Nous avons été heureux de pouvoir acquérir récemment en vente publique[1] un décor de linteau en grès émaillé d’Hector Guimard édité par Bigot. Tout en le présentant à nos lecteurs, nous le replaçons dans le contexte de sa création, le comparons aux autres décors de ce type et décrivons brièvement leur évolution dans l’œuvre de Guimard. Cet article recoupe des informations contenus dans de précédents articles consacrés au stand Gilardoni & Brault de 1897, aux décors en céramique du Castel Béranger, au décor du vestibule du Castel Béranger, ainsi que dans le livre consacré à la céramique et à la lave émaillée de Guimard (éditions du Cercle Guimard, 2022).
Décor de linteau par Guimard, édité par Bigot, vers 1897. Coll. part. Photo F.D.
Rappelons que les linteaux sont des traverses horizontales reposant sur deux points d’appui au-dessus d’une ouverture ou d’une baie et ayant pour fonction de soutenir la maçonnerie. Leurs décors, qu’ils soient sculptés sur les pierres du linteau ou plaqués devant elles, sont des éléments décoratifs des façades et des intérieurs dont l’origine se confond avec celle de l’architecture. En extérieur, sous nos climats, leur colorisation était problématique et ce n’est qu’avec l’arrivée de la lave émaillée à partir des années 1830 puis de la faïence ingerçable à partir des années 1840 que des décors architecturaux colorés et résistants aux intempéries ont pu commencer à enjoliver les façades de façon pérenne. Cette offre s’est multipliée avec l’augmentation du nombre de fabriques capables de les proposer et surtout avec leur industrialisation permettant de les éditer sur catalogues. L’apparition du grès émaillé à la toute fin du XIXe siècle est venue compléter une palette de produits déjà étendue.
Dès ses premières œuvres architecturales, Guimard a créé des décors de linteaux. Celui ornant l’hôtel Roszé (1891), a été sculpté en pierre. Pour cette raison, malgré le caractère répétitif de ses motifs floraux, il a sans doute été le plus coûteux de ces petites villas de l’ouest parisien.
Décor de linteau en pierre sculptée de la travée gauche de la façade sur rue de l’hôtel Roszé, 34 rue Boileau à Paris XVIe (1891). Photo F.D.
Car la presque totalité de ces premiers décors, notamment au niveau des linteaux et des tympans de ces premières villas a été réalisé de façon plus économique en céramique cloisonnée d’après les dessins de Guimard. Ils ont tous été exécutés et en partie édités par Muller & Cie. On se réfèrera à notre ouvrage La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard qui les décrit entièrement pour l’hôtel Roszé (1891), l’hôtel Louis Jassedé (1893), la villa Charles Jassedé (1893), l’hôtel Delfau (1894) et la galerie Carpeau (1894-1895). Ces décors sont constitués d’éléments séparés avec motif de début, de milieu et de fin, illustrant des motifs floraux plus ou moins identifiables.
Décor de linteau de la travée de droite de la façade sur rue de l’hôtel Roszé, 34 rue Boileau à Paris XVIe (1891). Panneau en terre cuite émaillée cloisonnée exécuté par Muller & Cie à exemplaire unique. Photo F.D.
D’autres décors sont plus simplement composés d’éléments identiques répétés (métopes), souvent encadrés par des barres métalliques orthogonales. Avec la métope n° 13, Guimard évolue stylistiquement par rapport aux motifs précédents en évoquant la poussée d’un bouton floral repoussant ses involucres avec une stylisation qui en rend la lecture difficile au premier abord.
Décor de l’encorbellement de la travée de droite de la façade sur rue de la villa Charles Jassedé à Issy-les-Moulineaux (1893). Métopes, en terre cuite émaillée, éditées par Muller & Cie sous le n° 13 et barres métalliques. Photo F.D.
Pour les façades du Castel Béranger (1895-1898), immeuble qui a marqué son entrée dans le style Art nouveau, Guimard a également conçu des décors de linteaux. Quelques-uns sont en pierre sculptée, particulièrement épais et occupant toute la hauteur de la corniche du 4e étage de la façade sur rue.
Détail de la façade sur rue du Castel Béranger (4e travée à partir de la gauche, 3e et 4e étage). Les pavillons en tôle découpée placés sous les linteaux étaient destinés à recouvrir l’enroulement des stores (à présent disparus) et n’avaient pas de fonction structurelle. Photo André Mignard.
Mais la plupart des décors de linteaux des façades du Castel sont beaucoup plus discrets, masquant un linteau métallique par des métopes encadrées par des lames métalliques. Techniquement, Guimard agit ici dans la continuité de sa mise en place de décors de linteaux quelques années plus tôt sur l’hôtel Louis Jassedé et la villa Charles Jassedé. Mais stylistiquement, ses motifs ont évolué vers un modelage où l’évocation du monde du vivant est perceptible mais sans que l’on puisse réellement identifier une espèce, ni même la rattacher au règne animal ou végétal. Les colorations ont également changé, passant d’aplats de couleurs vives cloisonnées à des camaïeux de couleurs ocres ou bleutées fondues.
Vue partielle d’un décor de linteau avec des métopes répétées et encadrées, au niveau des façades sur rue ou sur cour du Castel Béranger, de fabricant incertain (Gilardoni & Brault ou Bigot). Photo F.D.
Comme nous l’avons établi dans le livre sur la céramique de Guimard, les décors extérieurs en céramique émaillée du Castel Béranger ont été produits par Gilardoni & Brault et non en grès par Bigot. Cependant nous savons qu’un exemplaire de cette métope a été repéré à Cour-Cheverny dans le Loir-et-Cher[2]. Sa localisation à 25 km de Mer, lieu d’implantation de l’entreprise A. Bigot et Cie, dans une zone géographique où la diffusion de Gilardoni & Brault était nulle, introduit un doute quant à son attribution. Contrairement aux autres décors en céramique des façades du bâtiment, ce modèle précis de métope pourrait donc avoir été produit par Bigot.
À l’extérieur du Castel Béranger, un autre décor de linteau est particulièrement remarquable. Il s’agit de celui qui coiffe la (ou les) devanture(s) de boutiques(s) se trouvant à l’origine au niveau des 7e et 8e travées, du côté droit de la façade[3]. Ce linteau métallique, comparable à son contemporain du préau de l’École du Sacré-Cœur[4], était visiblement destiné à recevoir une (ou deux) enseigne(s). Le décor qui le surmonte est des plus étranges. Trois groupes de deux types de métopes (un grand modèle et un petit) sont enserrés dans des cornières métalliques en arc de cercle, séparés par des motifs en tôle découpée pouvant évoquer des fleurs en boutons. Les métopes, en céramique émaillée, ont l’aspect inédit d’une matière informe et convulsive, s’écartant radicalement de la plupart des autres décors des façades qui conservent une parenté avec le monde du vivant.
Vue partielle du décor de linteau au-dessus des boutiques en façade sur rue du Castel Béranger. Métopes en céramique émaillée, produites par Gilardoni & Brault. Photo Nicholas Christodoulidis.
Ce style nouveau et propre à Guimard se retrouve largement sur les éléments en grès émaillé, cette fois produits par Alexandre Bigot, qui garnissent les parois du vestibule. Leur matière bouillonnante qui semble contenue par le strict motif de treillage en barres métalliques orthogonales présente des empreintes de doigts qui ont été enfoncées dans la terre glaise au moment de leur modelage.
Détail d’une paroi du vestibule du Castel Béranger en grès émaillé par Bigot. Photo F.D.
C’est sans doute dans le même laps de temps (vers 1897) qu’ont été conçus les décors de linteaux en grès émaillé dont nous présentons un exemplaire en début d’article. Ils peuvent dissimuler un linteau métallique en étant placés devant lui, mais leur forme semi-elliptique les destine aussi à être mis en place sous un arc porteur en briques[5]. Cette disposition permet alors d’équiper les baies par des fenêtres à vantaux rectangulaires, plus économiques que des vantaux à traverses supérieures arquées.
Comme sur les panneaux en grès émaillé du hall du Castel Béranger, on trouve de multiples empreintes de doigts, regroupées dans de petites zones comme si ces empreintes appartenaient à une même main.
Détail d’un décor de linteau par Guimard, édité par Bigot, vers 1897. Coll. part. Photo F.D.
On retrouve sur leur tranche supérieure, tracées à la pointe, les signatures « Hector GUIMARD Arch[6] » et « A Bigot cer ». Ils sont donc signés de façon similaire à certains panneaux en grès émaillé du vestibule du Castel Béranger et aux cheminées en grès émaillé, éditées par Bigot et placées à une vingtaine d’exemplaires dans les salles à manger de l’immeuble (« GUIMARD Arch » et « A Bigot cer »).
Signatures de Guimard et de Bigot sur la tranche supérieure du décor de linteau par Guimard, édité par Bigot, vers 1897. Coll. part. Photo F.D.
Contrairement à ces cheminées du Castel Béranger, le revers de notre décor de linteau ne présente pas le logo de Bigot : une tour crénelée.
Revers du décor de linteau par Guimard en grès émaillé, édité par Bigot, vers 1897. Les cloisonnements sont nécessaires au maintien du volume avant la cuisson. On relève des traces de scellement au ciment sur les bords. Coll. part. Photo Auctie’s. Droits réservés.
L’édition de ce décor de linteau est attestée par sa présence au sein du catalogue édité en 1902 par la société A. Bigot & Cie qui le commercialisait au prix de 40 F-or. Il est annoncé en longueur courante de 1 m avec la possibilité de porter celle-ci à 1 m 30. Pour l’instant, nous ne connaissons aucun exemplaire de cette dernière longueur. Mais même dans sa dimension courante, il a sans doute été peu diffusé puisque, sauf nouvelle découverte, nous n’en connaissons aucun exemplaire en place ailleurs que sur des bâtiments de Guimard.
Linteau par Guimard, catalogue Bigot, 1902. Coll. Françoise Mary. Photo © Ceramique-architecturale.fr.
Non seulement Guimard semble avoir été le seul à utiliser ces décors de linteaux édités par Bigot, mais qui plus est, il ne les a pas employés au moment de leur conception, préférant créer à chaque fois de nouveaux modèles. C’est seulement quelques années plus tard, alors que son style avait radicalement évolué et que ces décors s’étaient dèjà fort démodés, qu’il a commencé à s’en servir. Bien qu’il ait toujours été soucieux d’harmoniser ses créations, Guimard a parfois ainsi réutilisé des éléments décoratifs plus anciens, en décalage avec l’évolution de son style, mais qui ne nuisaient pas pour autant au résultat final.
La première occurrence de leur utilisation s’est faite au Castel Val, construit en 1903 par Guimard à Auvers-sur-Oise. Plusieurs décors de linteaux ont été insérés dans les balustrades des terrasses de la villa et du garage.
Guimard au Castel Val avec Mme Chanu en août 1904. Un décor de linteau se trouve derrière son doigt levé. Photo Centre d’archives et de documentation du Cercle Guimard.
Dans une seconde phase d’aménagement de la propriété en 1911-1912, l’architecte Eugène Daubert, sous la supervision probable de Guimard, a sans doute complété cette longue balustrade en ciment joignant la villa au garage, portant à seize le nombre de ces décors de linteaux [7]. Dans cette configuration architecturale, ils perdent alors leur signification pour ne plus être que des éléments décoratifs colorés utilisés pour ponctuer le chemin. Au fil du temps cette balustrade du Castel Val s’est dégradée et a été restaurée en 2003-2004. Le seul décor original intact qui subsistait a été moulé et des copies en ciment ont été replacées dans chaque module de la balustrade.
Copie en ciment d’un décor de linteau Guimard sur la balustrade en ciment armé construite en 1911 du Castel Val à Auvers-sur-Oise (1902-1903). L’arceau le coiffant évoque ceux en fonte des balustrades du métro de Paris. Photo Nicolas Horiot.
En 2021, lors de sa revente, le Castel Val comportait encore l’élément original exposé en intérieur. Il est possible que l’élément que nous avons acquis provienne lui aussi de la balustrade originale.
Exemplaire original de décor de linteau en grès émaillé Guimard édité par Bigot, posé en 1911 au Castel Val à Auvers-sur-Oise (1902-1903). Photo F.D.
L’autre occurrence de ces décors de linteaux en grès émaillés édités par Bigot s’est faite à deux exemplaires dans la cour de l’hôtel Deron Levent en 1907. Ils surmontent effectivement des fenêtres (au premier étage) mais, placés plus en hauteur au sein de la maçonnerie, ils perdent également leur fonction primitive, celle de dissimuler (ou d’accompagner) une poutrelle métallique industrielle. Ces dernières sont pourtant bien visibles, mais enjolivées par des décors en fontes alors créés spécialement à cet usage par Guimard et dont il sera question plus loin dans notre article.
Un des deux linteaux placés au-dessus des deux fenêtres du premier étage dans la cour de l’hôtel Deron Levent de Guimard, 1907. La poutrelle en I a reçu des ornements de linteau GC. Photo F.D.
Très similaire à notre décor de linteau en grès émaillé, mais pourtant légèrement différent, un autre modèle a été retrouvé à deux exemplaires sur un immeuble banal, non daté et d’architecte inconnu, à Courbevoie[8] en banlieue parisienne. Scellés en linteaux de fenêtre de rez-de-chaussée, ces décors ne révèlent pas le nom de leur fabricant, mais leur attribution à Guimard ne fait aucun doute. Mesurant également un mètre de longueur et relevant donc d’une offre équivalente à celle du catalogue de Bigot, ils ont nécessairement été produits par un concurrent, le nom de Gilardoni & Brault étant sans doute le plus probable. On observe qu’ils ne comportent pas de coulures de l’émaillage comme on en trouve sur tous les décors de linteaux de Guimard édités chez Bigot.
Décor de linteau de Guimard, de fabricant inconnu, d’une paire, au rez-de-chaussée de la rue du 22 septembre à Courbevoie. Photo F.D.
Si nous revenons à présent en arrière, au moment de l’aménagement du Castel Béranger, nous retrouvons d’autres décors de linteaux et en particulier au sein de l’agence de Guimard, située au rez-de-chaussée de l’immeuble. Nous écartons de notre sujet les décors des chambranles des deux fenêtres du bureau du Guimard, assez grossièrement creusés à même la pierre.
Fenêtre du bureau de l’agence de Guimard au Castel Béranger. Photo F.D.
De véritables décors de linteaux se trouvent sur le mur orthogonal à celui de la rue, et tout d’abord au-dessus de la porte du dégagement permettant la sortie sur cour. Guimard y a placé un décor de linteau qui est cerné par des cornières de métal découpées et coudées. Son style est proche du linteau que nous avons acheté et, si l’on se réfère à la carte postale de l’agence Guimard, ce linteau était coloré (mais pas nécessairement en bleu) probablement avec des nuances.
Bureau de l’agence de Guimard au Castel Béranger . Carte postale ancienne n° 10 de la série Le Style Guimard éditée en 1903. Coll. part.
À l’heure actuelle, ce décor de linteau et ses cornières en métal sont uniformément peints d’une couleur verdâtre. En s’en approchant, on constate que le décor en relief n’est pas, comme on pouvait s’y attendre, en céramique mais simplement en staff.
Linteau de la porte donnant dans le dégagement permettant d’accéder à la cour dans le bureau de l’agence de Guimard au Castel Béranger. État actuel. Photo F.D.
De l’autre côté de cette porte, dans le dégagement permettant la sortie sur cour, se trouvent deux autres décors de linteaux, jumelés à angle droit. Ils sont de même nature que le précédent (cornières et staff) et actuellement entièrement peints en blanc.
Double linteau du dégagement vers la cour de l’agence de Guimard au Castel Béranger. État actuel. Photo F.D.
Toujours dans le bureau de Guimard, mais de l’autre côté de la cheminée, une autre porte donnant cette fois dans le bureau des dessinateurs est surmontée d’un linteau. Il est d’une plus grande longueur car il englobe aussi une niche séparée de la porte par un épais pilier. Au-dessus de ce pilier, le staff modelé est remplacé par une plaque métallique savamment découpée.
Linteau englobant la porte du bureau de Guimard donnant dans le bureau des dessinateurs et une niche dans l’agence de Guimard au Castel Béranger. État actuel. Photo F.D.
Le dessin des parties métalliques de ces trois derniers décors de linteaux existe dans le fonds Guimard du Musée d’Orsay. Il comporte sur sa droite un quatrième linteau qui n’est pas identifié. Ce dessin n’est pas daté mais pourrait approximativement remonter à l’année 1897, époque où Guimard a conçu l’aménagement de son agence.
Plan des parties métalliques des décors de linteaux du bureau de Guimard dans son agence d’architecture au Castel Béranger. De gauche à droite : linteau de la porte donnant dans le dégagement, double linteau du dégagement, linteau de la porte donnant dans le bureau des dessinateurs, linteau non identifié. Vers 1897. Musée d’Orsay, fonds Guimard, GP 584.
Face à la cheminée, un troisième décor de linteau, beaucoup plus important, surmonte la large baie séparant en deux le bureau de Guimard. Il est de même nature que les précédents, combinant les fers industriels pliés et découpés avec des surfaces modelées en staff.
Linteau de la baie de séparation du bureau de l’agence de Guimard au Castel Béranger. État actuel. Photo F.D.
Enfin, un linteau spectaculaire sépare le bureau des dessinateurs du couloir d’entrée. Il comporte une partie centrale horizontale, comparable à celles des précédents linteaux. Mais ce sont ces consoles latérales qui assurent l’essentiel de l’effet.
Linteau entre le couloir d’entrée et le bureau des dessinateurs dans l’agence de Guimard au Castel Béranger. État actuel. Photo F.D.
Guimard a reproduit ces deux consoles sur une planche consacrée à des éléments métalliques dans le portfolio du Castel Béranger et a mentionné dans les légendes : « Console en fonte des filets en fer ». Mais leur examen révèle que, comme la totalité des consoles de l’agence et des espaces communs, elles ont été moulées en staff et non en fonte. Ce choix, probablement dicté par une recherche d’économie et de facilité de mise en place, vient contredire le crédo rationaliste de Guimard[9] puisque les consoles expriment une fonction de soutien.
Consoles du linteau entre le couloir d’entrée et le bureau des dessinateurs dans l’agence de Guimard au Castel Béranger. Photomontage par infographie de deux illustrations de la planche 51 du portfolio du Castel Béranger.
Toujours en 1897, Guimard est chargé de la construction du stand Gilardoni & Brault à l’Exposition nationale de la céramique. Comme nous l’avons vu précédemment, lors de la phase de décor du Castel Béranger, il a sollicité cette tuilerie implantée à Choisy-le-Roi. L’entreprise, dotée d’un solide savoir-faire en matière de décor architectural, lui a alors fourni les décors externes et une partie des rétrécissements de cheminées des salons. Le stand Gilardoni & Brault, sous la forme du « Porche en Céramique d’une Habitation » présente certes des produits fabriqués par la tuilerie (tuiles, briques, et même deux modèles de sculptures de style historique) mais surtout un étourdissant ensemble de décors en grès émaillé, modelés par le sculpteur Raphanel[10]. Le nouveau style de Guimard s’est ainsi trouvé révélé d’une manière radicale au grand public qui n’avait pas encore vraiment eu connaissance de cette construction excentrée qu’était le Castel Béranger. Linteaux, appuis de fenêtres, meneaux, corniches, chéneaux et faitières, sans compter un décor complet d’escalier sont l’occasion d’un déchaînement de formes abstraites mouvantes, concentrées dans un espace bien plus réduit qu’au Castel. Seul le panneau au chat faisant le gros dos[11], vraisemblablement exposé ici avant sa mise en place sous l’oriel du Castel Béranger apporte une note de réalisme à cet exercice de style en forme de façade.
Stand de Gilardoni & Brault à l’Exposition nationale de la céramique en 1897 à Paris, au sein du Palais des Beaux-Arts . Carte postale ancienne n° 3 de la série Le Style Guimard, éditée en 1903. La date de 1898 portée sur la carte est erronée. Coll. part.
Au-dessus de la petite fenêtre à gauche et de la petite porte à droite, Guimard a placé des décors de linteaux qui sont encadrés par des cornières (à gauche) ou des lames en tôle découpée (à droite). Là encore, l’aspect de leur modelage est très proche du décor de linteau édité par Bigot (ou l’inverse). Le fait que nous sachions que pour cet ensemble Guimard a eu recours au sculpteur Raphanel peut nous laisser supposer, mais sans certitude, que ce dernier a aussi participé au modelage du décor de linteau édité chez Bigot, ainsi qu’au modelage des décors de linteaux présents dans l’agence du Castel Béranger, le tout d’après des dessins de Guimard.
Décor de linteau de la petite porte à droite du stand Gilardoni & Brault à l’Exposition nationale de la céramique en 1897. Détail de la Carte postale ancienne n° 3 de la série Le Style Guimard, éditée en 1903. Coll. part.
Presqu’en même temps que le Castel Béranger, Guimard a construit au Vésinet la villa Berthe en 1896. D’aspect plus conventionnel que le Castel par la symétrie de sa façade tournée vers la rue, la villa possède néanmoins de très beaux détails décoratifs comme les décors des linteaux des fenêtres du premier étage, probablement élaborés à la même époque (1897) que ceux du stand Gilardoni & Brault et du Castel Béranger.
Façade sur rue de la villa Berthe au Vésinet, 1896. Photo F.D.
Sur la travée centrale, légèrement bombée, le décor est divisé en trois parties, elles-mêmes subdivisées en trois éléments en grès émaillé. Les jonctions entre les éléments sont masquées par des lames en tôle découpée. À la différence de la disposition des panneaux du vestibule du Castel Béranger, ces lames ne sont plus strictement orthogonales mais courbes, participant ainsi davantage au décor. Cette innovation pourrait être le signe d’une création légèrement postérieure, mais elle apparaît pourtant sur les plans datés d’avril 1896. Là aussi, la planéité de ces lames, contrastant avec la protrusion des éléments en grès émaillé, semble leur donner une fonction de contrainte s’opposant au bouillonnement de la matière.
Partie centrale en trois éléments du décor de linteau de la travée centrale du premier étage de la villa Berthe au Vésinet (1896). Photo Nicolas Horiot.
Partie latérale en trois éléments du décor de linteau de la travée centrale du premier étage de la villa Berthe au Vésinet (1896). Photo Nicolas Horiot.
Décor de linteau en onze éléments de l’une des quatre travées latérales de la façade principale du premier étage de la villa Berthe au Vésinet (1896). L’élément central a été scindé en trois pour l’allonger légèrement et l’adapter à la largeur de la fenêtre. Le décor du linteau de la fenêtre de la travée latérale droite de la façade postérieure est identique. Photo Olivier Pons.
Décor de linteau en onze éléments de la travée latérale droite de la façade droite du premier étage de la villa Berthe au Vésinet (1896). L’élément central a été raccourci à ses extrémités pour l’adapter à la largeur de la fenêtre. Les décors des linteaux des fenêtres des deux travées latérales gauches de la façade postérieure sont identiques. Photo F.D.
Rapidement, à partir de 1898, Guimard a été attiré par l’utilisation de la lave émaillée qui se sculpte, ou qui, dans sa version dite de la lave reconstituée[12], se moule. Son émaillage permet une vivacité des coloris et une précision de leur mise en place que le grès émaillé aux tons plus ternes et plus fondus n’atteint pas. Vaporisé sur des panneaux ou des blocs de lave naturelle « sabrée » ou « rustiquée », cet émaillage permet aussi d’ajouter une coloration presque inaltérable à un travail traditionnel de la pierre. L’une des premières utilisations architecturales de la lave émaillée par Guimard s’est sans doute faite sur les linteaux de l’hôtel Roy, 81 boulevard Suchet à Paris en 1898. Sa destruction ne nous permet pas de connaître la couleur exacte employée car la colorisation de la carte postale représentant sa façade sur rue n’est pas forcément un reflet de la réalité. Outre les linteaux des trois fenêtres de la grande baie du rez-de-chaussée, du grand linteau qui la surmonte et du grand linteau placé au-dessus des fenêtres du premier étage, il est probable qu’au niveau de l’annexe à droite, sous la terrasse, les décors des linteaux des fenêtres étaient aussi en lave émaillée.
Hôtel Roy, 81 boulevard Suchet, Paris, en 1899. Carte postale ancienne n° 20 de la série Le Style Guimard, éditée en 1903. Coll. part.
La photo en noir et blanc de l’article d’Abel Favre consacré à Guimard et paru dans la revue Le Mois de septembre 1901, montre, là aussi, la présence de lames courbes en tôle découpée entourant et divisant les plaques de lave émaillée.
Détail de la façade sur rue de l’hôtel Roy, 81 boulevard Suchet à Paris. Revue Le Mois, septembre 1901. Coll. part.
L’immeuble de Guimard le plus emblématique de l’utilisation de la lave émaillée est bien sûr la maison Coilliot à Lille en 1898-1900. Guimard a revêtu sa façade sur rue par des panneaux sabrés et émaillés en vert en y intégrant deux importantes enseignes. Elles se distinguent du reste de la façade par leur surface lisse et leur fond jaune mais ne sont pas des décors de linteaux.
Enseignes en lave émaillée naturelle de la façade de la Maison Coilliot, 14 rue de Fleurus à Lille, 1898-1900. Photo F.D.
À l’intérieur de la maison, Guimard a disposé plusieurs décors de linteaux dont un double au-dessus des deux portes du palier donnant accès à l’appartement du premier étage. Au moins quatre autres petits décors de linteaux en lave émaillée étaient disposés au sein de l’appartement, enserrés par des lames de fer pliées. Pour leur modelage, l’évolution stylistique de Guimard est patente par rapport au décor de linteau édité par Bigot. Réalisés en lave reconstituée par estampage sur un moule avant cuisson et émaillage, ils auraient pu facilement être multipliés et employés sur d’autres constructions de Guimard. Mais pour l’instant nous n’en connaissons pas d’autres tirages. Comme pour le Castel Béranger et le stand Gilardoni & Brault, ces décors de linteaux étaient enserrés dans des lames de fer pliées.
Recto, verso et encadrement d’un décor de linteau en lave émaillée reconstituée provenant du premier étage de la maison Coilliot, 14 rue de Fleurus à Lille, 1898-1900. Long.1,05 m, haut. 0,19 m. Coll. part.
Lors de la première partie de sa carrière, plus « militante », au lieu de dissimuler les linteaux métalliques en les recouvrant par un décor, Guimard a aussi cherché à les mettre en valeur. Lorsque des poutrelles en I étaient employées, en particulier pour les soubassements, il a agi de la même manière qu’avec des fers industriels en cornière, en U ou en T, en découpant la partie centrale et en pliant les ailettes
Extrémité de la poutrelle en I du soubassement de la villa Berthe au niveau de la terrasse. Photo Nicolas Horiot.
En hauteur, il a parfois créé de véritables décors d’une grande complexité tout en leur donnant une impression de légèreté en combinant de la tôle rivetée à des cornières découpées, elles-mêmes doublées ou triplées par des barres de fer pliées. La dépense entraînée par la forte augmentation du métrage des fers a été habilement compensée par l’économie réalisée en employant des matériaux industriels mis en œuvre par un serrurier et non par un ferronnier. Le plus bel exemple d’un tel linteau est sans doute celui de la boutique Coutollau à Angers en 1896.
Détail d’une photographie ancienne non datée de la boutique Coutollau, 6 boulevard de Saumur à Angers, 1896. Coll. part., droits réservés.
En se tournant de plus en plus vers la production en série, Guimard a pu créer un important corpus de fontes ornementales, édité par la fonderie de Saint-Dizier et diffusé sur un catalogue spécial. Parmi ces fontes, plusieurs modèles de décors d’extrémités de linteaux peuvent s’adapter aux poutrelles en I de dimensions normalisées (IPN) en s’insérant le long de l’âme. Ils sont pourvus d’un œillet pour leur fixation par rivetage ou boulonnage.
Le modèle GA est le plus grand, conçu pour une âme de 12 cm.
Ornements de linteau GA. Détail de la pl. 15 du catalogue des Fontes Artistiques pour Constructions, Fumisterie Jardins et Sépultures Style Moderne, publié en 1908. Coll. part.
Les modèles GB et GC sont conçus pour des âmes de 10,5 et 8,5 cm.
Ornements de linteaux GB et GC. Détails et photomontage de la pl. 15 du catalogue des Fontes Artistiques pour Constructions, Fumisterie Jardins et Sépultures Style Moderne, publié en 1908. Coll. part.
La rosace GE[13] a la même hauteur que les ornements GB. Également pourvue d’un œillet, elle est destinée à ponctuer les poutrelles. Nous ne connaissons cependant aucune occurrence d’une telle utilisation.
Ornements de linteau GE. Détails de la pl. 15 du catalogue des Fontes Artistiques pour Constructions, Fumisterie Jardins et Sépultures Style Moderne, publié en 1908. Coll. part.
Les modèles GD sont différents car ils ne comportent pas d’œillet et sont conçus pour s’adapter à deux petits fers en T, l’un horizontal et l’autre cintré. En raison de la faiblesse de leur section, ces fers ne peuvent avoir de fonction de linteau et cette combinaison de fers et de fontes ne peut donc qu’être plaquée devant un linteau porteur ou se placer sous un arc[14].
Ornements de linteau GD. Détails de la pl. 15 du catalogue des Fontes Artistiques pour Constructions, Fumisterie Jardins et Sépultures Style Moderne, publié en 1908. Coll. part.
Guimard les a largement utilisés sur les deux immeubles Jassedé du 142 avenue de Versailles et du 1 rue Lancret[15] à Paris (1903-1905) en les appliquant contre des poutrelles en I.
Ornements de linteau GD sur l’immeuble du 14 avenue de Versailles à Paris, façade rue Lancret, 1903-1905. Photo F.D.
Le dernier exemple d’utilisation des ornements de linteaux GD par Guimard s’est sans doute fait sur la fenêtre du premier étage sur rue de la petite villa d’Eaubonne que nous datons approximativement de 1907. Sans doute pour donner plus de discrétion à ce linteau, Guimard ne lui a pas adjoint le fer supérieur arqué.
Ornements de linteau GD sur une villa de Guimard à Eaubonne, 16 rue Jean Doyen, vers 1907. Photo F.D.
Contemporain de la villa d’Eaubonne, l’hôtel Deron Levent, villa de la Réunion à Paris, comporte également plusieurs linteaux en poutrelles métalliques recevant des ornements en fonte (GA, GB, GC). Cependant, pour cette construction plus luxueuse qui se hausse au statut d’hôtel particulier, Guimard a éprouvé le besoin d’ajouter des décors modelés en stuc surmontant les linteaux des fenêtres du premier et du deuxième étage de la travée centrale. Et dans le même but, il a fait sculpter les consoles soutenant les balcons de cette travée, ainsi que l’arc de la fenêtre du second étage.
Linteau métallique, tympan en stuc et arc de la fenêtre du premier étage de la travée centrale de l’hôtel Deron Levent, 1907. La poutrelle en I a reçu des ornements de linteau GA. Photo F.D.
Linteau métallique, tympan en stuc et arc de la fenêtre du second étage de la travée centrale de l’hôtel Deron Levent, 1907. La poutrelle en I a reçu des ornements de linteau GB. Photo F.D.
Nous avons vu plus haut que, dans la cour de cet hôtel, Guimard avait placé deux linteaux métalliques au-dessus des fenêtres du premier étage et qu’il les avait pourvus d’ornements GC. Là aussi, il a voulu en renforcer l’effet décoratif en leur adjoignant cette fois ses anciens décors de linteaux en grès émaillé édités par Bigot.
La villa d’Eaubonne et l’hôtel Deron Levent sont pratiquement les dernières constructions[16] sur lesquelles Guimard a fait apparaître des linteaux métalliques. Par la suite, l’expression d’une élégance de bon aloi a supplanté la volonté d’afficher la structure du bâtiment sur les façades. C‘est donc la sculpture de la pierre qui a progressivement pris le relais des multiples décors de linteaux que nous avons répertoriés. Mais là encore, Guimard a su s’écarter du conformisme de ses confrères. Alors que la plupart des architectes concentrent le décor des linteaux des portes d’entrée en leur milieu pour y placer une tête, un motif quelconque ou un simple numéro de rue, Guimard a pris le contre-pied de cette habitude en évidant au contraire la partie centrale et en augmentant le décor sur la partie haute des jambages et sur les angles supérieurs.
Porte d’entrée de l’hôtel Mezzara. Photo F.D.
Même sur la porte de son hôtel particulier, avenue Mozart, où Guimard a placé son monogramme au centre du linteau de la porte d’entrée, la surabondance du décor latéral rend plus discrète la présence de ce motif.
Photographie ancienne de l’hôtel Guimard, 122 avenue Mozart, 1909-1912. Coll. Bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs, don Adeline Oppenheim-Guimard, 1948. Photo Laurent Sully Jaulmes.
Le décor des linteaux a donc fidèlement suivi l’évolution du style de Guimard en matière d’architecture, passant d’une multiplicité de matériaux, souvent très colorés, à une restriction de leur nombre et à une plus grande sobriété dans la coloration. Dans le même temps, leur modelage, bouillonnant à l’époque du Castel Béranger, s’est assagi pour se tourner vers la recherche d’élégance.
Frédéric Descouturelle
Notes :
[1] Vente Auctie’s du 02 décembre 2022, à Drouot salle 10, lot 183.
[2] Information fournie par Mme Françoise Mary.
[3] L’aspect réel de ce (ou ces) boutique(s) nous est pratiquement inconnu. Dans le portfolio du Castel Béranger, aux planches 1 et 2, Guimard en donne deux versions dessinées, à la fois différentes et imaginaires. Seule une petite partie des devantures est photographiée (sans avoir été retouchée) aux planches 3 et 6 et fait apparaitre de simples panneaux de verre verticaux étroits conformes au premier projet du Castel Béranger avant sa transformation par Guimard en un immeuble de style Art nouveau. Ces ouvertures ont été par la suite réduites en simples fenêtres reprenant le gabarit de la fenêtre de droite de l’agence de Guimard.
[4] 9 avenue de la Frillière, Paris XVIe, 1895.
[5] Il devient alors nécessaire pour l’architecte et pour l’entrepreneur de concevoir leur arc en suivant les dimensions et la courbure du décor de linteau. Il s’agit du même phénomène de renversement des rôles qui s’est répandu tout au long du XIXe siècle en raison de l’édition en série des décors et qui voit, par exemple, les menuisiers tenus de fabriquer leurs huisseries en fonction des dimensions des panneaux de fontes ornementales disponibles sur catalogues.
[6] Guimard a donc préféré se prévaloir de la fonction d’architecte qu’il tenait en haute estime, plutôt que celle de sculpteur-modeleur qu’il aurait plus logiquement utilisé en signant « Hector Guimard sc ».
[7] Ce chiffre est celui de l’actuelle disposition après restauration de la balustrade. Cependant une photographie ancienne montre que la répartition des décors de linteau était sans doute différente de l’actuelle. De plus, deux autres modules de balustrade existent aussi au niveau du portail de l’entrée carrossable sur rue, sans que nous sachions s’il s’agit bien d’une disposition d’époque.
[8] Nous remercions Georges Barbier-Ludwig, ancien conservateur du musée Roybet-Fould de Courbevoie de nous avoir signalé leur existence.
[9] « Guimard me disait ce matin une chose juste : dissimuler le moins possible la nature des matériaux — que du bois reste du bois, etc. — et si pour des raisons pratiques on est forcé de les recouvrir, que l’on conserve le plus possible les caractères de chaque matériau, sinon dans leur teinte, pour se garder de toute imitation, mais dans leur ton pour rester logique… » Signac, Paul, Journal, 15 janvier 1899, cité par Thiébaut, Philippe, La Revue de l’Art, 1991, vol. 92 ; n° 1, p. 72-78.
[10] Le nom de Raphanel est le seul nom de collaborateur cité dans la presse. Il l’est également sur le plan du stand et sur le projet d’enseigne du stand dessiné par Guimard. Il apparait également en compagnie de celui du sculpteur plus connu Jean-Désiré Ringel d’Illzach dans le portfolio du Castel Béranger où tous deux sont crédités de l’exécution des modèles de sculpture. Il s’agit vraisemblablement du sculpteur Xavier Raphanel (1876-1957), auteur de nombreuses statuettes historicistes et de quelques objets d’art décoratif.
[11] On se réfèrera au livre La Céramique et la lave émaillée de Guimard où nous faisons l’hypothèse que ce panneau au chat faisant le gros dos est la réduction d’un panneau légèrement plus grand, édité en version gauche et droite, et qui a été remodelé pour entrer dans l’espace qu’il occupe actuellement au Castel Béranger, peut-être à la place d’un autre décor initialement prévu.
[12] Cf. le livre La Céramique et la lave émaillée de Guimard ou notre article sur la lave émaillée.
[13] La rosace GE est également répertoriée en tant que rosace GO sur la planche des ornements divers. De même que les ornements de linteau GA, GB et GC, elle sera intégrée lors d’une augmentation du catalogue à des compositions de balcons et de balustrades fondues en une seule pièce.
[14] C’est cette solution qui a été adoptée pour le seul exemple d’utilisation des ornements de linteaux GD en dehors de Guimard sur un immeuble non daté et d’architecte inconnu au 13 avenue de Metz à Châlons-en-Champagne.
[15] Sur la façade de l’immeuble du 142 avenue de Versailles à Paris donnant dans la rue Lancret, le fer supérieur arqué des décors de linteaux est manquant sur toute la 2e travée (petites fenêtres d’un escalier), ainsi que sur toutes les façades sur rue de l’immeuble du 1 rue Lancret. Cette systématisation des manques écarterait l’hypothèse de destructions aléatoires de ce fer supérieur. Cependant on note que même lorsque le fer supérieur est manquant, les coins supérieurs et intérieurs des ornements de linteaux GD ont été sciés, comme dans les cas où un fer supérieur arqué y était inséré. Faute de pouvoir examiner de près un ornement de linteau GD, nous ne connaissons pas la raison précise de cette amputation, mais il est probable qu’elle est due à un impératif technique puisqu’elle n’existe pas sur le linteau de la villa d’Eaubonne où un fer supérieur arqué n’a pas été mis en place.
[16] Sur l’immeuble Franck, 10 rue de Bretagne, réalisé de façon très économique de 1914 à 1919, les linteaux métalliques ont réapparu, sans aucun décor. La maquette de maison standardisée, vers 1921, conservée au musée des Arts Décoratifs, montre également des linteaux apparents qui pourraient avoir été prévus en ciment armé.
Addenda le 25 mars 2023
Un décor de linteau en grès émaillé par Bigot, semblable à celui que nous présentons en début d’article, a été brièvement mis en vente le 25/3/2023 sur le site LeBonCoin. L’existence de ce nouvel exemplaire (le troisième) plaide en faveur de l’existence d’une série de ces décors de linteaux provenant du Castel Val.
Après avoir évoqué l’exposition Vallin qui s’est tenue à la villa La Garenne à Liverdun pendant l’été 2022, nous débutons une série de trois articles montrant quelques influences réciproques entre les artistes de l’École de Nancy et ceux de l’Art nouveau parisien, en nous concentrant sur l’architecture.
L’histoire des interactions entre le style naturaliste de l’École de Nancy et les styles plus linéaires de l’Art nouveau parisien et de l’Art nouveau belge a déjà été en grande partie étudiée[1]. Elle est faite d’allers-et-retours entre les angles de ce triangle isocèle, angles distants de 320 km. Si les bruxellois ont eu l’initiative en matière d’architecture, il est exact que les nancéiens se sont précocement illustrés dans les arts décoratifs par la qualité et le volume de leur production. Les relations entre ces trois foyers de création étaient cependant dissymétriques, reproduisant aussi la force économique et politique de chacun de ces pôles, car si la réussite locale était possible à Nancy et plus encore à Bruxelles, la reconnaissance et le passage à une dimension financière supérieure passait alors par Paris. Le bruxellois Henry Van de Velde et les nancéiens Émile Gallé et Louis Majorelle l’avaient parfaitement compris puisqu’ils s’y étaient implantés aussi rapidement qu’ils l’avaient pu. Si la greffe n’a pas pris pour Van de Velde, contraint de s’exiler en Allemagne, elle a réussi sur le plan commercial pour Gallé, aidé par ses relations mondaines et littéraires avec le milieu intellectuel parisien et plus encore pour Majorelle grâce à ses relations amicales et professionnelles nouées lors de son passage à l’École des Beaux-Arts de Paris. C’est également à l’ENBA de Paris qu’ont été formés les nancéiens Victor Prouvé et Jacques Gruber, avant qu’ils ne s’illustrent dans le domaine de l’art décoratif. Quant à Camille Gauthier, l’un des plus brillants représentants de la seconde génération de l’École de Nancy, il a été élève de l’École nationale des arts décoratifs à Paris à partir de 1891 avant d’être embauché chez Majorelle en 1893. La question de cette formation professionnelle était d’ailleurs âprement débattue à Nancy, où malgré la transformation progressive, mais fort lente, d’une école municipale de dessin en une véritable école des beaux-arts, la nouvelle génération des architectes nancéiens, celle qui a été active dans les années 1900, s’est faite à l’École nationale des Beaux-Arts de Paris où elle a bien souvent conservé des relations. Ces architectes en retiraient un prestige que n’avaient pas leurs devanciers, formés au sein des cabinets d’architectes installés et à l’École Professionnelle de l’Est.
L’influence nancéienne chez Guimard
Connu à Paris à partir de l’Exposition universelle de 1878, célèbre à partir de l’exposition La Pierre, le Bois, la Terre, le Verre organisée par l’Union Centrale des Arts décoratifs en 1884, et enfin sacré à l’Exposition Universelle de 1889, Émile Gallé a largement contribué à une utilisation renouvelée de la plante par les arts décoratifs. Il faut en partie mettre au crédit de cette influence les nombreuses représentations florales que l’on va ensuite trouver dans l’Art nouveau parisien, par exemple chez Lalique, mais aussi, et de façon presque inattendue, dans la première partie de la carrière d’Hector Guimard. Jusqu’en 1895, ce dernier pratiquait un style encore éclectique mais si reconnaissable et novateur que l’on peut le qualifier de proto-Art nouveau. On le retrouve en particulier dans ses créations de panneaux de céramique architecturale et on se référera pour cela au troisième et quatrième articles de notre série sur l’entreprise de céramique Muller.
Tympan de la fenêtre du 2ème étage de la façade droite de l’hôtel Jassedé de Guimard, 41 rue Chardon-Lagache à Paris, 1893. Deux panneaux cloisonnés en faïence émaillée. Photo F.D.
Si l’impulsion stylistique venait bien de Nancy, on assiste ici à un retraitement complet de la composition de ces panneaux, qui s’éloigne de l’utilisation descriptive de la botanique qu’en faisait Émile Gallé. Au contraire, Guimard est parvenu en très peu de temps à opérer des stylisations parfaitement maîtrisées de motifs floraux qui n’avaient rien à envier à ceux qui ont été présentés un peu plus tard en 1897 dans le portfolio La Plante et ses applications ornementales d’Eugène Grasset et de ses élèves. L’empreinte nancéienne la plus visible sur une œuvre de Guimard se trouve sur les fontes ornementales de l’école du Sacré-Cœur, 9 avenue de la Frillière, Paris XVIe, en 1895. Les chapiteaux des colonnettes divisant en trois les grandes baies du premier étage ont un motif très reconnaissable de feuille et de fleur du chardon, une plante qui n’a pas de lien direct avec l’iconographie du cœur sacré de Jésus.
Chapiteau des colonnettes en fonte de fabricant inconnu soutenant le linteau des fenêtres du premier étage de l’École du Sacré-Cœur, 9 avenue de la Frillière à Paris, 1895. Photo F.D.
Or cette plante n’est autre que l’emblème de la ville de Nancy depuis le XVe siècle, figurant sur son blason en compagnie de la devise non inultus premor. Elle est ainsi devenue un motif naturaliste d’identification que les nancéiens ont abondamment et continuellement utilisé dans toutes les branches de l’art décoratif.
Grande broche au chardon en argent par Ferdinand Kauffer, modèle créé vers 1886. Phototypie parue dans La Lorraine Artiste en 1894, reproduit dans Martin, Étienne, Bijoux Art nouveau Nancy 1890-1920, éditions du quotidien, 2015.
Projet pour le portique d’entrée de l’École de Nancy à l’exposition d’art décoratif de Turin en 1902 (non réalisé) par Émile André. Dessin aquarellé, Musée de l’École de Nancy.
Catalogue de l’exposition de la SLAA à l’Exposition Internationale de l’Est de la France en 1909, dessin par Henri Bergé. Coll. part.
Plus intéressants encore, les piliers inclinés en fonte, qui soutiennent le premier étage de l’école du Sacré-Cœur, ont été décorés par des motifs qui ne sont plus cette fois descriptifs mais qui évoquent très clairement le bourgeon et l’indentation des feuilles du chardon.
Pilier en fonte de fabricant inconnu soutenant le linteau du préau de l’École du Sacré-Cœur, 9 avenue de la Frillière à Paris, 1895. Photo F.D.
Dès sa période à proprement parler Art nouveau, celle qui débute en 1895 avec le Castel Béranger, Guimard a abandonné la représentation naturaliste et botanique pour n’en garder que l’esprit. Il a ainsi adhéré à l’esthétique prônée par le bruxellois Victor Horta, tout en inventant — et en réinventant constamment — son propre style, bientôt copié par une foule de suiveurs. Pourtant, Guimard n’a pas totalement banni la plante de sa création. Elle a pu ressurgir ponctuellement, mais toujours sous une forme non identifiable botaniquement. On retrouve ainsi des indentations appliquées à la base des piliers postérieurs des édicules A (1900)[2].
Pilier arrière de l’édicule A à claire-voie de la station Abbesses. Photo F.D.
Des feuilles et des fruits sculptés sur le linteau de la porte d’entrée du 43 rue Gros (1909-1911).
Porte d’entrée de l’immeuble du 43 rue Gros à Paris par Guimard (1909-1911). La Construction Moderne, 9 février 1913. Coll. part.
Le plafonnier du vestibule est visible sur la photo précédente. Il fait partie des Lustres Lumière créés par Guimard à partir de 1909. Sur ses plaques en bronze, on voit aussi des feuilles ou des brins d’herbe entrecroisés.
Élément en bronze des lustres Lumière. Photo F.D.
Plus tard, en 1922, sur les piédroits de la sépulture Grunwaldt, au cimetière nouveau de Neuilly-sur-Seine, le décor sculpté mêle les branches de laurier et de palme, deux espèces communes au répertoire des cimetières. Avec ces deux plantes qui sont également utilisées dans le décor rapporté de ce petit monument, il s’agit de symboliser la gloire du défunt.
Décor végétal sculpté sur un piédroit de la sépulture Grunwald, 1922. Photo F.D.
L’influence de l’Art nouveau parisien et de Guimard à Nancy
Pour sa part, Guimard n’a jamais rien construit, ni décoré à Nancy. Plus encore, à ce jour aucune archive ne nous permet même de dire qu’il a visité la ville et cependant son influence sur place est bien réelle. Elle s’est réalisée par l’intermédiaire de confrères architectes parisiens qui ont su composer avec le naturalisme en vogue à Nancy. Le premier d’entre eux est bien sûr son ami Henri Sauvage qui a construit à Nancy la villa du fabricant de mobilier Louis Majorelle. Ce choix d’un jeune architecte parisien, alors inexpérimenté, est tout à fait significatif, tant Majorelle a été à la fois une tête de pont du style nancéien à Paris et une tête de pont du style parisien à Nancy. Émule de Gallé dans le domaine de l’ébénisterie à partir de 1895, il n’a donné à son style une dimension véritablement personnelle que peu de temps avant L’Exposition Universelle de 1900 en se rapprochant du style parisien. Cette orientation a sans doute d’ailleurs été favorisée par le travail du jeune Camille Gauthier, formé à l’École nationale des arts décoratifs et embauché chez Majorelle de 1893 à 1900. Elle a aussi été inspirée par certains modèles parisiens comme cette coiffeuse de Charles Plumet et Tony Selmersheim, dont les pieds se dédoublent pour venir soutenir une console.
Coiffeuse par Charles Plumet et Tony Selmersheim, 1898. Musée de l’École de Nancy. Photographie extraite de l’ouvrage Majorelle par Roselyne Bouvier. La Bibliothèque des arts, 1997. Photo A. Fellmann.
Cette disposition des pieds, pourvus d’épines sur la coiffeuse Plumet /Selmersheim (et donc clairement désignés comme des tiges végétales à la façon des nancéiens) a largement été reprise un peu plus tard sur une partie du mobilier présenté par Majorelle à l’Exposition Universelle de 1900. Ses meubles présentaient alors une ligne dynamique plus continue (plus « parisienne ») soulignée par une tige de nénuphar en bronze doré.
Bureau aux nénuphars par Majorelle. Exposition Universelle de Paris en 1900. Portfolio Meubles de style moderne Exposition Universelle de 1900, Charles Schmid éditeur. Coll. part.
Majorelle a également collaboré avec le parisien Henri Sauvage en 1898 pour trois salons du Café de Paris (41 avenue de l’Opéra).
Plafond de l’un des trois salons meublés et décorés par Louis Majorelle au Café de Paris en 1898. Portfolio allemand Modern Bautishler-Arbeiten, pl. 53, août 1902.
Cheminée de l’un des trois salons meublés et décorés par Louis Majorelle au Café de Paris en 1898. Portfolio allemand Modern Bautishler-Arbeiten, pl. 53, août 1902.
Cette réalisation parisienne de Majorelle a préludé à la construction de sa villa à Nancy conçue par le même architecte en 1901-1902 avec l’intervention de deux autres parisiens : le céramiste Alexandre Bigot et le jeune peintre Francis Jourdain, fils de l’architecte Frantz Jourdain, autre ami d’Hector Guimard.
Façade Nord de la villa Majorelle à Nancy, extrait de l’article de Frantz Jourdain dans L’Art décoratif, août 1902. Bibliothèque numérique limédia.
Il est facile de reconnaitre dans cette façade Nord de la villa Majorelle une nette influence de la façade postérieure de la villa Berthe construite par Guimard au Vésinet en 1896.
Plan de la façade postérieure de la villa Berthe au Vésinet, daté avril 1896.
Un autre architecte parisien, Jacques-René Hermant est intervenu relativement précocement à Nancy pour y construire la maison Victor Luc en 1901-1902.
Maison Victor Luc, 25 rue de Malzéville à Nancy, par Jacques-René Hermant, 1901-1902. Portfolio Nouvelles Constructions de Nancy, pl. XXV. Coll. part.
Sa façade symétriquement ordonnée en travées et niveaux recèle de beaux détails comme les chapiteaux des colonnes du porche, les céramiques de la corniche et les ferronneries aux courbes linéaires. À l’intérieur, une rampe d’escalier en grès émaillé de Gentil & Bourdet est l’une des réalisations les plus remarquables de cette entreprise parisienne dont l’un des protagonistes, François Eugène Bourdet, est un jeune architecte originaire de Nancy.
Maison Victor Luc, 25 rue de Malzéville à Nancy, par Jacques-René Hermant, 1901-1902. Détail du porche. Photo Nicholas Christodoulidis.
Ces deux dernières demeures ont influencé les architectes nancéiens et la Villa Majorelle est même devenue un des moteurs de l’architecture moderne nancéienne. Mais parallèlement à cette tendance parisienne, un autre courant, d’inspiration plus locale, était emmené par le tandem Vallin-Biet qui venait d’achever l’immeuble Biet. Pour cette tendance locale, la filiation avec le Moyen-âge et la Renaissance était aussi présente, mais la structure des bâtiments se voulait plus unitaire et plus organique. Comme nous le verrons dans un prochain article, Guimard et Vallin ont pu — séparément — exploiter certains thèmes comme la représentation de la déformation de la matière.
Immeuble Biet, 22 rue de la Commanderie à Nancy, 1901-1902. Portfolio Motifs d’architecture moderne, non daté (vers 1905). Coll. part.
Beaucoup d’architectes nancéiens, comme Émile André et Lucien Weissenburger ont ensuite prélevé des détails décoratifs dans l’une et l’autre des deux constructions. Sur la maison Houot ou sur la villa Fernbach d’Émile André, les appuis de fenêtres sont empruntés à la villa Majorelle de Sauvage.
Appui de fenêtre de la villa Majorelle à Nancy par Henri Sauvage, 1901-1902. Photo F.D.
Appui de fenêtre de la maison Houot, 92 bis quai de la Bataille à Nancy par Émile André, 1903. Portfolio Nouvelles Constructions de Nancy, pl. XXV. Coll. part.
Le même architecte, Émile André, a emprunté les péristyles des balcons des troisièmes étages de ses immeubles au 69 et 71 avenue Foch à Nancy à un autre architecte parisien précurseur du style Art nouveau : Charles Plumet.
Immeubles Lombard (à gauche) au 69 avenue Foch à Nancy (1902-1903) et France-Lanord (à droite) au 71 avenue Foch à Nancy (1902-1904), Émile André. Photo F.D.
Plumet avait développé ces péristyles sur plusieurs de ses immeubles parisiens à partir de 1897 (36 rue de Tocqueville) et les avait réutilisés à de nombreuses reprises.
Hôtel particulier par Charles Plumet, à l’angle du 28 avenue Foch et du 90 avenue Malakoff à Paris, vue du côté de l’avenue Malakoff, 1900. Photo parue dans la revue allemande Die Architektur des XX. Jahrhunderts. Coll. part.
Toujours dans la villa Majorelle, le bâti des portes du rez-de-chaussée, vitrées sur les deux tiers de la hauteur, présente un intérêt particulier. À la base de la partie vitrée, un petit bois se détache obliquement de chaque montant latéral puis se verticalise et rejoint la traverse supérieure, évoquant un rejet né d’un tronc. De plus, cette partie vitrée est recoupée en partie supérieure par une simple ligne horizontale.
Porte de la salle à manger de la villa Majorelle par Henri Sauvage. Photo F.D.
Louis Majorelle a repris cette disposition sur une série de vitrines avec ou sans adjonction de décor naturaliste.
Louis Majorelle, vitrine aux pommes de pin, modèle n° 244, hauteur 1 m 90, vendu 900 F-or en 1914. Photo site internet Anticstore, Galerie Vaudémont, Nancy. Tous droits réservés.
Or cette disposition est directement reprise sur les portes de plusieurs vitrines de Guimard dont la plus ancienne est reproduite dans un article de Frantz Jourdain publié dans le premier numéro de la Revue d’Art (dont Guimard avait dessiné la couverture) en novembre 1899.
Petite table et vitrine par Guimard photographiées au Castel Béranger. Cliché paru dans la Revue d’Art n° 1 en novembre 1899.
Cette porte est plus visible sur cette vitrine plus tardive qui figurait dans l’hôtel Guimard.
Vitrine par Guimard ayant figuré dans l’hôtel Guimard 122 avenue Mozart. Coll. part.
D’autres influences du travail de Guimard existent à Nancy, même si elles ne sont pas en très grand nombre. Elles se sont plutôt faites par la publication de ses œuvres dans les revues ainsi que par le biais des voyages des nancéiens à Paris. C’est sans doute par l’un ou l’autre moyen que Joseph Hornecker, jeune architecte alsacien arrivé à Nancy à 1901 et associé à Henri Gutton a pu s’inspirer du Castel Henriette à Sèvres pour la Villa Marguerite, construite au parc de Saurupt à Nancy en 1904.
Villa Marguerite dans le parc de Saurupt. Portfolio Nouvelles constructions de Nancy. Coll. part.
En se promenant dans les rues de Nancy, on retrouve aussi des fontes ornementales de Guimard aux fenêtres d’une petite quinzaine de maisons ou d’immeubles dont une bonne part est due à l’architecte Lavocat. Mais il s’agit de commandes effectuées directement auprès de la fonderie de Saint-Dizier par un petit nombre d’architectes nancéiens avant la Première Guerre mondiale et donc sans intervention de Guimard.
Grand balcon GG et retour, immeuble 31 rue Anatole France à Nancy. Photo F.D.
Il n’est pas possible d’attribuer à l’influence du seul Guimard les nombreuses ferronneries de style linéaire que l’on peut aussi rencontrer à Nancy, comme celle de l’Immeuble Kempf, 40 Cours Léopold par Félicien et Fernand César (1903-1904), ou celles des maisons des 16 et 20 rue des Bégonias par Désiré Bourgon. Mais, outre la marquise de la villa La Garenne qui a fait l’objet d’un article précédent, il existe un exemple bien connu d’une transcription directe d’une œuvre de ferronnerie de Guimard : la porte du Castel Béranger copiée par le serrurier nancéien Lucien Collignon pour la porte de sa propre maison au 55 rue de Boudonville en 1905, soit huit ans après celle de Guimard.
Porte de la maison Collignon, 55 rue de Boudonville à Nancy. Photo tous droits réservés.
Plus anecdotique, sur le boulevard Lobau, le guichet et ses lettrages du bâtiment commercial du négociant en charbon Jules Kronberg sont aussi à mettre au crédit de l’influence qu’a eu le style de Guimard à Nancy. Cet « écart » est d’autant plus étonnant que Kronberg a été locataire et client de Vallin, domicilié presque en face.
Également dans le domaine de la ferronnerie, le jeune parisien Edgard Brandt (1880-1860) a eu une première période créative dans le style Art nouveau. En intervenant à Nancy, il a su s’adapter au style local. À la demande de l’architecte nancéien Joseph Hornecker, il a été chargé en 1907-1909 d’un important programme au nouveau siège de la banque SNCI (ferronneries extérieures, du hall et de la salle des coffres).
Hall de la banque nancéienne SNCI, architecte Joseph Hornecker, 1907-1909, ferronneries aux pommes de pin par Edgard Brandt.
Pour le même architecte nancéien et également en 1907, Brandt a exécuté la rampe de l’escalier d’honneur de la mairie d’Euville en Meuse. Ces deux réalisations, à la fois naturalistes (pommes de pin pour la SNCI) et symbolistes (chêne pour la mairie d’Euville) sont tout à fait dans le style nancéien et préludent à l’évolution progressive de Brandt vers un style moderne plus épuré puis vers l’Art déco.
Edgard Brandt, rampe aux feuilles et glands de chêne de la mairie d’Euville. Photo : Cédric Amey, sous licence Creative Commons.
En raison de la vigueur du foyer artistique nancéien, ces échanges stylistiques entre Nancy et Paris ne se sont donc pas faits au profit de la seule capitale et, comme nous le verrons dans un prochain article, le style nancéien a même opéré un vigoureux retour en force à Paris grâce aux grands magasins et en particulier à la puissante chaîne nancéienne des Magasins Réunis.
Frédéric Descouturelle
Merci à Fabrice Kunégel qui nous a signalé la similitude entre les menuiseries des portes intérieures de la villa Majorelle et celles de certaines vitrines de Guimard. Merci également à Koen Roelstraete pour ses recherches sur la vitrine aux pommes de pin de Majorelle.
Notes
[1] Grâce à de nombreux articles et à la passionnante exposition Paris-Bruxelles, Bruxelles-Paris de 1997 au musée d’Orsay et au musée des beaux-arts de Gand.
[2] Signalons pour la forme que les interprétations que nous pouvons donner des motifs de Guimard n’engagent que nous. Si nous pensons qu’elles peuvent être partagés par d’autres observateurs, nous ne voulons les imposer à personne. Comme nous l’avons écrit dans les livres consacrés en 2003 et 2012 au métro de Guimard, notre architecte n’a pas livré de notice explicative à son œuvre. Ses motifs semi-abstaits parlent à chacun de nous différemment en fonction de notre propre culture, voire de notre propre inconscient.
Les Editions AAM consacrent le dernier ouvrage de leur collection 1900-1930 Art Nouveau – Art Déco à Passy et Auteuil. Ce voyage dirigé par Charlotte Mus et Maurice Culot permet de découvrir les créations des grands architectes de la modernité : Le Corbusier, Hector Guimard, Robert Mallet-Stevens, Henri Sauvage ou des Frères Perret mais aussi des réalisations audacieuses et brillantes pour l’art religieux, des bâtiments industriels. Les magnifiques photographies, les documents d’archives et les textes précis concourent à comprendre et voir les richesses patrimoniales de ces quartiers finalement méconnus.
Le Cercle Guimard a collaboré à cet ouvrage et a proposé une déambulation qui commence par les premières constructions de l’architecte, s’arrête au Castel Béranger, évoque la destruction de la salle Humbert de Romans, ses ateliers, son hôtel particulier de l’avenue Mozart, la construction préfabriquée du square Jasmin et finit par sa dernière demeure parisienne, l’immeuble de la rue Henri Heine.
Une rencontre – signature se tiendra le 03 décembre 2022, à la Librairie Fontaine de 10h30 à 13h, 41 rue d’Auteuil à Paris. Les directeurs de la publication se feront un plaisir de vous présenter leur ouvrage.
La vente aux enchères de la table Guimard chez Sotheby’s Paris le 22 novembre s’est soldée par une adjudication élevée de 120 000 € (soit 151 200 € avec les frais) qui ne nous a pas permis d’en faire l’acquisition.
L’État a exercé son droit de préemption au profit du musée d’Orsay, représenté par sa conservatrice en charge des Arts décoratifs. Ce meuble remarquable demeurera donc visible pour tous en collection publique.
Détail du plateau de la table Guimard avec le monogramme GH en nacre. Photo Sotheby’s / Art Digital Studio.
Le Cercle Guimard remercie tous ceux ont manifesté leur intérêt pour l’acquisition de ce meuble et répondu favorablement à l’appel aux dons.
Le 22 novembre prochain, Sotheby’s Paris mettra en vente une table remarquable dessinée et signée par Hector Guimard[1]. Le Cercle Guimard propose à toute la famille de l’Art nouveau de lui donner les moyens financiers de l’acquérir.
Table d’appoint Hector Guimard. Photo Sotheby’s / Art Digital Studio.
Ce meuble personnel est à l’image de la première période Art nouveau de l’architecte, la plus exubérante de son œuvre, et qui donna naissance au Castel Béranger (1896-1898), aux entrées du métropolitain (1900) ou à la salle Humbert de Romans (1897-1901). Il se caractérise par un piètement unique, aérien et dansant particulièrement mouvementé mais néanmoins déjà parfaitement maitrisé. Son géométral complexe, perturbant les lois de la statique supporte un plateau marqueté signé d’un monogramme nacré HG. Les nervures ciselées accompagnent et accentuent la fluidité de ses mouvements tandis que les sculptures soulignent les points singuliers de sa structure.
Plateau marqueté et sculpté. Photo Sotheby’s / Art Digital Studio.
Attaché à ce meuble, l’architecte le conserva à ses côtés tout au long de sa vie, ne s’en séparant que dans les années 1930 avant son départ pour les États-Unis.
Depuis plusieurs années, Le Cercle Guimard a constitué une importante collection d’œuvres : les premiers meubles de l’hôtel Jassedé, des céramiques de l’hôtel Roszé, un portrait dessiné par Adeline Oppenheim, les cours de perspectives donnés à l’École Nationale des Arts Décoratifs en 1897, des dessins originaux de l’architecte mais aussi un grand nombre d’objets et de vestiges d’édifices détruits. Motivée par l’idée de montrer cette table au public, de conserver cette pièce en France et d’enrichir ses collections, l’association prend l’initiative et lance cet appel à la générosité. De surcroît, Le Cercle Guimard est convaincu que cette table aurait toute sa place dans le projet qu’elle porte avec Hector Guimard Diffusion : faire de l’hôtel Mezzara une institution muséale dédiée à Hector Guimard.
Façade arrière de l’hôtel Mezzara. Photo Le Cercle Guimard.
La table est estimée entre 40 et 60.000 € hors frais de la maison de vente.
Le Cercle Guimard est reconnue d’intérêt général. Grâce à ce statut, les dons à l’association bénéficient d’une réduction d’impôt[2]. Les modalités de l’opération sont détaillées ici Modalités appel aux dons.
Nous comptons sur votre soutien.
Le Bureau du Cercle Guimard
Notes
[1] Lot n°38 de la vente aux enchères du 22 novembre 2022 (14h30) organisée par Sotheby’s Paris. Le catalogue est en ligne sur le site de la maison de vente.
[2] Pour les particuliers, la réduction d’impôt est de 66 % du montant du don versé. La réduction s’applique dans la limite de 20 % du revenu imposable. Lorsque les dons et versements effectués au cours d’une année excédent la limite de 20 %, il est possible d’étaler l’excédent sur les 5 années suivantes. Pour les personnes morales, la réduction d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés est égale à 60 % du montant des dons dans la limite de 10 000 € ou de 0,5 % du chiffre d’affaires lorsque ce dernier montant est plus élevé. Dans le cas où ce seuil serait dépassé, la loi prévoit de pouvoir reporter l’excédent sur les cinq exercices fiscaux suivants.
Le dernier ouvrage des Éditions du Cercle Guimard est à présent disponible dans quelques excellentes librairies de Paris et d’ailleurs dont nous vous donnons la liste ci-dessous.
Librairie le Cabanon : 122 rue de Charenton, 75012 Paris
Librairie du musée d’Orsay : esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Librairie du Camée : 70 rue Saint André des Arts, 75006 Paris
Librairie Galignani : 224 rue de Rivoli, 75001 Paris
Librairie Mollat : 15 rue Vital-Carles, 33000 Bordeaux
Et toujours disponibles dans les mêmes librairies :
Le livre sur Georges Malo est aussi proposé dans les librairies suivantes :
Librairie Zenobi : 50 avenue Pierre Larousse, 92240 Malakoff
Librairie Eyrolles : 57-61 boulevard Saint Germain, 75006 Paris
Des détails et des extraits de ces ouvrages sont disponibles en page d’accueil du site internet.
Très bonne lecture à toutes et tous !
Le Cercle Guimard vous propose une nouvelle date de visite à la découverte des œuvres emblématiques d’Hector Guimard dans le 16ème arrondissement.
Vestibule du Castel Béranger, Hector Guimard – Rue La Fontaine. Photo Appoline Jarroux, 2021.
Attention : les tarifs des visites guidées du Cercle Guimard ont évolué en 2022.
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
L’Assemblée Générale est un moment important de la vie de notre association. Cette année sera l’occasion pour le Cercle Guimard de retrouver ses adhérentes et adhérents en toute convivialité et de présenter le rapport du Président, les comptes de l’association, de renouveler une partie du Conseil d’administration et d’y proposer de nouveaux membres, et de partager les projets en cours.
Notre Assemblée Générale Ordinaire aura lieu le samedi 24 septembre 2022 à partir de 10h, à la mairie du XVIe arrondissement de Paris.
Une mini-conférence est également prévue sur les influences stylistiques architecturales croisées entre Nancy et Paris Enfin, nous comptons consacrer un temps d’échanges avec vous au cours de cette assemblée.
Si vous n’êtes pas à jour de cotisation ou si vous souhaitez adhérer avant la réunion et voter, il est encore de temps d’adhérer pour l’année en cours.
Nous vous rappelons que vous pouvez adhérer en ligne ou par courrier (plus d’information).
Nous vous attendons nombreux et, comme à chaque fois, enthousiastes !
Très cordialement,
Le bureau du Cercle Guimard
Vous pouvez recevoir les objets par colis ou vous déplacer au domicile de Frédéric Descouturelle, secrétaire de l'association.
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Prix du transport en sus.
Actuellement, seul le règlement par chèque est possible. Les chèques seront à libeller au nom de : « Le Cercle Guimard ».
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Se déplacer au domicile de notre trésorier, à Montreuil (métro Robespierre).
Vous pouvez prendre rendez-vous par courriel pour venir un vendredi après-midi ou un samedi matin. Dans ce cas, le règlement en espèces est possible.
Vous pouvez réaliser un règlement unique comprenant l’achat et la cotisation.