, le 23 juillet, la ville de Bléré (Indre-et-Loire) a inauguré une salle Hector Guimard. Située à l’entrée du cimetière, elle permet le recueillement des familles. C’est bien sûr en raison de la présence au sein du cimetière de la tombe de Nelly Chaumier dessinée par Guimard — première tombe en France de style Art Nouveau (cf. notre article) — que cette salle a reçu le nom de l’architecte parisien.
Nous avions auparavant été sollicités pour rédiger le texte de la plaque présentant Hector Guimard.
Nous publions ci-après un nouvel article de Marie-Claude Paris, professeure émérite et membre de l’équipe de recherche du Laboratoire de Linguistique Formelle à l’Université de Paris Diderot. Ses recherches continuent à éclairer l’entourage et la personnalité d’Hector Guimard. Marie-Claude Paris s’intéresse aujourd’hui aux liens entre Guimard et la famille Chaumier, commanditaire d’une tombe à Bléré, la première en France dans le style Art nouveau. Le hasard a fait qu’au même moment nous étions contactés par des responsables culturels de cette petite ville d’Indre-et-Loire, soucieux de mettre en valeur ce patrimoine. Nous aurons sans doute à reparler prochainement des initiatives qui sont prises localement pour signaler la sépulture Nelly Chaumier et présenter Hector Guimard.
Nous profitons de ce préambule pour rappeler à nos lecteurs que le Cercle Guimard accueille volontiers les articles qui lui sont proposés, qu’ils proviennent de chercheurs indépendants, de chercheurs attachés aux musées ou de chercheurs universitaires comme nous avons eu le plaisir d’en publier. Ce fut notamment le cas d’Isabelle Gournay, docteure en histoire de l’Art de l’Université de Yale et de Lena Lefranc-Cervo, doctorante en Histoire de l’art – Histoire de l’architecture, à l’Université de Rennes 2. Il reste bien entendu que les articles proposés doivent apporter de nouvelles informations, compléter celles qui existent ou permettre de faire évoluer la façon dont Guimard et son œuvre pouvaient être perçus à l’époque ou peuvent l’être de nos jours. Il va sans dire qu’ils doivent être soumis auparavant à notre relecture. C’est ainsi que, grâce à de nombreux contributions de collaborateurs, nous pensons avoir en une vingtaine d’années fait progresser les connaissances et la façon d’appréhender l’œuvre de Guimard tout en la contextualisant de mieux en mieux.
Présentation de la sépulture Nelly Chaumier
Cette tombe a tout d’abord été connue par une série de dessins faisant partie du fonds découvert en septembre 1968 par Alain Blondel et Yves Plantin à l’orangerie du Domaine de Saint-Cloud. Guimard avait obtenu l’autorisation d’y stocker des plans et des objets dans un hangar, à la suite d’une injonction de la veuve de Léon Nozal à la fin de l’année 1918 d’avoir à débarrasser les locaux professionnels qu’il occupait avenue Perrichont. Six dessins (GP 1503, GP 1504, GP 1505, GP 1506, GP 1507, GP 1508) témoignent de cette commande d’une tombe destinée à Nelly Chaumier.
Deux dessins (GP 1503, GP 1504) sont réalisés sur du papier quadrillé de petit format. Ils montrent la tombe vue de face, de profil, de trois quart et du dessus. Le premier porte la mention : « Sépulture Chaumier ».
Trois autres dessins (GP 1507, GP 1506, GP 1507) sont d’une plus grande taille, sur papier calque, à l’encre rouge et au crayon.
Les dessins GP 1503, GP 1504 et GP 1507 montrent une sépulture avec une pierre tombale inclinée et la volonté de lier dans un tout organique ses éléments principaux (stèle, pierre tombale et soubassement). Une grande croix pattée est partiellement dégagée dans l’épaisseur d’une haute stèle de forme arrondie. Ses branches horizontales, en se fondant dans la stèle, donnent l’impression de l’enserrer.
Les dessins GP 1505 et GP 1506 montrent une sépulture différente où les éléments sont moins liés entre eux. La stèle a une forme plus mouvementée pouvant évoquer une cape enveloppant une croix réduite en taille comme s’il s’agissait d’une tête. La pierre tombale n’est plus inclinée mais a acquis un volume presque cylindrique, creusé à sa surface supérieure d’une série de rainures transversales. Ce volume cylindrique est à rapprocher de celui qui sera adopté en 1900 pour la tombe Caillat au cimetière du Père Lachaise. Quant aux rainures elles évoquent celles qui ornent la pierre tombale de la sépulture Giron-Mirel-Gaillard, très classique et sans grand intérêt, construite par Guimard en 1895 au cimetière du Montparnasse. Sur le dessin GP 1505, la face avant, en forme d’oméga est à nouveau ornée d’une croix pattée.
Ces cinq dessins sont de simples esquisses qui ne donnaient aucune certitude quant à la poursuite de la commande. Mais un dernier dessin (GP 1508), réalisé au seul crayon sur papier calque, est d’une nature différente des précédents.
Il montre un lettrage particulièrement net, visiblement destiné à l’exécutant devant le graver sur la tombe, accréditant tout de même l’idée de sa réalisation effective et suggérant que la série des dessins définitifs est manquante dans le fonds de dessins recueilli en 1968. Sur ce GP 1508, le prénom de Nelly (peu courant à l’époque) est mentionné ainsi que les dates de naissance et de décès d’une personne peu âgée (58 ans). L’année 1897 correspond à cette période où Guimard faisait évoluer son nouveau style, passant d’un modelage « informe » à un modelage « mouvant ». À cette date, il travaillait encore sur les décors du Castel Béranger, venait d’achever la villa Berthe au Vésinet (1896) et l’armurerie Coutolleau à Angers (1896) et présentait son Porche d’une grande habitation parisienne en grès cérame à l’Exposition nationale de la céramique au Palais des Beaux-Arts en 1897. Étant donné la concordance stylistique entre les esquisses de la tombe et les réalisations de Guimard à ce moment là, nous sommes d’avis qu’il a été sollicité très peu de temps après le décès de Nelly Chaumier, alors que sa famille ne disposait pas de place dans un caveau. Cependant, sur aucun des documents que nous venons de citer ne figurait la localisation de cette sépulture.
Ce n’est que pendant l’été 2007 que le Cercle Guimard a été averti par une correspondante (Mme Dominique Guillemot) de l’existence d’une tombe signée Hector Guimard à Bléré dans l’Indre-et-Loire, non loin d’Amboise et de Chenonceau. Exécutée en calcaire et placée non loin de l’entrée du cimetière, elle s’est avérée être celle de Nelly Chaumier.
Cette recherche est une contribution à l’histoire de la tombe d’Albert Adès, dont l’architecte a été Hector Guimard et le statuaire Georges-Clément de Swiecinski. Outre les nouvelles informations que je souhaite apporter au lecteur, je cherche à unir le travail d’architecte d’Hector Guimard à celui de portraitiste de son épouse Adeline. C’est pourquoi je restitue les noms de personnages importants du temps d’Adès, bien qu’ils soient oubliés aujourd’hui.
Si le seul portrait d’Adès qui figure dans la présente recherche a été dessiné par lui-même, Adeline Oppenheim-Guimard a effectué trois portraits qui ont trait à l’entourage d’Adès : celui d’Inès, l’épouse d’Adès[1] ; celui du cardinal Dubois[2] qui a présidé une réunion officielle entre la France et l’Égypte et cela en présence de Paul Léon,[3] directeur des beaux-arts en 1921.
L’histoire de la tombe d’Albert Adès a déjà été écrite à deux reprises par Georges Vigne, d’une part dans son livre sur Hector Guimard[4] et, d’autre part, sur le site du Cercle Guimard en date du 14 novembre 2012. Dans ce second article, Vigne a donné une description de la tombe sur laquelle je ne reviendrai pas et a par ailleurs bien retracé la collaboration du sculpteur de la tombe, Georges-Clément de Swiecinski. Selon lui, la relation entre Swiecinski et Adès serait double : elle dériverait d’une fréquentation commune des milieux littéraires du Paris d’alors ou bien du fait qu’il ait connu de Swiecinski (dont le premier métier était chirurgien) en raison de son état de santé fragile. Par ailleurs, pour ce qui est du buste de la tombe d’Adès au cimetière du Montparnasse en 1922, Vigne suppose qu’il pourrait s’agir d’une réplique en pierre d’un premier buste préexistant, en plâtre ou en céramique. Je n’ai d’argument ni pour justifier, ni pour contredire ce point de vue.
Je ne traiterai donc que des relations personnelles ou professionnelles entre Adès et tous ceux qui, outre Guimard et de Swiecinski, ont permis qu’une tombe soit érigée en sa mémoire. C’est une façon de leur rendre hommage et de rappeler le rôle de la francophonie en Égypte au XIXe siècle. Le co-auteur et beau-frère d’Adès, Albert Josipovici, ainsi que les siens, feront nécessairement partie de ce tableau, bien qu’il n’ait pas été impliqué dans la réalisation de la tombe d’Adès.
Albert Adès, un écrivain égyptien francophone demeurant dans le XVIe arrondissement à Paris
Albert Adès et Albert Josipovici sont connus pour avoir co-signé en France deux romans : le premier Les Inquiets en 1914 sous le pseudonyme de A. I. Theix et le second Le livre de Goha le simple en 1919 sous leurs deux noms.
À mes yeux, ces deux auteurs font partie d’un groupe d’intellectuels plurilingues juifs qui ont adopté la France, et particulièrement Paris, comme terre d’élection et, surtout, le français comme moyen d’expression, contre l’anglais qui était alors aussi en usage en Égypte.[5]
Pour justifier mon point de vue, je me fonde sur la liste des personnalités qui ont assisté à l’hommage rendu à Adès au cimetière du Montparnasse, deux ans après son décès et sur l’amitié qu’Adès a entretenu avec le philosophe Henri Bergson. Edmone Adès, la fille d’Albert, a fait connaître au public quelques aspects de cette relation dans un petit recueil paru en 1949.[6]
Pour ce qui est du choix du sculpteur du buste de la tombe d’Adès, Georges-Clément de Swiecinski, je crois qu’il peut s’expliquer par la relation entre de Swiecinski et Albert Josipovici : de Swiecinski était médecin et chirurgien, tout comme le père de Josipovici et tous deux étaient roumains : ils exerçaient à Paris dans les années 1910-1930. À la mort d’Adès, Josipovici, qui avait été le secrétaire de Lazare Weiller,[7] a donc très probablement suggéré à ce dernier le nom du sculpteur qu’il connaissait.
Quant au choix d’Hector Guimard comme concepteur de la tombe d’Adès, on peut, comme Vigne, poser que Guimard et Adès ne se connaissaient pas. Mais je proposerai plutôt une hypothèse inverse : les Guimard et les Adès pouvaient se connaître car les Adès résidaient au 21 rue La Fontaine, dans le groupe d’immeubles construit par Guimard, dans les rue Gros, La Fontaine et Agar par l’entremise de la Société générale de constructions modernes. C’est en effet à cette dernière adresse que la fille des Adès, Edmone, est née le 29 août 1916.[8] Par ailleurs entre 1915 et 1917 Guimard avait créé un Comité d’étude et de propagande pour l’État-Pax dont le siège se trouvait 7 rue Agar, à quelques pas du domicile des Adès. Cette association militait pour la création d’un organisme international judiciaire, militaire et financier, l’État-Pax, dont le but était d’assurer la sécurité des peuples. Plus tard en 1920, Guimard était trésorier d’une fédération qui regroupait huit associations, dont l’État-Pax, pour organiser une société des nations.[9] Les Adès ne pouvaient donc manquer de savoir qui était l’architecte de l’immeuble qu’ils habitaient, puisque Guimard était très présent dans le quartier.
Par ailleurs, Adeline Oppenheim-Guimard entretenait une relation professionnelle avec les Adès, puisqu’elle a réalisé en 1919, à partir d’une photographie, un portrait d’Inès Heffès-Adès, l’épouse d’Albert, qui se trouvait alors en Égypte. Ce portrait a beaucoup plu à Albert, qui écrit à Adeline le 10 juillet 1919 :
« Si vous permettez à un cubiste d’approcher votre art tout en finesse et d’en parler, je vous ferai cet aveu, chère Madame, aux doigts magiques : vous m’avez rappelé que j’avais une femme charmante – et maintenant, je ne l’oublierai plus ! C’est vous dire à quel point m’est chère votre œuvre vivante et harmonieuse. Je vous en remercie de tout cœur ».[10]
Ce portrait sera exposé entre le 12 et 27 janvier 1922, dans les Galeries Lewis and Simmons, 22 place Vendôme à Paris, par Adeline Oppenheim-Guimard sous le numéro 2.
Donc à la mort d’Adès en 1921, Josipovici savait qui contacter pour lancer une souscription : son ancien employeur, le riche industriel et mécène Lazare Weiller. Par ailleurs, le nom d’Hector Guimard était connu par le couple Adès, tandis que celui d’Adeline l’était plus particulièrement par l’épouse d’Adès en tant que portraitiste et que voisine.
Avant de décrire le cercle des amis d’Albert Adès qui ont permis l’érection de la tombe au cimetière du Montparnasse, je donnerai quelques indications biographiques sur Adès et son co-auteur Josipovici ainsi que sur leurs couples.
Biographies familiales et littéraires d’Albert Adès et d’Albert Josipovici
Outre leur complicité en tant qu’auteurs et amoureux de la littérature, Adès et Josipovici ont partagé une autre complicité. Ils ont épousé deux sœurs : Inès et Yvonne. Les deux couples cohabitaient à Triel-sur-Seine entre 1914 et 1919. Les deux sœurs avaient des goûts différents : Inès aimait l’Égypte tandis que Yvonne préférait l’Europe.
Albert Adès (11/2/1893 – 18/4/1921) et Inès Heffès (1893 – 28/1/1931)
Albert Siaho Adès était un écrivain égyptien, fils du banquier Siaho Adès,[11] qui avait épousé Hélène de Picciotto, une jeune fille issue d’une famille juive de quatorze enfants, très riche et influente au Caire et à Alexandrie. Adès aurait aimé être peintre,[12] tout comme son cousin Jules (Josiah V.) Adès, mais son père l’a contraint à étudier le droit. Hélène, la mère d’Albert, très francophile, a longtemps vécu à Paris, où elle est décédée. Après la mort de son fils à la villa Gil Blas à Arcachon en 1921, elle maintiendra des contacts avec le peintre Emmanuel Gondouin (1883 – 1934),[13] qui était un ami de son fils, et publiera quelques pages sur Albert.
Figurent ci-dessous les relations familiales entre Albert et son épouse Inès : à gauche la famille d’Adès,[14] à droite la famille de son épouse.[15]
Inès et Albert se marient vers 1914, probablement en Égypte. Albert décède d’une maladie rare le 18 avril 1921 à Arcachon[16], où ses médecins l’avaient envoyé. Il y est vraisemblablement enterré de façon provisoire puisque son inhumation au cimetière du Montaparnasse ne s’est faite que le 5 septembre 1921[17]. Après le décès d’Albert Adès, Inès Heffès-Adès épouse en secondes noces le 29 décembre 1929 Walter Max Kraus, un médecin américain, qui s’occupait des maladies nerveuses et mentales, de l’encéphalite léthargique et de la sclérose en plaques. Il était connu tant à Paris qu’à New York. Inès décède à 38 ans en 1931, place Possoz dans le XVIe arrondissement à Paris, deux ans après son remariage. Elle est inhumée au cimetière du Montparnasse à côté de son premier époux.
Albert Josipovici (7/12/1892 – 8/12/1932) et Yvonne Heffès
Albert Josipovici a été envoyé adolescent en France pour y effectuer ses études secondaires comme pensionnaire à Melun. Il est rentré ensuite au Caire pour suivre des études de droit à la Faculté française d’Égypte, où il a rencontré Albert Adès et son cousin Jules Adès.[18] Le père d’Albert Josipovici – le Dr Sando Josipovici – était le médecin de la famille Adès. Albert Josipovici a épousé Yvonne Heffès en 1911. En 1926 il habitait 94 avenue Mozart à Paris. Rattaché au corps diplomatique d’Égypte, il était Secrétaire délégué aux affaires commerciales. En 1928 il a publié Le beau Saïd, roman qui met en scène deux frères de façon un peu binaire. Il a appartenu à L’Association littéraire et artistique internationale, fondée en 1878 par Victor Hugo, et a participé à son congrès qui s’est tenu au Caire en 1929. Avant sa mort, en décembre 1932, il préparait David chez les chrétiens, roman qui décrit la réaction d’un juif[19] parmi les chrétiens, surtout par rapport aux protestants. Le fils d’Albert et d’Yvonne Josipovici, Jean (François) Josipovici,[20] est né en 1914 à Triel-sur-Seine dans les Yvelines, au 252-254 rue Paul Doumer (à l’époque Grand Rue), où les deux couples occupaient une grande maison, lors de la rédaction de Goha le simple. À Triel, Josipovici et Adès étaient les voisins proches de l’écrivain Octave Mirbeau à Cheverchemont.[21] Ils lui apportèrent le manuscrit qui fut remanié grâce à lui. La grandiloquence en fut réduite, le style épuré et plus efficace. Mirbeau écrira : « Je n’ai compris l’Orient, je ne l’ai vécu que le jour où j’ai lu Goha le Simple ». Entre Adès et les époux Mirbeau une grande amitié s’est alors développée, amitié qui perdurera entre Mme Mirbeau et Albert Adès au-delà du décès d’Octave Mirbeau en 1917.[22]
Adès et ses amitiés littéraires : un comité de soutien pour sa tombe
Si Adès, tout comme le couple Guimard, habitait le quartier d’Auteuil, les milieux qu’ils fréquentaient ne se recoupaient pas du tout. Ci-dessous je décrirai les activités littéraires des camarades d’Adès : celles-ci ne sont pas partagées par l’architecte. J’en conclus que la relation de voisinage entre les Adès et les Guimard s’est renforcée par l’intermédiaire d’Adeline Guimard, portraitiste de Mme Adès en 1919.
Après l’écriture de Goha le simple, la cohabitation et la collaboration entre les deux auteurs s’est rompue. Ceci explique pourquoi lors de la mort prématurée d’Adès, le nom de Josipovici ne lui est plus associé. Huit mois après le décès d’Albert, un comité de soutien composé de cinq auteurs et d’un éminent industriel s’est établi à l’extrême fin de l’année 1921. C’est ce comité qui rendra possible à Paris l’érection d’un monument funéraire en l’honneur du défunt. Il était composé de Marcel Berger, André Obey, Denys Amiel, Adolphe Orna, Chekri Ganem et de Lazare Weiller. Nous apportons ci-dessous quelques informations à leurs propos.
À Auteuil, un groupe d’écrivains qui se nommait Le Canard Sauvage,[23] se rencontrait et collaborait à la rédaction d’articles, de pièces de théâtre ou de romans. Y participaient, en particulier, Marcel Berger, agrégé de lettres, qui dans l’Écho Sioniste informait du décès d’Adès.
Marcel Berger (1885 – 1966) pratiquait des activités sportives avec son ami André Obey (8/5/1892 – 11/4/1975) auteur dramatique, qui deviendra Administrateur général de la Comédie Française (1945 – 1947). Ensemble, ils ont publié une collection de romans dirigée par Colette (Colette Willy ou Colette de Jouvenel) et ont terminé le roman inachevé d’Adès Un roi tout nu. Leur addition au travail d’Adès sera plutôt mal accueillie par la critique.[24] Obey était un ami du peintre Emmanuel Gondouin.[25]
L’Écho sioniste du 1er janvier 1922 a fourni un aperçu vivant de la relation Berger-Adès. Berger y a mentionné leur voisinage dans le XVIe arrondissement avec leurs enfants du même âge (trois ans). Berger ajoutait qu’Adès « n’avait pas craint d’abandonner la situation solide que ses autres qualités éminentes lui avaient valu d’obtenir ; choix qui l’aiguillait vers la route certainement la plus pénible, celle où lutte et peine aujourd’hui tout artiste respectueux de son art, aura hâté peut-être sa fin… Le ton impérieux des médecins l’envoyant à Arcachon nous avait donné à penser ; depuis lors nous étions sans nouvelles… ». Dans la revue Correspondance d’Orient du 30 avril 1921, Berger écrivait à propos de Le livre de Goha le Simple :
« Ce fut un événement dans Paris. Les connaisseurs admirèrent, la trame d’un style souple et robuste, et l’ironie, la poésie, la philosophie se mêlant pour faire de cette fresque orientale comme un de ces divins miroirs où l’humanité de tous les temps vient, contempler ses mille visages. Le grand public était sensible au puissant jaillissement de vie dont, se gonflait toute l’œuvre, aux aspects nerveusement sensuels ou finement mélancoliques de conte, où des élans épiques se résolvaient volontairement en des naïvetés de fabliau. »
Denys Amiel (1884 – 1977) auteur de théâtre, vice-président de la Société des auteurs dramatiques (dans les années 1930) a signé une pièce à succès en collaboration avec Obey, La Souriante Madame Beudet, qui est entrée au répertoire de la Comédie Française. Tout comme Berger, Amiel résidait dans le XVIe arrondissement. Engagé volontaire, il a fondé une revue française à New York (1917-1919) et a dirigé l’hôpital des aveugles de guerre franco-américain, 14 rue Daru. En 1932, le théâtre de l’Odéon a présenté l’une de ses pièces L’âge de fer.
Adolphe Ornac (1882 – 1925), qui écrivait aussi sous le pseudonyme féminin d’Élizabeth Strauss, était un auteur de pièces de théâtre né en Roumanie à Galatz sur le Danube. Auteur juif polyglotte, Ornac est mort à 43 ans, au moment où il allait acquérir la nationalité française. En 1924 une pièce de théâtre de sa composition Mademoiselle Le feu a été jouée au Théâtre de l’Odéon. Il a co-écrit avec Mattei Rousseau, La maison d’Israël, une pièce traitant des pogroms en Russie. Cette pièce sera jouée en 1933 au Théâtre de la Renaissance en réaction aux persécutions nazies contre les juifs.
Chekri (Ibn Ibrahim) Ganem (1861 – 1929) était un écrivain libanais et un poète d’expression française en lutte contre la domination ottomane. Il résidait dans le XVIe arrondissement. Il est décédé à Antibes, peu après sa nomination au grade de commandeur de la Légion d’honneur à l’âge de 68 ans. Avec Georges Samné, il codirigeait la revue Correspondance d’Orient (politique, économique et financière). En 1910, Maurice Ravel a composé la musique de la pièce de Ganem, intitulée Antar, [26] qui décrit les exploits d’un poète arabe du XIIe siècle.
Le sculpteur de la tombe d’Adès : Georges-Clément de Swiecinsky (1878 – 1958)
Le sculpteur Georges-Clément de Swiecinski (Radautz Bukovine, Roumanie, 5 mai 1878 – Guéthary, 17 janvier 1958) a été choisi pour collaborer avec Hector Guimard pour effectuer un buste d’Adès. Ce choix qui est arrêté à la fin de 1921 revient très probablement à Albert Josipovici. Le père de ce dernier, médecin d’origine roumaine était à la fois le confrère et le compatriote de de Swiecinski dont la première carrière à Paris était aussi celle d’un médecin/chirurgien passionné de sculpture dès les années 1910.
Le comte Georges-Clément de Swiecinski a effectué ses études de médecine et de chirurgie en Roumanie à Iasi. Il a été interne des Hôpitaux de Paris en 1902 et a soutenu une thèse sur l’hystérectomie en 1909. C’est au laboratoire d’anatomie des hôpitaux de Paris, où il dessinait et moulait des corps, qu’est née sa vocation de sculpteur. En 1912, en même temps qu’il exerçait la médecine au 22 boulevard Raspail, il a occupé un atelier de sculpteur dans la villa Brune où étaient installés d’autres artistes qui deviendront très connus (Brancusi, Lipchitz, Zadkine…). Pendant la première guerre mondiale, il s’est engagé volontairement comme chirurgien auxiliaire attaché aux ambulances. En 1919, à Guéthary où il séjournait à l’hôtel, le romancier et poète Paul-Jean Toulet l’a encouragé à sculpter à la carrière de pierre Sarrailh. Dès 1920 il a exposé ses sculptures à Paris à la galerie Brunner, rue Royale, dont des bas-reliefs du Ramayana. La même année, il a exposé une très remarquée Jeune fille basque en taille directe, c’est-à-dire sans esquisse, sans maquette, ni modèle préalable.
En 1922, il s’est installé en tant que sculpteur dans sa villa Lekautz-baïta (ce qui signifie « lieu froid ») au pays basque à Guéthary, au bord d’une falaise. Naturalisé français en 1923, il a épousé Marie Clémence Dominici, une Corse, veuve du comte de Sesmaisons. Outre la sculpture, il s’est aussi fait connaître pour ses terres cuites, ses bronzes, ses marbres et ses céramiques.
Plusieurs de ses œuvres se trouvent aux musées de Pau et de Guéthary. Il a fait don de ses œuvres (sculptures et céramiques) à la villa Saraleguinea, devenue le très joli musée de Guéthary, au sein du parc André Narbaïts. Après avoir été évincé au profit de sculpteurs locaux pour des commandes publiques et après le décès de son épouse en 1956, il est décédé le 17 janvier 1958, presque aveugle et sans ressources, à l’hôtel Guruzia. Une sépulture a été offerte par la mairie, puis laissée à l’abandon. Le musée de Guéthary (http://musee.guethary.free.fr/sa_vie.htm) présente agréablement la vie et l’œuvre de cet artiste encore aujourd’hui méconnu[27].
La tombe d’Albert Adès : le comité d’honneur et la souscription
Le journal Le Radical du 20 décembre 1921 nous apprend qu’un monument funéraire en l’honneur d’Adès sera érigé grâce à une souscription :
« L’architecte Hector Guimard et le sculpteur G.-C. de Swiecinsky ont composé le monument qui sera érigé au cimetière du Montparnasse. Les souscriptions sont reçues à Paris chez le trésorier M. Fernand Braun, 5 avenue de l’Opéra ».
Cette annonce nous permet de conclure que l’épouse d’Adès, sans profession et en charge d’une petite fille de deux ans, n’était pas en mesure de financer la construction d’une sépulture sortant de l’ordinaire au cimetière du Montparnasse. Quant au comité d’honneur qui lance la souscription, il comprend neuf membres qui sont : Mme Octave Mirbeau, Henri Bergson, Chekri Ganem, Gustave Geffroy, Maurice Maeterlinck, Pierre Mille, Claude Monet, Camille Saint Saëns, Lazare Weiller. Voici ci-dessous quelques indications qui nous permettent de situer les neuf membres de ce comité.
Le trésorier Fernand Braun (Alexandrie, 13/05/1882 – Paris, 22/09/1968)[28] était un juriste international, qui est né et a travaillé en Égypte, tout d’abord comme directeur d’une revue littéraire à Alexandrie, puis en tant qu’avocat à la cour d’appel mixte d’Égypte, ainsi qu’à New York et à Paris. Sa mère était alsacienne et son père bijoutier. Farouche défenseur de la langue française en Égypte, il a fondé et dirigé, entre autres, la Nouvelle revue d’Égypte ainsi que La Revue d’Égypte et d’Orient (1900-1914) dans laquelle il demande l’appui de tous les francophiles et celui de la France pour l’enseignement du français — appel qui ne trouvera aucun écho concret.
En 1911, parce qu’il était juif, il a été attaqué dans le quotidien nationaliste L’Action française. Entre 1903 et 1921, Braun a entretenu une correspondance régulière[29] avec Camille Saint-Saëns dont il admirait les œuvres musicales et surtout les opéras. Parfaitement bilingue en français et en anglais, il a été mobilisé avec son frère Edmond pendant toute la première guerre mondiale dans des services de traduction de l’armée britannique. Il a choisi de rester en France à partir de 1919 et s’est établi comme avocat international au 5 avenue de l’Opéra. En 1923 il a publié une thèse de sciences économiques intitulée Le Régime des sociétés par actions aux États-Unis, ouvrage bien accueilli par ses collègues juristes.
En 1924, lors de la visite du roi égyptien Farouk Ier, Fernand Braun, Chekri-Ganem et Lazare Weiller, alors sénateur, ont participé avec le ministre plénipotentiaire d’Égypte Mahmoud Fahkry Pacha (1884 – 1982) ainsi que le gouverneur militaire de Paris, le général Gouraud (1867 – 1946), à une cérémonie en hommage au Soldat inconnu, place de l’Étoile à Paris. Secrétaire général très actif de l’Association France-Égypte à Paris, Braun s’est occupé de la publication annuelle d’un ouvrage « littéraire ou scientifique en langue française de nature à contribuer au resserrement intellectuel des deux pays ». Ainsi, par exemple, en 1950 le comité de lecture de cette association a sélectionné sous l’égide de Braun l’ouvrage de Victoria Archarouni sur Nubar Pacha.[30] Il était aussi membre de la Société khédiviale : Revue de la société royale d’économie politique, de statistiques et de législation, dont l’adresse du siège était celle de son bureau, près du Palais Royal. Il a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur le 4 février 1939.
Mme Octave Mirbeau[31] (née Alice Regnault, 1848 – 1931) a continué d’apporter à la mémoire d’Adès le soutien et l’amitié que son époux, décédé en 1917, prodiguait à Adès. C’est elle qui a su réunir des auteurs, des artistes et l’industriel Weiller pour rassembler les fonds nécessaires à la construction de la tombe d’Adès.
Le philosophe Henri Bergson (1859 – 1941), professeur au Collège de France, avait rencontré Adès et entretenu avec lui une correspondance dont nous avons la trace grâce à Edmone, la fille d’Adès. Bergson et Adès étaient voisins dans XVIe arrondissement.[32]
Gustave Geffroy (Paris, 1855 – Paris, 1926) était un ami d’Edmond Goncourt, de Mirbeau, de Rodin, de Claude Monet[33] et de nombreux autres peintres. Il a peut-être rencontré Adès[34] chez les Mirbeau. Journaliste, romancier, critique et historien d’art, il terminera sa carrière comme administrateur de la Manufacture des Gobelins.
Maurice Maeterlinck (1862 – 1949) d’abord avocat, puis dramaturge, était aussi reconnu comme poète symboliste. C’est Octave Mirbeau qui l’a rendu célèbre grâce à un article dans le Figaro en 1890. Dans une lettre à sa future épouse, Adès mentionne une rencontre avec Maeterlinck à Saint-Wandrille.[35]
Pierre (Louis) Mille (1864 – 1941) était un fonctionnaire colonial, écrivain et journaliste, correspondant du journal Le Temps. Il a résidé en Tunisie, au Tonkin, au Cambodge, à Madagascar, en Afrique occidentale française et en Égypte, où il a travaillé entre autres pour La banque égyptienne. Il a fondé L’Académie des sciences d’Outre-mer ainsi que L’Association des écrivains coloniaux. Il était Commandeur de la Légion d’Honneur. Une rue du XVe arrondissement de Paris porte son nom. Lors de salons artistiques, il n’est pas impossible qu’Adeline Guimard ait rencontré l’épouse de Pierre Mille — Yvonne Serruys (1873-1963), peintre et sculptrice, membre de L’Union des femmes peintres et sculpteurs, qui participait au Salon des artistes français.
Claude Monet (1840 – 1926) a rencontré Mirbeau en 1884 par l’intermédiaire du galeriste Paul Durand-Ruel. Tous deux ont partagé une amitié de plus de trente ans ainsi qu’une passion pour les jardins floraux : Damps pour Mirbeau et Giverny pour Monet. Les lettres de Mirbeau à Monet ont été publiées. Adès a dédicacé à Monet Le livre de Goha le Simple comme suit : « Hommage respectueux. Claude Monet, le peintre immense en qui Mirbeau puisait ses dernières joies. Son admirateur Albert Adès ».
Camille Saint-Saëns (1835 – 1921) a lui aussi vivement pris parti pour le capitaine Dreyfus. Poète et prolifique compositeur de musique, brillant pianiste et organiste,[36] travailleur et voyageur infatigable, Camille Saint Saëns a particulièrement aimé l’Égypte[37] et l’Algérie, où il a été reçu avec tous les honneurs. En Égypte il a séjourné au palais du Khédive et rencontré Fernand Braun, qui lui vouait une immense admiration. En 1915, Saint Saëns a joué avec Monet dans un film de Sacha Guitry. En 1917, il a été décoré de la Grand-Croix de la Légion d’Honneur. Il est décédé à Alger le 19 décembre 1921, après 75 ans de carrière. Son corps a alors été transféré à Marseille, où Fernand Braun lui a rendu hommage. Ses obsèques nationales, présidées par le cardinal Dubois,[38] se sont tenues à la Madeleine le 24 décembre en présence de nombreuses personnalités dont le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, Léon Bérard et le Directeur des Beaux-Arts, Paul Léon.[39]
Lazare Jean Weiller (1858 – 1928) a été l’un des industriels les plus remarquables de la Troisième République.[40] Après des études au lycée Saint-Louis à Paris et à Oxford, il a fondé en 1880 les Tréfileries et Laminoirs du Havre pour produire des câbles sous-marins et des câbles téléphoniques. Après une mission aux États-Unis, en 1903-1904 il a créé la Compagnie générale de navigation aérienne. Après avoir été nommé Commandeur de la Légion d’honneur en 1912, il s’est consacré à la politique en étant élu député de Charente en 1914, puis sénateur du Bas Rhin en 1920. Très fortuné, il aimait collectionner les châteaux et y effectuer des travaux. Natif de Sélestat, il a pris la défense des populations alsaciennes. Son fils Paul-Louis Weiller (1893 – 1993) capitaine d’industrie, grand collectionneur et membre de l’Institut, a écrit une belle biographie de son père, intitulée « Un précurseur : Lazare Weiller », dans L’Annuaire de la société des amis de la bibliothèque de Sélestat, XXII, 1973, p. 81-87.
Lazare Weiller connaissait Adès grâce à Albert Josipovici, son ancien secrétaire. Onze mois après le lancement de la souscription pour la stèle à la mémoire d’Adès, la somme recueillie est de 14.000 francs, selon L’Humanité du 26 novembre 1922. Hector Guimard avait probablement dessiné la tombe soit avant, soit dès la fin de la souscription. Quelques mois plus tard, Gilbert Charles du Figaro du 29 avril 1923 écrit que la cérémonie d’inauguration du « modeste » monument a eu lieu la veille.
En guise de conclusion
Par l’intermédiaire d’Albert Adès, voisin des Guimard dans le XVIe arrondissement à Paris, j’ai essayé de montrer comment le travail de portraitiste d’Adeline Guimard est lié à celui d’Hector Guimard, dessinateur de monuments funéraires. Envisagée de cette façon, cette recherche constitue une suite à celle que j’ai effectuée en 2017 à propos de la tombe de Pavel Grunwaldt (voir le site : le cercleguimard.fr : Sépulture Grundwaldt : l’énigme de la consonne muette, 17 avril 2017). Adeline a exposé les portraits de Pavel Grunwaldt et d’Inès Adès en 1922 à Paris, tandis que son époux a dessiné les sépultures des familles Grunwaldt et Adès, respectivement aux cimetières de Neuilly-sur-Seine et du Montparnasse.
Marie-Claude Paris
Références bibliographiques
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Correspondance d’Orient : revue politique, économique et financière, revue dirigée par Chekri-Ganem et Georges Samné (de 1908 à 1929) puis par G. Samné jusqu’à 1945.
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Laget, Thierry, « L’attribution du prix Goncourt à Marcel Proust », Bulletin d’informations proustiennes, n° 14.63-71, Paris, Éditions rue d’Ulm, 1983.
Larcher, Pierre, « La réception des sîra-s en Occident : Antar de Chekri Ganem (1910) », Lectures du Roman de Baybars, sous la direction de Jean-Claude Garcin, Parcours méditerranéens, Éditions Parenthèses/ MMSH. 245-261, 2003.
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Addenda sur des questions stylistiques
Nous voulons profiter de l’opportunité de la publication de cet article pour ajouter quelques observations qui sont cette fois de nature stylistique. Dans son second article consacré à la tombe Adès, paru sur le site du Cercle Guimard en 2012, Georges Vigne a bien établi que Guimard avait voulu lui donner un caractère antiquisant, tout en conservant partiellement son style moderne propre. Nous apportons ci-après quelques notions et commentaires supplémentaires.
En raison du décalage temporel d’environ un an qui a existé entre l’inhumation d’Albert Adès (le 5 septembre 1921) et la date des travaux de Guimard (datation de la tombe en 1922, quelques mois avant l’inauguration qui ne s’est faite que le 28 avril 1923), il a probablement existé une première tombe provisoire. Malgré sa simplicité extrême, il ne s’agit pas de la partie antérieure de l’actuelle sépulture, car la signature de Guimard est gravée sur la face avant de sa dalle en pente, signe qu’il est bien le concepteur de l’ensemble. Si banale qu’elle paraisse, cette dalle contient tout de même deux particularités qui la rattachent à la stèle : une face avant biseautée et un petit fronton triangulaire à l’arrière, rappelant celui des temples grecs.[41] La stèle qui capte tout le décor est construite autour d’un obélisque tronqué qui reçoit le buste. Cet obélisque — motif égyptien antique évident — est lui-même encadré et même fusionné avec deux piliers supportant un lourd linteau, le tout formant un écrin au buste. À la partie inférieure du linteau, une moulure classique apparaît coupée à ses deux extrémités, comme s’il s’agissait d’un fragment monumental antique. Ce détail est d’ailleurs contredit par le motif de frise présent à mi-hauteur et qui se poursuit à angle droit sur les deux tranches du linteau, comme s’il avait été ultérieurement gravé en creux. Ce motif qui est probablement une invention de Guimard, n’est pas de style Art nouveau, ni antique, ni vraiment orientalisant.
Les piliers sont d’un caractère différent car Guimard y introduit son propre modelage. Sur de larges cannelures verticales qui s’éloignent des ordres classiques, il fait naître des renflements organiques qui inventent un nouveau modèle de chapiteau. Le « Style Guimard » ne se manifeste qu’à un autre endroit : de part et d’autre du tronçon d’obélisque, sous la forme de deux jaillissements avec son « bouillonnement » caractéristique dont les premières apparitions remontent à une vingtaine d’années plus tôt.
Avec des moyens somme toute réduits, Guimard est parvenu à faire de cette sépulture, la plus haute de toutes ses voisines, la rendant visible loin à la ronde. Cette démarche ne nous est pas étrangère puisqu’elle rappelle qu’il s’était arrangé pour que son pavillon soit le plus haut de tous au sein de l’Exposition de l’habitation au Grand Palais en 1903 et que le beffroi de sa mairie du Village Français parvenait à se hisser au-dessus du clocher de l’église…
Dans leurs articles, Marie-Claude Paris et Christine Grasset ont bien établi le parallèle qui a existé dans le cheminement des commandes des sépultures Grunwaldt et Adès, deux familles juives d’émigration récente. Ces commandes toutes deux passées et réalisées en 1922 ont donc été rendues possibles par les relations de voisinage, la proximité relationnelle et en quelque sorte « catalysées » par Adeline Oppenheim-Guimard et son activité de portraitiste. Ce parallèle peut être poursuivi sur la description des sépultures, aussi dissemblables qu’elles puissent paraître de prime abord. En effet, le monument Grundwaldt qui affecte la forme d’une chapelle, a été commandé par une famille opulente et a dû coûter beaucoup plus cher que la tombe Adès, plus modestement financée par une souscription.
Mais les analogies entre les deux sépultures sont plus nombreuses. Tout d’abord, elles abritent toutes deux un buste du disparu (en bronze et préservé à l’intérieur du monument pour Grunwaldt, en marbre et encadré au sein de la stèle pour Adès).
Dans les deux cas, les sépultures ne comportent pas de références confessionnelles,[42] ce que nous interprétons pour ces deux familles, l’une d’origine ashkénaze, l’autre d’origine séfarade, comme une volonté d’intégration à l’idéal républicain laïc de la Troisième République.
Enfin, ces deux tombes rappellent par leur décors les pays d’origine de leur premier occupant, avec un fronton de style néo-russe pour Grunwaldt,[43] une évocation de l’antiquité égyptienne et grecque pour Adès.
Nous profitons de cette comparaison pour évoquer un autre point commun, moins heureux celui-ci, entre les tombes : l’état préoccupant des deux sépultures qui ne cessent de se dégrader.
Un dernier point mérite d’être commenté : celui du changement dans les inscriptions qui est intervenu sur la stèle. La photographie prise à l’occasion du discours de Pierre Mille lors de l’inauguration de la tombe Adès permet de distinguer les inscriptions telles qu’elles avaient été conçues à l’origine par Guimard. On voit qu’il a soigneusement varié les tailles des caractères (« Adès », « Admirateurs » et dans une moindre mesure « Amis » étant ainsi mis exergue) et qu’il a groupé les inscriptions en trois paragraphes (l’identité du défunt, les commanditaires de la tombe, les œuvres littéraires du défunt).
Mais les photographies actuelles (prises à partir de 2003) montrent une toute autre disposition des inscriptions. Un « A » est apparu au-dessus du nom d’Adès qui reste en gros caractères alors que sur les autres lignes les hauteurs des lettres ont été plus ou moins égalisées. On constate aussi que si les « A » sont restés identiques à ceux d’origine, le dessin des autres caractères a changé (notamment les « E » et les « S ») et que les séparations entre les groupes de lignes se sont estompées. Ces changements qui affaiblissent l’originalité des inscriptions d’origine, ne sont probablement pas dus à Guimard. Nous hésitons à les attribuer au comité d’honneur qui aurait pu être insatisfait de la faible taille des titres des œuvres d’Adès. Faute d’informations plus précises[44], nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une remise en forme des inscriptions qui ont progressivement été dégradées par les intempéries, comme le sont le reste des motifs sculptés. Cette modification a ainsi pu être commandée par la famille et exécutée par un graveur en lettres quelque peu routinier.
Signalons enfin que la tombe présente maintenant un état qui est devenu préoccupant et qui nécessite des travaux d’entretien sérieux avant qu’une dégradation irrémédiable ne survienne.
Frédéric Descouturelle et Olivier Pons
[1] Vigne, Georges ; Ferré, Felipe, Guimard, éditions Charles Moreau & Ferré, 2003, p. 252.
[2] Adeline Guimard a exposé le portrait du cardinal Louis Ernest Dubois (1856-1929), qu’elle avait réalisé en 1922, lors d’une exposition qui s’est tenue du 09 au 27 Novembre 1943 aux Arthur U. Newton Galleries, 11 East 57th Street, New York City.
[3] En 1918 lorsque Mme Veuve Léon Nozal demande à Hector Guimard de libérer les ateliers qu’elle lui louait avenue Perrichont prolongée, Hector écrit à Paul Léon (1874 – 1962), Directeur des bâtiments civils aux Ministère des Beaux-Arts pour lui demander de l’aide. Ce dernier accèdera rapidement à sa demande en lui proposant les hangars adossés à l’ancienne orangerie du Domaine de Saint-Cloud. Cf. Oppenheim-Guimard, Adeline. Papers. New York Public Library, MssCol 1264.
[4] Cf. note 1, p. 354-355.
[5] L’Égypte avait un statut politique complexe : elle était sous tutelle ottomane, officieusement sous protectorat britannique à partir de 1882, tout en étant dans la mouvance économique de la France pour les banques (le Crédit foncier), les usines de coton, de sucre (Say), la Compagnie du canal de Suez, etc. ; mais aussi de la Belgique (le baron Empain) et de l’Italie. Mais la France et l’Angleterre y exerçaient de fait un rôle dominant : rôle culturel et linguistique pour la première, politique et industriel pour la seconde. Au Caire et à Alexandrie, la diversité culturelle, linguistique et religieuse était patente. Il y avait, par exemple, une grande variété d’écoles au Caire : L’Alliance universelle (juive), arménienne, anglaises, allemandes et françaises. Outre l’arabe, le grec, l’arménien et le turc, trois autres langues étaient parlées : l’italien, le français et l’anglais. Le français était la langue officielle des cours de justice. En 1914, l’Angleterre mis un terme à la suzeraineté ottomane. En 1922, l’Égypte déclara unilatéralement son indépendance.
[6] Adès, Edmone, Adès chez Bergson. Reliques inconnues d’une amitié, éditeur N. de Fortin & fils, Paris, 1949.
[7] À propos de Lazare Weiller, voir plus bas : Le comité d’honneur et la souscription.
[8] Acte de naissance d’Edmone le 1er septembre 1916. Edmone Adès (Paris, 29/08/1916 – Drap, 05/02/2004) a adopté la carrière que son père aurait souhaité pour lui-même : elle a été aquarelliste et graveuse. Elle a exposé en 1957 à la Galerie Benézit, rue de Seine à Paris et en 1973 à la Bibliothèque nationale. Elle demeurait alors 174 bd Berthier à Paris. En 1962, elle effectue une estampe intitulée « Boulevard Berthier (face au) » qui se trouve à la Bibliothèque nationale, Département Estampes et photographie.
[9] Le Matin, 21/06/1920.
[10] Carnet d’Adeline Guimard, New York Public Library. Cette appréciation du portrait de Mme Adès montre bien qu’Adès se considérait aussi comme un peintre. Inès Adès préférait l’Égypte à Paris. À cette date, elle devait séjourner au Caire.
[11] Voir l’article d’Elena Fornero, « Reproduire la vie : l’influence d’Octave Mirbeau sur la dernière mouture du roman Le livre de Goha le simple d’A. Adès et A. Josipovici », 2018, cité en bibliographie.
[12] C’est pourquoi il se déclare « cubiste » lorsqu’il écrit à Adeline Guimard en juillet 1919.
[13] Selon https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7650296t/f3.item.r=%22Emmanuel%20Gondouin%22.zoom
[14] Comme l’indique le certificat de décès d’Albert Adès, son père était déjà mort en avril 1921.
[15] Je dédie ce travail à Diane de Picciotto-Jorland (1916, Le Caire – 2020, Paris).
[16] L’annonce du décès d’Adès est notamment parue dans Le Figaro le 20 avril 1921, dans l’Univers israélite le 29 avril 1921 avant d’être reprise dans L’Écho sioniste le 1er janvier 1922.
[17] Dossier de la tombe Adès à la conservation du cimetière du Montparnasse, 29e division, réf. 129 perpétuelle 1921.
[18] Interview de Jules Adès dans le journal Paris-Midi du 7 janvier 1933. Jules (Josiah V.) Adès signale que A. Josipovici parlait le français encore mieux qu’il ne l’écrivait, mais qu’il manquait d’imagination. En revanche que celle d’Albert Adès était « ahurissante. Doué d’une grande sensibilité, très riche en idées – trop riche car désordonné et incapable de rien sacrifier au métier – Adès trouvait son parfait complément en Josipovici. » Josiah Adès a exposé des gouaches à Paris en décembre 1938, Le Temps, 02/12/1938.
[19] La situation des juifs en France était alors plutôt relativement enviable en regard de leur situation dans les autres pays européens, en bonne partie grâce à la Révolution Française qui a établi le principe de liberté du culte et de conscience, puis de Napoléon qui a organisé en 1806-1807 le Grand Sanhédrin (Tribunal Suprême) à Paris, une assemblée de 71 rabbins et laïcs qui établira en France le premier consistoire central et l’administration du culte juif dans l’Empire.
[20] Jean a eu trois épouses. La première Sacha Rabinovich a eu un fils Gabriel (David) Josipovici, né à Nice 8/10/1940. En raison de leur religion, ils ont dû fuir l’occupation de la France par les Nazis. Après avoir séjourné dans le Sud de la France, Sacha retourne en Égypte entre 1945 et 1956, puis émigre avec son fils en Grande Bretagne. Elle écrit des poèmes, traduit des écrits de Maurice Blanchot en français et d’autres écrits de l’italien vers l’anglais. Son fils Gabriel est un brillant universitaire contemporain qui écrit sur la musique, la peinture et le temps. Grâce à lui, des fragments de la vie familiale de ses père, mère et grand-père nous sont connus. A propos de sa mère, voir : A life. Biography of Rabinovich Sacha (9/12/1910, Le Caire – 23/3/1996, Brighton). Le lecteur intéressé pourra consulter le site de ce prolifique auteur : http://www.gabrieljosipovici.org
[21] En 1897, Octave Mirbeau a pris position (avec Zola et bien d’autres) en faveur du capitaine Dreyfus. En 1919, dans La Renaissance de l’art français, Adès a écrit un beau texte sur les tableaux et sculptures que possédaient les Mirbeau (Renoir, Pissarro, Cézanne, Van Gogh, Rodin…). Après le décès de son époux, Mme Mirbeau les vendra aux enchères pour établir une fondation au profit de La Société des Gens de Lettres.
[22] Voir plus bas : La tombe d’Albert Adès : le comité d’honneur et la souscription.
[23] À ne pas confondre avec l’hebdomadaire satirique et littéraire homonyme paru en 1903.
[24] Dans L’Europe nouvelle du 10/06/1922 (p. 719), Dominique Braga écrit que le livre inachevé d’Albert Adès n’aurait pas dû être complété par Berger et Obey.
[25] Cf. note 12. Emmanuel Gondouin (1883 – 1934) a effectué un portrait remarqué d’Octave Mirbeau en 1919. Magdeleine A-Dayot décrit l’exposition rétrospective en hommage à Gondouin qui a eu lieu en 1935 comme suit : « Rétrospective Emmanuel Gondouin, Galerie Druet, 20, rue Royale. Il était juste de faire connaître au public l’œuvre de l’admirable coloriste que fut le douloureux Emmanuel Gondouin. L’exposition qui vient de réunir ses œuvres est non seulement un hommage mérité, mais, aussi, une belle évocation d’un frisson d’art. » (p.359).
[26] Sur Ganem, voir Pierre Larcher « La réception des sîra-s en Occident : Antar de Chekri Ganem (1910) », dans Lectures du Roman de Baybars, sous la direction de Jean-Claude Garcin, collection Parcours méditerranéens, Éditions Parenthèses/MMSH, 2003, p. 245-261.
[27] La ville de Guéthary a donné à l’une de ses rues le nom de rue Comte de Swiecinski.
[28] Fernand Braun est décèdé à Paris, 14 avenue de la Grande Armée. Le 16 octobre 1912 il a épousé Alice Birman à Paris dans le Xe arrondissement. Le compositeur Camille Saint-Saëns qui a fait de fréquents séjours en Égypte, a été l’un des témoins de ce mariage. Deux enfants sont nés de ce mariage : une fille, Reine Marguerite et un fils, Marc André.
[29] Accessible sur le site de la Bibliothèque Nationale de France.
[30] Nubar (Nubarian) Pacha (Smyrne, 1825 – Paris, 1899) polyglotte arménien formé à l’école de Sorèze (Tarn) ainsi qu’à l’École égyptienne de Paris entre 1826 et 1831, a tout d’abord été l’interprète de différents khédives, puis plusieurs fois ministre ou premier ministre en Égypte. Il avait élu domicile à Paris bien avant sa mort dans la capitale.
[31] Mme Mirbeau était à Rennes avec son mari lors du procès où Dreyfus a été gracié en 1899.
[32] Le nom de Bergson a pour origine Berkesohn. Le grand-père paternel du philosophe est enterré au cimetière juif de la rue Okopowa à Varsovie. Henri Bergson était domicilié 47 boulevard Beauséjour, dans le XVIe arrondissment. La rencontre entre Bergson et Adès a eu lieu en 1917.
[33] Gustave Geffroy a publié en 1928 un livre intitulé Monet, sa vie, son œuvre qui sera réédité en 1980 à Paris, éditions Macula, 556 p.
[34] En 1919, lors du vote de l’académie Goncourt présidée par Geffroy, le livre d’Adès et Josipovici Goha le simple a recueilli quelques voix au premier tour mais Proust a remporté le prix avec A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Cf. Laget (1983).
[35] Lors d’une vente aux enchères de dessins et de lettres d’Adès en juin 2017 (ALDE 1, rue de Fleurus 75006) un document mentionnait qu’Adès avait séjourné à Saint-Wandrille chez Georgette Leblanc et Maurice Maeterlinck, auteur adulé par Mirbeau.
[36] Saint-Saëns avait prodigué ses conseils pour la construction du grand orgue de la Salle Humbert de Romans de Guimard.
[37] Son concerto pour piano n° 5, le plus célèbre, composé en 1896 à Louxor, est surnommé L’Égyptien.
[38] Voir note 2.
[39] Voir note 3.
[40] La carrière scientifique, politique et internationale de Lazare Weiller est clairement présentée dans : https://www.histv.net/lazare-weiller-le-meteore.
[41] Il vient immédiatement à l’esprit l’homophonie du nom d’Adès avec celui du dieu grec Hadès qui, justement, règne sous terre et donc sur l’empire des morts. Guimard aurait-il voulu faire ainsi un clin d’œil amusé ou a-t-il plus simplement voulu évoquer la période ptolémaïque de l’Égypte ancienne ?
[42] Un cimetière israélite a existé au sein du cimetière du Montparnasse jusqu’en 1881. Postérieure à la destruction de cet emplacement, la tombe Adès est située dans une des divisions majoritairement occupées par des familles juives.
[43] On consultera à ce sujet l’article consacré à la tombe Grunwaldt sur notre site internet.
[44] Le dossier de la tombe que nous avons consulté à la conservation du cimetière ne contient aucune information quant aux travaux effectués, par Guimard ou par d’autres, ultérieurement.
Le dossier sur la sépulture Grunwaldt vient s’enrichir aujourd’hui d’un nouvel article passionnant. Écrit par notre adhérente Marie-Claude Paris, il nous livre des informations inédites sur les origines de la famille Grunwaldt ainsi que le patronyme de Rodolphe Grunwald et améliore nos connaissances sur les liens qui unissaient les familles Guimard et Grunwaldt.
La tombe familiale Grunwaldt[1] dessinée par Hector Guimard au cimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine ou l’énigme de la consonne muette.
A lire le nom des occupants de la sépulture N° 6553 au cimetière nouveau de Neuilly, on pourrait penser que ceux-ci ont pour patronyme de naissance Grunwaldt [2]. Or ceci pose problème, car sont inhumés là un beau-père (i.e. Pavel Michailovich Grunwaldt) et son gendre (i.e. Raphaël Rodolphe Grunwald), portant tous deux le même patronyme, celui de Grunwaldt. Je voudrais montrer que les patronymes du gendre et celui du beau-père diffèrent par la seule présence (ou l’absence, selon le point de vue que l’on adopte) d’une consonne finale muette ‘t’[3]. Ainsi cette consonne disparaît-elle au gré des besoins des déclarants. De fait, non seulement Raphaël Rodolphe mais aussi ses deux filles, Janina et Gladys Grunwald, ne sont pas des Grunwaldt, contrairement à ce qui figure sur la sépulture de Neuilly. Quelques recherches dans l’état civil le prouvent.
On ne sait pourquoi le gendre utilise le patronyme de son beau-père lorsqu’il achète en février 1907 une concession perpétuelle au cimetière nouveau de Neuilly. Mais on peut penser que l’utilisation de cette orthographe[4] est délibérée puisque, quelques mois à peine après son achat, Rodolphe fait don de cette concession à sa belle-famille, sans donc avoir besoin de changer de patronyme.
(Ce patronyme est parfois écrit « GRINVALDT » comme, par exemple, lors de la foire mondiale de Chicago — Chicago World Fair, qui s’est tenue de mai à octobre 1893. « Grinvaldt » sonne clairement plus américain qu’allemand).
Pavel Michailovich GRUNWALDT est le fils de Michel Grunwaldt et de Kalmen Sacha. Il naît le 18/4/1851 à Mitau (Russie/Courlande) et meurt à 16h le 20 janvier 1922 au Casino municipal de Nice, Place Masséna. Son épouse, Lydia Julievna Stern est née comme lui à Mitau (Russie) le 14 janvier 1861. Elle décède à son domicile, avenue Ingres, Paris, en 1925.
Pavel/Paul est un fourreur de grand renom. Il expose à la Chicago World Fair en 1893. La même année il dispose aussi d’une adresse à St Petersbourg, 22 Newsky et à Paris au 4 avenue Ingres, 16ème arrondissement. Avant de quitter les Etats-Unis en 1894, il fait des soldes au 96 fifth avenue à New York. En 1895-1896 sa boutique parisienne se trouve au 6 rue de la Paix, Paris, 2ème arrondissement. Lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1889, son titre est : « Fournisseur de Sa Majesté le Tzar ». Le 28 Novembre de la même année, il réside à l’hôtel Dominici, rue de Castiglione, et fait coudre en peu de temps un paletot de loutre pour Jummy, la chienne de la princesse de Galles ![5]
Entre 1898 et 1926, on trouve de nombreuses photos de ses modèles à Paris. La société de fourrures en gros Grunwaldt était encore domiciliée 6 rue de La Paix en 1938.
2.1 Raphaël Rodolphe GRUNWALD
Il est le gendre de Pavel M. GRUNWALDT. Il est né en Russie (Courlande) à Mitau, le 5/2/1871, tout comme Pavel. C’est le fils de Zalman Grunwald et de Rebecca Engelberg. Le 18/12/1900, il épouse Valérie Grunwaldt, l’une des filles de P.M. Grunwaldt. Née à Saint-Petersbourg le 19/9/1882, Valérie est alors mineure et domiciliée chez ses parents 4 Avenue Ingres. Raphaël Rodolphe, rentier, réside 9 rue de Verneuil, Paris 7ème. Le mariage de Raphaël Grunwald et de Valérie Grunwaldt a lieu à la mairie du domicile du marié, le 7ème arrondissement. L’oncle de Valérie, Edouard Grunwaldt[6] est l’un des témoins du mariage
Raphaël Grunwald décède le 27/6/1917, à 46 ans, 47 rue Jacob et son épouse Valérie en 1958. Tous deux reposent dans la tombe des Grunwaldt.
2.2 Les filles GRUNWALD
Les époux Grunwald auront deux filles. La première Janina Rebecca Grunwald naît le 08/03/1902, 5 rue Laurent Pichat dans le 16ème arrondissement. En 1930 Janina épousera Jean-Marie Frachon, puis divorcera. Elle décède le 29/08/1966 à Paris, 15ème arrondissement. C’est elle qui, suite au décès de sa mère Valérie en 1958, demande la remise en état de la porte de la chapelle de la tombe familiale Grunwaldt.
La seconde fille, Gladys Manuelle Grunwald, naît le 28/06/1904 4 rue Berlioz dans le 16ème arrondissement et décède à Saint-Cloud en 1971. Gladys épouse Cholim/Szolem Mandelbrojt en mai 1926 à Neuilly. Tout comme Janina, Gladys est inhumée dans la tombe familiale des Grunwaldt.
Quelle est la raison du changement d’orthographe du nom de Raphaël R. Grunwald en Rodolphe Grunwaldt ? Un changement légal de patronyme n’a pas été effectué, puisque les enfants de Raphaël R. ont pour patronyme Grunwald. Reste alors une hypothèse : Rodolphe obéit à la puissance du beau-père, qui souhaite la préservation de son nom, considérant que seul son gendre peut et doit maintenir le patronyme. En effet, en 1907 Pavel a deux filles mariées et un fils Wladimir René Alexandre, lequel n’a que quatorze ans. Marie-Clémence[7] est mariée à Ichoua J. Smadja et Valérie à Raphaël. Wladimir ne se mariera qu’en 1935. Quant au frère cadet de Pavel, Edouard celui-ci est sans descendance.
Ainsi lors du décès de Rodolphe en 1917, et cinq ans avant le décès de son beau-père, le patronyme « Grunwaldt » sera celui des occupants futurs de la tombe. Le beau-père, qui aimait titres, distinctions, médailles et honneurs, conserve donc ainsi l’autorité sur sa famille en plus d’une certaine éternité. Il est, de surcroît, immortalisé par une statue en buste dans la sépulture.
Si Hector Guimard a bien réalisé le dessin de la tombe Grunwaldt après le décès de Pavel en 1922, il revient à Adeline O. Guimard d’avoir très probablement mis en relation son époux Hector avec Pavel et/ou Lydia Grunwaldt. En effet, Adeline a effectué un portrait de Pavel avant son décès et ce, très probablement après la fin de la première guerre mondiale, à l’époque où elle dessinait les portraits de politiciens et d’ami(e)s dans son atelier du 122 avenue Mozart. Les Grunwaldt et les Guimard étant voisins, on peut très bien imaginer que Lydia rende visite à Hector dans ses bureaux avenue Mozart. Outre cette relation de voisinage, Mme Guimard jouait alors un rôle certain dans la colonie américaine de Paris. Elle aurait pu connaître Pavel auparavant lorsque celui-ci s’occupait de la Chambre de commerce américaine de Paris dont il est le fondateur[8].
Le portrait de Pavel par Adeline Guimard a été exposé 22 place Vendôme, Paris, en janvier 1922 à la galerie Lewis and Simmons, à quelques mètres de la maison de fourrure Grunwaldt. À cette coïncidence de lieu s’en ajoute une de temps : Pavel M. Grunwaldt est décédé le 20 janvier 1922 au moment où se tenait l’exposition d’Adeline O. Guimard (12 au 27 janvier 1922).
Ainsi chacun à leur façon, Adeline et Hector Guimard ont contribué à l’éternité de Pavel M. Grunwaldt.
Marie-Claude PARIS
[1] Ce travail a été inspiré par la conférence de Christine Grasset, Frédéric Descouturelle et Olivier Pons, prononcée lors de l’Assemblée Générale du Cercle Guimard le 11 février 2017 à Paris, Mairie du seizième arrondissement.
[2] Hormis le bébé Smadja, qui est (probablement) l’enfant de I. Jehova Smadja et de Marie-Clémence Grunwaldt, l’une des filles de Pavel Grunwaldt.
[3] Encore que Grunwaldt devrait s’écrire avec un tréma sur le ü, soit Grünwaldt.
[4] Voir une copie de l’acte d’achat de la concession sur le site lecercleguimard.fr, rubrique « sépultures ».
[5] Voir Le Chenil : journal des chasseurs et des éleveurs, novembre 1889.
[6] Edouard, dit Clark, est le frère cadet de Pavel. A cette date il est domicilié à Paris, 18 rue Chauveau Lagarde, 16ème arrondissement. Tout en étant fourreur, il s’occupe de la vente d’objets d’art. Lors de la « Louisiana Purchase Exposition » (Exposition Universelle de Saint Louis, Missouri) de 1904, il dirige le « Russian Art Exhibit ». Il vend des œuvres sans payer leurs auteurs (voir L’Univers israélite du 26/11/1926) ou escroque certains (voir Le Temps du 30/6/1891). Il meurt à 55 ans à New York dans la misère.
[7] Marie-Clémence épouse (peut-être) I. Jehova Smadja en 1905.
[8] Voir le journal Le Radical du 29 janvier 1922.
De nouvelles informations sur la sépulture Grunwaldt, mises au jour par notre adhérente Christine Grasset, nous permettent de reprendre en profondeur les connaissances accumulées sur cet intéressant jalon de la création de Guimard dans le domaine funéraire.
Sa datation a été corrigée et nous avons pu établir que certains éléments volés ont reparu en salle des ventes. Son état de dégradation actuelle est malheureusement préoccupant.
Le charmant petit musée de Guéthary, dans les Pyrénées-Atlantiques, occupe le rez-de-chaussée d’une magnifique maison de style néo-basque. Il nous intéresse dans le sens où il est en grande partie consacré à la présentation de l’œuvre de Georges-Clément de Swiecinski (1878-1958), chirurgien roumain d’origine polonaise, progressivement devenu sculpteur, et qui offrit, dès 1949, le contenu de ses ateliers à la ville où il s’était en partie installé à partir de 1922 (1).
C’est ainsi que la collection municipale conserve environ quatre-vingts sculptures, plusieurs centaines de dessins — dont une trentaine de carnets — et un magnifique ensemble de flacons de parfum en céramique vernissée purement Art déco. Sans compter, bien entendu, des photographies passionnantes et des papiers divers, dont une partie de la correspondance reçue par le sculpteur.
Or nous savons que cet artiste encore bien méconnu est l’auteur du buste de l’écrivain Albert Adès (1893-1921) qui orne son tombeau, érigé par Hector Guimard au cimetière Montparnasse en 1922, et dont il constitue le dernier monument funéraire véritable (2).
En apparence, l’essentiel de ce qu’il est nécessaire de savoir sur cet ouvrage semble parfaitement connu. Pourtant, le carton d’invitation pour l’inauguration du petit édicule, qui vient de nous être très aimablement communiqué par Mme Danièle Serralta-Hirtz, responsable du musée de Guéthary, remet quelque peu en question son historique et nous conduit à nous interroger plus attentivement sur les liens qui ont éventuellement existé entre Adès, Guimard et Swiecinski (3).
Voici le texte de ce petit document : « Le Comité Albert Adès a l’honneur de vous prier de vouloir bien assister à l’inauguration du Monument élevé sur la tombe d’Albert Adès / Buste du sculpteur G. C. de Swiecinski, stèle et composition d’Hector Guimard, qui aura lieu le samedi 28 avril 1923, deuxième anniversaire de la mort de l’écrivain, à 11 h. 1/2 du matin, au cimetière Montparnasse (Entrée : porte n° 3, rue Emile-Richard). Avenue du Boulevard, extrémité de la 22e division. Quelques paroles seront prononcées par MM. le Sénateur Lazare Weiller, Chékri Ganem, Pierre Mille. (Métro : Station Raspail). »
L’enveloppe, portant le tampon du 27 avril 1923 et la mention du bureau de poste de la place Chopin, dans le 16e arrondissement, est adressée à « Monsieur G. C. de Swiecinsky / 24 bd Raspail / Paris ».
Cette invitation, dans une assez belle concision, nous offre plusieurs informations jusqu’ici ignorées. D’abord que la “puissance invitante” — et très probable commanditaire — était le « Comité Albert Adès », groupement littéraire éphémère dont l’unique vocation avait été d’honorer la mémoire du jeune romancier ; ensuite que cette inauguration n’a eu lieu qu’au printemps 1923. L’édicule était évidemment achevé depuis plusieurs mois — il est d’ailleurs doublement daté de 1922, par l’architecte et par le sculpteur —, mais on attendit une date anniversaire (4) pour y organiser une petite cérémonie. Celle-ci eut un caractère essentiellement littéraire car, si Guimard et Swiecinski sont bien mentionnés dans le texte, ils ne furent pas conviés à y prendre la parole (5). On mentionna surtout les artistes pour ajouter un peu de prestige à la manifestation : Guimard étant alors très connu, même si ses ouvrages avaient progressivement essuyé des critiques ; Swiecinski, pour sa part, était encore un sculpteur pratiquement “débutant”, mais il venait de connaître, à la galerie Brenner en 1920, puis au Salon d’Automne de 1921, de très prometteurs succès.
Il ne semble pas inutile de présenter sommairement les trois orateurs qui se succédèrent pour inaugurer la tombe d’Albert Adès, tant ils ont été oubliés. Pierre Mille (1864-1941) fut un écrivain et journaliste français très influent à l’époque. Il donna son nom à un prix de reportage. Lazare Weiller (1858-1928) a été industriel et sénateur du Bas-Rhin à partir de 1920. Il eut un temps, pour secrétaire, Albert Josipovici, avant que celui-ci ne fasse la connaissance d’Albert Adès en Égypte. Aurait-il représenté l’ancien collaborateur d’Adès à la cérémonie, Josipovici étant retourné en Égypte lorsqu’ils décidèrent d’écrire chacun de leur côté ? Chékri Ganem (1860 ou 1861-1929) était un écrivain, né à Beyrouth (Liban). Son œuvre principale est « Antar », une pièces en cinq actes et en vers, créée à l’Odéon en 1910, qui devint un film en 1912, dont Ganem semble avoir été lui-même le réalisateur, et enfin un opéra, créé à l’Opéra de Paris. La musique en était de Gabriel Dupont et la belle affiche fut dessinée par Georges Rochegrosse. Il n’est pas certain que ces trois hommes aient personnellement connu Adès. Mais ils représentaient, autour de son tombeau, trois “vertus” intéressantes à souligner : Mille pour la littérature, Weiller comme représentant des amis autant que personnalité officielle, et Ganem au nom des écrivains orientaux d’expression française (6).
On s’étonnera à peine que la petite invitation ait été envoyée par la poste, moins de 24 heures avant l’événement, et probablement à un seul exemplaire. Il dût en être de même pour Guimard, tant il était peu prévu d’inaugurer un ouvrage artistique. Les auteurs du monument figurèrent donc parmi les invités, au même titre que tous les autres.
La tombe d’Albert Adès clôt la longue série d’ouvrages funéraires qui ont jalonné la carrière de Guimard avec régularité. A cette date tardive, la sobre construction conserve bien des aspects de l’Art Nouveau guimardien de la maturité, en particulier son fameux “coquillé” sculpté si caractéristique, qui s’efface malheureusement peu à peu, le calcaire trop tendre de l’édifice résistant assez mal à la pollution parisienne et aux intempéries. Mais on y note surtout l’émergence d’un certain classicisme, dont la sobriété préfigure la période Art déco de Guimard. Mais est-ce vraiment du classicisme ? L’architecte n’a pas été avare de références ou d’allusions dans la décoration de ses édifices. Mais il s’est ingénié à toujours les cacher avec soin. En sachant qu’Adès était né en Égypte, on comprend le caractère presque hellénistique conféré à son tombeau, et l’once d’orientalisme qui apparaît par endroits, comme sur la frise ornementale qui souligne joliment la façade et les angles du linteau. Sans se vouloir égyptien, l’édicule se présente néanmoins comme un exercice de fantaisie, ajoutant un orientalisme très discret à une conception antiquisante plus affichée. Les chapiteaux qui encadrent le buste d’Adès en sont l’exemple le plus éloquent, renouvelant le traditionnel élément grec grâce à une stylisation issue d’un Orient imaginaire.
Car, né au Caire, de nationalité égyptienne et d’origine probablement syrienne, Albert Adès est un représentant très emblématique de la littérature écrite en français dans les pays du Proche-Orient au début du XXe siècle et prolongeant cet orientalisme qui avait eu tant de succès dans les romans du XIXe siècle. Disons tout de même quelques mots sur cet écrivain peu connu (7). C’est à la suite de sa rencontre, en 1913, avec Albert Josipovici (né en 1892 à Constantinople — mort à Paris en 1932), qu’il initia sa carrière littéraire. Ensemble, ils écrivirent un premier roman, Les Inquiets, publié sous le nom d’emprunt de A.-I. Theix (1914), suivi, en 1919, par leur chef-d’œuvre, Le Livre de Goha le simple (préfacé par Octave Mirbeau), très délicate et touchante histoire orientaliste. Présenté pour le Prix Goncourt, l’ouvrage eut le malheur de n’obtenir que la deuxième place, derrière A l’ombre des jeunes filles en fleurs d’un certain… Marcel Proust. On ne peut pas contrarier le destin ! Néanmoins, Goha le simple allait connaître une belle carrière : traduit en plusieurs langues, adapté à la scène, il eut enfin l’honneur de devenir un film. Celui-ci, réalisé par Jacques Baratier, remporta même le prix Un certain regard au festival de Cannes de 1958. On put y voir Omar Sharif dans le rôle-titre et assister aux débuts de Claudia Cardinale.
Adès et Josipovici, bien qu’ayant épousé deux sœurs (8), arrêtèrent là leur collaboration. Un roi tout nu fut donc écrit par Adès seul (édité à titre posthume en 1922) et Josipovici, retourné en Égypte, publia Le beau Saïd en 1928.
L’existence du Comité Albert Adès nous conduit à reconsidérer tout ce qu’on pouvait supposer de l’histoire du dernier monument funéraire de Guimard. Car si Mme Adès a certainement acheté elle-même la concession en 1921, en vue d’une inhumation tout à fait normale, il est évident que le projet d’un monument ne naquit que par la suite, et qu’il échappa totalement au domaine privé et familial pour devenir une opération semi-publique. La relation entre une jeune veuve, un architecte (9) et un sculpteur s’avère donc à présent un peu plus complexe à comprendre, l’existence du Comité forçant quelque peu l’historien à réviser sa compréhension des faits.
Car il nous faut répondre à cette question essentielle : par quel concours de circonstances toutes ces personnes ont-elles été mises en contact ? Dans le cas d’un monument ordinaire, l’initiative revient évidemment à la famille du défunt. Mais ici, l’association que constitue le Comité empêche de bien saisir le rôle des uns et des autres. Autrement dit, Adès avait-il connu, de son vivant, Swiecinski ou Guimard ? Si on peut l’imaginer clairement du premier, que ses amitiés littéraires contribuèrent à fixer à Guéthary — il réalisa rapidement les portraits de Paul-Jean Toulet, Pierre Loti ou Francis Jammes, bien avant d’entreprendre le projet du monument à Edmond Rostand, pour Cambo-les-Bains, qu’il ne put finalement pas réaliser –, le second semble n’avoir jamais compté d’amis dans le milieu littéraire.
Néanmoins, en 1921, l’homme cultivé qu’était Swiecinski ne s’était pas encore spécialement fait connaître comme portraitiste. Sa première exposition chez Brenner, en 1920, venait d’attirer l’attention sur un ensemble qui devait représenter l’essentiel des quelques quatre ou cinq premières années de sa toute récente carrière. Or Swiecinski n’exposa alors que de grandes œuvres religieuses en pierre, accompagnant les étonnantes sculptures polychromes qui créèrent l’événement : à côté d’une série de grands panneaux illustrant le Ramayana indien, on pouvait certes voir des bustes d’hommes et de femmes, mais qui représentaient des types humains très variés — japonais, africain ou breton –, plutôt que des représentations de personnes véritables. Apparemment, seul un véritable portrait y fut présenté, lui aussi polychrome.
On s’étonne, pour la tombe d’Adès, qu’on soit venu chercher un artiste encore peu expérimenté et qui, surtout, n’avait encore rien montré de convaincant dans le domaine du portrait. Mais l’œuvre en marbre du cimetière Montparnasse a-t-elle été créée spécialement pour le tombeau, ou n’est-elle pas simplement la réplique d’une pièce plus ancienne dans un des matériaux de prédilection du sculpteur, mais plus fragiles, comme le plâtre ou la terre cuite (10) ? Swiecinski aurait pu avoir deux raisons de connaître Adès, qui commença à être connu après la sortie du Livre de Goha le simple en 1919. D’abord par sa fréquentation qu’on lui suppose des milieux littéraires ; mais peut-être aussi, plus fortuitement, en qualité de médecin (11).
Le buste que nous connaissons a les yeux vides ; cette absence d’iris et de pupilles lui confère un caractère funèbre. Mais le détail peut avoir été créé pour la circonstance. Au niveau de l’âge supposé du modèle, sa chevelure de garçonnet ne permet malheureusement pas de déterminer s’il pourrait avoir 28 ans ou être plus jeune de quelques années. Et sa moustache, bien juvénile, devait d’ailleurs être un artifice pour se vieillir un peu. Au demeurant, Swiecinski aura pu travailler d’après des photographies représentant Adès à n’importe quel âge, celui de son décès n’ayant pas été déterminant pour la création du buste. Mais le style même de la sculpture nous paraît être un élément d’appréciation plus digne d’attention. Car cette œuvre, tout en sacrifiant déjà à cette simplification formelle qui fera le succès de l’Art déco, mais également celui de Swiecinski lui-même, présente des rondeurs gracieuses sans véritable équivalent dans son œuvre, au demeurant plus virile, sinon même presque brutale à cette époque-là. Il suffit de le comparer aux magnifiques et froides Japonaises dont il réalisa plus tard des tirages en bronze (12), pour être convaincus d’une différence de style. Dans le buste d’Adès, ce style trahit un geste encore timide et inexpérimenté. Le lui aurait-on d’ailleurs attribué s’il n’avait pas été signé et si nous n’avions pas toutes les preuves qui établissent qu’il en est bien l’auteur ? On peut en douter.
Si notre hypothèse était avérée, on pourrait supposer que le Comité, profitant de l’existence d’un buste d’Albert Adès, en aura tout simplement demandé une réplique pour le tombeau du jeune homme.
En guise de conclusion, on signalera un fait intéressant et qui concerne… Mme Guimard. En janvier 1922, la femme de l’architecte, qui était peintre, exposa cinquante portraits aux crayons de couleurs, dans les galeries Lewis & Simmons, en précisant bien dans le catalogue le lieu de résidence de ses modèles. Le n° 2 était le portrait de Mme Albert Adès, habitant Le Caire (13), mais elle n’exposa aucune effigie de Swiecinski ; certains de ses modèles habitaient pourtant Bayonne. Au moment où le tombeau était probablement déjà en cours de réalisation, le sculpteur ne semble donc pas avoir été un familier des Guimard — leur rencontre ne semble d’ailleurs n’avoir eu aucune suite –, alors qu’Inès Adès avait noué une relation de sympathie, à défaut d’une véritable amitié, avec la femme de l’architecte qui concevait alors le monument funéraire de son mari.
Guimard paraît donc ne pas avoir connu Albert Adès, dont il fit le monument funéraire à une période pour lui assez pauvre en commandes, au cours de laquelle il accepta de dessiner plusieurs monuments aux morts, comme ceux de Montiers-sur-Saulx ou du lycée de Vanves. Sans doute conçut-il ce travail sans aucune émotion particulière, c’est-à-dire privé de cet intérêt amical et personnel qui l’avait habité lors de la réalisation des tombeaux de quelques-uns de ses commanditaires : Victor Rose, la famille Jassedé ou Charles Deron-Levent. En la circonstance, il s’agissait d’un pur exercice de style, où il s’amusa au passage à réinventer les sacro-saints ordres classiques. En cela, l’écrin du buste d’Albert Adès par Georges-Clément de Swiecinski est sans doute plutôt réussi dans son audace sacrilège.
Georges Vigne
Notes
(1) Pendant un temps, nous avons supposé que Swiecinski et Guimard avaient pu faire connaissance sur la Côte basque, ou même à Pau, où le couple Guimard vécut pendant la Première Guerre mondiale, en 1914 et 1915. Mais la présence de Swiecinski ne semble pas être documentée à Guéthary avant 1919.
(2) La “tombe” du Village français, à l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925, est effectivement la dernière du genre, mais il s’agit d’un monument factice. Son usage était publicitaire ; elle n’avait donc pas du tout la même valeur.
(3) L’existence du monument et de son buste sculpté était évidemment connue par quelques historiens d’art ayant travaillé sur Swiecinski. Il est d’ailleurs évoqué deux fois dans le catalogue qui lui a été consacré en 1999 au musée Despiau-Wlérick de Mont-de-Marsan et en lui donnant la date très significative de 1923, fournie par le seul carton d’invitation des archives du musée de Guéthary. Adès s’y voit attribuer, à chaque fois, le malencontreux prénom de Clément, amusante étourderie sans doute due à la plus grande célébrité… de l’aviateur Clément Ader.
(4) Albert Adès n’est pas mort le 28 avril, mais le 18 avril 1921. Ce fut pour faire coïncider l’inauguration avec un samedi, plus propice qu’un jour de semaine pour une réunion dans un cimetière, qu’on fit une légère injure à la vérité.
(5) La Bibliothèque nationale de France conserve une passionnante photographie prise par l’agence Meurisse pendant le discours de Pierre Mille (elle est visible sur Gallica, grâce au lien suivant : http://gallica.bnf.fr). Sans doute en vue d’une publication, un cadre a été réalisé à l’intérieur du cliché pour isoler le visage de l’orateur, le monument lui-même ne paraissant pas avoir d’intérêt “médiatique”. Parfaitement propre, l’ouvrage de Guimard est couvert de gerbes et de couronnes de fleurs, dont les inscriptions des rubans, visibles sur deux autres photographies prises au même moment — retrouvées récemment dans un album conservé à Guéthary –, ne sont malheureusement pas lisibles. Sur l’image, Pierre Mille apparaît bien seul. Certes, son public n’était pas dans l’axe du photographe ; mais, s’il y avait eu une foule plus importante, quelques invités se seraient certainement trouvés plus proches du tombeau.
(6) Le Figaro du 29 avril 1923 publia (à la une !) un article de Gilbert Charles intitulé Le souvenir d’Albert Adès. Citons-en juste le début : « On a inauguré, hier, à Paris, un modeste monument à la mémoire d’Albert Adès, cet Egyptien de grand talent, lequel, suivant une coutume séculaire qui est l’honneur de notre pays, comme Hamilton, comme Gabriele d’Annunzio, avait choisi notre langue pour écrire des livres à quoi il manque bien peu, sans doute, pour figurer parmi les chefs-d’œuvres du roman français. […] » Le “modeste” monument n’est pas localisé et ses auteurs ne sont même pas cités. Le reste de l’article brosse un portrait sensible, mais un peu maigre, du jeune écrivain, relatant surtout sa dernière rencontre avec le journaliste “un mois peut-être avant cette mort qui devait l’arracher à son travail en pleine jeunesse, au moment que son talent allait atteindre son point parfait de maturité. »
(7) Nous avouons n’avoir pas lu l’ouvrage de David L. Parris, Albert Adès et Albert Josipovici — Ecrivains d’Égypte d’expression française au début du XXe siècle (L’Harmattan, 2010).
(8) La femme d’Adès a également été enterrée dans le tombeau du cimetière Montparnasse : « Inès Adès Kraus / 28 janvier 1893 – 28 janvier 1931 ». Ensemble, ils avaient eu une fille, Edmone, qui publia, en 1949, la correspondance de son père avec Bergson. Quant à l’autre femme dont le nom est inscrit sur la stèle, Hélène Adès (28 février 1876-6 juillet 1957), il est très probable qu’elle soit tout simplement la mère de l’écrivain.
(9) Certains hectorologues ont cru identifier Guimard dans le héros du dernier roman d’Adès, Un roi tout nu. Hélas, en lisant ce roman nettement réaliste, nous n’avons à aucun moment reconnu l’architecte dans ce personnage de peintre, qui ne présente rien de son caractère difficile, et ne l’évoque même pas physiquement.
(10) Curieusement, les portraits en marbre de Swiecinski sont plutôt rares. Ses préférences, dans le genre, allaient pour le plâtre, la terre cuite ou le bronze. La pierre en général lui paraissait plus adéquate pour de grands monuments publics.
(11) Nous avons eu beau chercher, nous n’avons pas pu savoir de quoi décéda Albert Adès, à 28 ans, mais une santé fragile semble l’avoir rendu familier des cabinets médicaux. L’article où Marcel Berger annonça sa mort, dans Le Figaro du 20 avril 1921, évoque bien une maladie qui imposa à Adès un départ précipité à Arcachon, deux mois avant sa disparition. C’est d’ailleurs là qu’il s’éteignit, comme le rapporte le numéro du 1er janvier 1922 de L’écho sioniste en publiant à nouveau l’article de Berger. Ses obsèques eurent lieu le dimanche 24 avril 1921, à deux heures, au cimetière Montparnasse. Nos recherches sur Internet nous ont permis d’identifier deux domiciles d’Albert Adès : à Auteuil, et à la villa des Figuiers, 252 rue Paul-Doumer, à Treil-sur-Seine.
(12) Très curieusement, aucune des œuvres exposées en 1920 n’est aujourd’hui localisée. Probablement datées pour certaines, elles auraient pu permettre d’établir une chronologie des premiers travaux de Swiecinski et d’établir la succession de chacune de ses séries. Il nous reste quelques photographies de la présentation, mais qui ne peuvent pas nous transmettre l’effet véritable que pouvait donner ces sculptures, pour l’essentiel colorées. Au moins les tirages en bronze qui furent réalisés à partir des bustes d’Asiatiques nous en restituent le volume, la taille et l’aspect très impressionnant.
(13) On se demande si Mme Adès était présente à la cérémonie du 28 avril 1923, puisqu’elle habitait encore au Caire l’année précédente. La cérémonie étant destinée à inaugurer un monument littéraire, sa présence n’était alors pas indispensable. Son nom ne figure d’ailleurs pas sur le carton d’invitation.
Durant l’été 2007, le Cercle Guimard a été averti par un correspondant de la présence d’une tombe signée Hector Guimard à Bléré dans l’Indre-et-Loire, non loin d’Amboise et Chenonceau. Datant de 1897 et contemporaine du Castel Béranger, la sépulture de Nelly Chaumier nous apparaît dans l’œuvre funéraire de l’architecte comme la première tombe bénéficiant véritablement d’un traitement graphique Art nouveau.
Plus classique dans sa conception que la tombe Obry-Jassedé ou la tombe Caillat– dans la combinaison de la pierre tombale et de la stèle notamment–, sa plastique est cependant bien représentative des recherches formelles que Guimard mène alors pour le Castel Béranger, dans l’élaboration d’un alphabet proprement Art nouveau par exemple, et surtout dans le jeu des plissements organiques où semble s’esquisser une croix.
Cette tombe, recherchée depuis longtemps par les passionnés de l’architecte, n’était jusqu’alors connue que par six dessins appartenant au fonds Guimard du Musée d’Orsay– parler de cinq études serait d’ailleurs plus juste tant la silhouette de la tombe dessinée est différente de la réalisation ; par contre le dessin pour la calligraphie de l’épithaphe « ICI REPOSE NELLY CHAUMIER 1839-1897 » est, quant à lui, identique à l’inscription existante.
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