Une des heureuses conséquences de la mise en place de la récente exposition Guimard, architectures parisiennes aux Archives de Paris[1] est la découverte au sein des collections de cette institution de nouveaux documents qui complètent nos connaissances sur plusieurs chapitres de l’œuvre de Guimard. L’une de ces pièces est un petit dossier du Service technique du métropolitain constitué en 1900 et concernant l’accès de la station Tuileries. Peu avant cette découverte, nous avions reçu en don plusieurs dessins de recherche de Guimard pour l’accès de cette même station. Dans le livre consacré au métro de Guimard[2], nous avions brièvement évoqué les circonstances qui ont conduit à la mise en place des deux actuels entourages d’accès de cette station sur l’étroit trottoir de la rue de Rivoli. Mais grâce à ces nouveaux documents, nous allons pouvoir en retracer plus sûrement l’historique.
Si la construction du métro de Paris a été une affaire municipale, il faut se rappeler que la Ville de Paris était alors placée sous la tutelle de l’État et administrée par une autorité bicéphale : la Préfecture de la Seine, émanation du pouvoir exécutif et le Conseil municipal, élu par les Parisiens. Après que l’État a cédé en 1895 sur le caractère d’intérêt local du projet de métro parisien, le Conseil municipal a formé en son sein une Commission du Métropolitain chargée de préparer les projets qui devaient ensuite lui être présentés pour approbation. C’est en particulier à cette commission, en collaboration avec le Service technique du métropolitain, qu’il revenait de définir les trajets des lignes et les emplacements des accès[3].
La Ville s’est chargée de la construction des infrastructures souterraines tandis que la fourniture des voies, du matériel roulant et l’équipement des stations ont été dévolus à la CMP (Compagnie du Métropolitain de Paris) formée en mai 1898 en vue de recevoir la concession de l’exploitation du métro.
La construction des accès de surface était également à la charge de la CMP qui n’avait pas pour autant de pouvoir décisionnel quant à leur aspect. Contrastant avec l’austérité des équipements souterrains, ces accès devaient aussi constituer une sorte d’image publicitaire à laquelle l’audace des projets de Guimard allait pleinement contribuer, du moins pendant les premières années. Mais la première partie des épisodes que nous allons relater à propos de la station Tuileries s’est déroulée peu après la formation de la CMP et ne concernait pas l’entourage de l’accès ni son décor. Comme nous le verrons, les projets de Guimard, même s’ils ont été mûris pendant le second semestre de 1899, n’ont été connus des autorités que dans les derniers jours de l’année.
Cette station est située sur la ligne 1, de Porte Maillot à Porte de Vincennes, la première à avoir été ouverte avec deux tronçons supplémentaires au cours du premier chantier. Elle avait pour fonction de desservir l’Exposition universelle de 1900, mais elle était surtout construite sur un trajet Est-Ouest de la rive droite, identifié comme étant le plus susceptible de répondre aux besoins du public. Pour ce premier chantier, par économie, la plupart des stations ne bénéficiait que d’un seul accès sur la chaussée, donnant accès à une salle souterraine de vente des billets. Il n’était alors pas encore question de sorties ou d’accès secondaires qui ne seront généralisés que plus tard.
Sur la rue de Rivoli, de la station Saint-Paul à la station Concorde, le trajet est pratiquement rectiligne.
Les voies du métro y ont été prudemment établies à faible profondeur, sous un tablier métallique placé sous la chaussée.
Aux stations Saint-Paul, Hôtel de Ville, Châtelet, Louvre et Palais Royal, la largeur des trottoirs ou l’existence de terre-pleins ont permis de prévoir des trémies d’escalier d’une largeur standard de 3 m, ou un peu plus dans le cas de Palais Royal (3 m 50), là où une correspondance (et donc un afflux plus important de voyageurs) était attendue. À l’exception de cette dernière station, les accès ont été établis du côté des numéros impairs (côté vers la Seine). En revanche, pour les deux dernières stations de la rue de Rivoli, Tuileries et Concorde, l’étroitesse des trottoirs ne permettait plus d’ouvrir une trémie de trois mètres de large, ni d’un côté de la rue, ni de l’autre. Pour la station Tuileries, dont les quais sont situés entre la rue du 29 juillet et la rue d’Alger, l’emplacement de son accès a été prévu en face de la rue du 29 juillet et au niveau de l’entrée du jardin des Tuileries. L’idée initiale du Service technique du métropolitain était de créer un accès sur la terrasse des Feuillants qui longe la rue de Rivoli et dont elle est séparée par un muret et une grille. À cet endroit, la terrasse est au même niveau que le trottoir. En revanche, le jardin des Tuileries proprement dit se trouve en contrebas et pour y descendre les promeneurs empruntaient un petit escalier parallèle à la rue[4].
Le dossier[5] retrouvé aux Archives de Paris concernant la station Tuileries contient tout d’abord un rapport de Fulgence Bienvenüe, chef du Service technique du métropolitain, daté du 3 mars 1900 et faisant l’historique des démêlés mettant aux prises au sein même de l’État, d’une part le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et d’autre part la préfecture de la Seine et son Service technique du métropolitain.
Le premier projet de l’équipe de Bienvenüe consistait à gagner du terrain sur la terrasse des Feuillants en reculant la grille pour établir un escalier de descente vers la salle souterraine. Nous ne possédons pas le plan de ce projet mais nous pouvons formuler l’hypothèse selon laquelle, pour permettre de placer un tel escalier, il aurait été nécessaire d’ouvrir la grille du jardin de part et d’autre.
Si la voirie de la rue de Rivoli appartient bien à la Ville de Paris, le jardin des Tuileries est une propriété de l’État relevant du ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts. C’est donc à ce dernier qu’a été adressé le 31 octobre 1898 ce projet. Trois mois plus tard, le ministère, refusant que l’accès du métro n’empiète sur la terrasse, l’a rejeté par décision du 8 février 1899. Mais conscient qu’il faudrait trouver une solution, il a réfléchi à un contre-projet qu’il a présenté sous forme d’un croquis lors d’une réunion qui a eu lieu sur place le 11 juillet 1899. Sur ce dessin sommaire que nous reproduisons ci-dessous, deux escaliers placés sur le trottoir de la rue de Rivoli (et non sur la terrasse) convergeaient devant une petite salle de vente des billets en cul-de-sac, placée sous la terrasse.
Jugeant cette solution techniquement inadaptée (salle trop petite, escaliers se recoupant, mauvaise gestion des flux), le Service technique du métropolitain a alors opté pour une solution de rechange : ouvrir un escalier de descente vers la salle des billets, non plus sur la terrasse des Feuillants, mais dans son mur, en contrebas, du côté du jardin. La CMP, à laquelle incombait l’équipement des accès de surface aurait alors été chargée d’établir « tel système de grille qui eût convenu au service des Beaux-Arts, pour isoler cette entrée, occasionnellement, du reste du jardin ». Cette solution était astucieuse, mais avait le défaut de rendre l’accès peu visible depuis la rue et probablement aussi d’imposer la fermeture de la station pendant les heures de clôture du jardin. Nous ne possédons pas le plan de ce projet, mais nous pouvons également en donner une approximation.
Cette disposition d’un accès pratiqué dans un mur était proche de celle qui a été adoptée pour la station Concorde, où l’accès (faisant fonction d’entrée et de sortie) a été percé dans le mur de la terrasse du Jeu de Paume, mais cette fois du côté de la rue de Rivoli qui, à cet endroit, se trouve en contrebas de cette terrasse.
Ce type d’accès pratiqué à la station Concorde n’a posé aucun problème dans la mesure où il débouchait sur la voirie municipale. En revanche, ce second projet pour la station Tuileries, de même nature que pour la station Concorde mais débouchant dans le jardin, a été refusé comme le relate Bienvenüe : « Après bien des pourparlers et malgré l’insistance mise par le Conseil Municipal de Paris dans une délibération spéciale (1er décembre 1899), cette étude eut finalement le même sort que la première proposition, annoncé par une dépêche ministérielle du 22 décembre 1899). »
Cette dépêche (dont nous n’avons pas copie) comportait pourtant l’acceptation d’« une sorte de petite gare dans le tréfonds du Domaine », notion vague qui pouvait peut-être signifier que le ministère accepterait la possibilité de construire un édicule en bordure du jardin. Il aurait été en ce cas assez éloigné de la salle souterraine de vente des billets, ce qui ne pouvait pas convenir au Service technique du Métropolitain. Ce dernier s’est donc rabattu sur la solution moins favorable préconisée depuis juillet 1899 par le ministère et que, par prudence, le Conseil municipal avait validée à l’avance : celle d’escaliers implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Celui-ci n’ayant qu’une largeur de 3 m 50, l’escalier serait réduit à 1 m 50, « mais on ferait deux volées au lieu d’une, l’une pour l’entrée, l’autre pour la sortie. » Le plan annexé au rapport de Bienvenüe, que nous reproduisons ci-dessous, montre que, contrairement au croquis du ministère, les marches supérieures des deux escaliers se trouvaient cette fois logiquement placées de part et d’autre de l’entrée du jardin qu’ils desservaient (entrée à gauche et sortie à droite). À leur partie inférieure, de chaque côté, un corridor permettant de canaliser les flux d’entrée ou de sortie, tout en contournant le système racinaire des arbres de la terrasse proches de la grille, se retournait pour déboucher dans la salle de vente des billets.
C’est sans doute à cette époque — dans les derniers mois de 1899 — que Guimard a esquissé des projets pour l’accès de la station Tuileries qui constituait l’un des cas à part à traiter indépendamment des accès standards (édicules et entourages découverts). Comme on le sait, il s’était prudemment abstenu de participer au concours institué par la CMP de juin à août 1899 puisque ce concours destiné à donner des idées à l’architecte maison de la CMP, Paul Friesé, ne débouchait pas sur la commande des accès. Cependant, quelques esquisses crayonnées sur des calques appartenant au fonds Guimard du musée d’Orsay[6] montrent qu’il préparait des projets alors que, parallèlement, ses « supporters » au sein de l’administration préfectorale et de la Commission du métropolitain s’employaient à saper les projets « officiels » présentés à la Préfecture par la CMP[7]. Arrivés à maturité à la fin de l’année 1899, les projets de Guimard ont pu être approuvés par le conseil d’administration de la CMP le 12 janvier 1900, puis par la Commission du métropolitain[8] le 7 février, ainsi que par la Préfecture le 16 février.
Par leur finition sommaire et par leur style visiblement antérieur à celui des projets définitifs de janvier 1900, les dessins de Guimard non titrés, non datés et non signés que nous reproduisons ci-dessous font partie de sa période de recherche. Cependant, ils montrent qu’il avait déjà accès à des informations inconnues du public. Sans doute bien renseigné par un informateur — peut-être Defrance, le directeur administratif des travaux de Paris de la préfecture de la Seine ? — il a en effet travaillé sur la solution à deux escaliers convergents vers la surface, implantés sur le trottoir de la rue de Rivoli. Comme on peut le voir, il s’est servi de la montée des deux escaliers pour adopter de part et d’autre deux formes rampantes[9] venant se rejoindre au centre en enserrant l’enseigne au centre, devant la grille du jardin des Tuileries.
D’autres dessins, fragmentaires, donnent tout de même une idée plus précise du décor particulièrement original qu’il envisageait pour cet accès. Nous nous en sommes servi pour donner par infographie une restitution de l’édicule de sortie puis des deux édicules affrontés, comme sur le dessin ci-dessus. Ces deux édicules adoptaient déjà le schéma constructif qui sera celui des édicules A et B, c’est-à-dire des parois constituées de plaques de lave surmontées de vitrages puis d’un espace d’aération. Il est fort probable qu’à ce niveau, ces dessins n’étaient connus que de sa seule sphère amicale et qu’ils n’ont pas été communiqués à l’ensemble des conseillers municipaux, ni officiellement au Service technique du Métropolitain, ni à la CMP.
Une fois ses projets d’accès pour le métro (entourages découverts, édicules et pavillons) globalement adoptés par les autorités[10], du 12 janvier au 16 février 1900, Guimard aurait pu s’atteler à concevoir un projet plus définitif pour l’accès particulier de la station Tuileries à partir de ses esquisses. Mais à peine quelques jours plus tard, le projet du Service technique du métropolitain avec deux escaliers convergents vers la surface a essuyé un nouveau refus du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, signifié le 28 février 1900 et compromettant donc le principe du projet de Guimard. Nous n’avons pas le texte de ce refus, mais à la lecture du rapport de Bienvenüe, nous pouvons comprendre que le ministère, s’arc-boutant sur sa propre solution, reprochait à celle du Service technique du métropolitain de « compromettre l’existence des arbres dont les racines ne trouveraient plus une couche de terre suffisante », de prévoir une salle de vente des billets trop vaste, nécessitant de supprimer un arbre placé au-dessus d’elle et enfin, trouvait que les escaliers étaient trop proches de l’entrée du jardin. Dans son rapport, Bienvuenüe arguait qu’on ne saurait réduire significativement la salle et que l’arbre en question était déjà « fort misérable ».
Dans un second rapport, daté du 19 avril 1900, Bienvenüe relate la suite de l’affaire.
Sûr du bien-fondé du projet du Service technique du métropolitain et estimant sans doute que son blocage se faisait à un échelon inférieur au sein du ministère, il avait entre-temps fait appel au préfet de la Seine (Justin de Selves) afin que ce dernier intercède directement auprès du ministre. Mais cette intervention n’avait pas donné le résultat escompté puisque par une nouvelle dépêche du 28 mars 1900, le ministre avait fait savoir « qu’il ne saurait adopter d’autre combinaison que celle qui fut examinée sur place le 11 juillet 1899. » Ce nouveau refus péremptoire a donc finalement contraint le Service technique du métropolitain à adopter le système du ministère, tout en l’aménageant. Il a en effet fallu reculer un peu les escaliers, à présent divergents vers la surface et convergents vers la salle de vente des billets. Celle-ci, conformément aux exigences du ministère a eu des dimensions plus réduites, épargnant au passage l’arbre faisant face à l’entrée du jardin. L’accès de sortie était à présent situé à gauche et celui d’entrée à droite. Nous donnons ci-dessous le plan général qui était joint à ce dernier projet. On y remarque, dessinés à l’encre rouge, le pourtour et les ceintures des marquises destinées à surmonter les escaliers et qui marquent l’entrée officielle de Guimard dans le projet, vers avril 1900.
Pendant ce temps, en raison de ces tergiversation, l’accès de la station n’avait pas pu être construit et lors de l’inauguration de la première ligne du métro (elle-même en retard), le 19 juillet 1900[11], la station n’était pas ouverte. Elle ne le sera que le 27 août, avec une balustrade et un portique en bois qui vont sans doute perdurer jusqu’au début de 1902.
Un dossier constitué par la CMP[12] et déposé aux Archives de Paris révèle l’étape suivante. Il ne contient pas de rapport explicatif mais des plans correspondant à l’état du projet d’édicules présenté en septembre 1900. Les esquisses antérieures de Guimard ne pouvant convenir à ce nouveau projet, il a travaillé, cette fois officiellement, sur la nouvelle disposition adoptée par le Service technique du métropolitain.
À cette époque, une partie des conseillers municipaux, très déterminés, ont obtenu la suppression d’une majorité des édicules prévus pour le premier chantier[13] du métro pour les remplacer par des entourages découverts. Ces derniers qui devaient au départ être l’exception sont devenus majoritaires. Pour tenter de sauver son programme d’édicules (dont la construction était pourtant plus onéreuse que celle des entourages), la CMP et Guimard ont proposé des édicules à claire-voie sur lesquels les plaques de lave des parois étaient remplacées par des écussons, créant ainsi un effet de transparence des plus heureux. L’accès de la station Hôtel de Ville[14] a ainsi reçu un édicule A à claire-voie (plan daté juillet 1900) tandis que celui de la station Gare de Lyon a reçu un édicule B à claire-voie (plan non daté, avant novembre 1900).
Ces deux édicules expérimentaux ont effectivement été agréés par la Commission du métropolitain et par la préfecture, puis construits. Mais ils sont cependant restés uniques dans leur genre et, dès la conception des accès aux stations souterraines de la ligne 2 au début de l’année 1902, le principe des édicules a été définitivement abandonné au profit d’entourages découverts à fond arrondi. En ce qui concerne l’accès de la station Tuileries, les plans de Guimard datés du 30 août 1900 — donc dans la même période que ceux de Gare de Lyon et d’Hôtel de Ville — présentent également une balustrade avec des écussons. Guimard n’a représenté qu’un seul des deux demi-édicules qui étaient symétriques, celui côté entrée.
Du côté de la rue, deux piliers en fonte de forme arborescente, à gauche et à droite, soutiennent la ceinture de la marquise relevée. Celle-ci est constituée de deux séries de panneaux de verre se recouvrant partiellement comme des tuiles.
L’eau de pluie est conduite vers l’arrière, dans un chéneau maintenu par des poteaux métalliques prenant appui sur le muret de la grille avec laquelle il n’y a pas de contact. Au contraire — et c’est ce qui confère une grande séduction à ces accès — Guimard a donné à l’extrémité latérale des marquises un mouvement enveloppant autour des piliers de la grille, mouvement qui évoque irrésistiblement le spathe de l’arum.
Une enseigne « METROPOLITAIN » en lave émaillée était placée parallèlement à la rue sur chacun des demi-édicules et complétée par une enseigne « ENTRÉE » ou « SORTIE »[15] placée en oblique. Guimard avait prévu de maintenir ces derniers panneaux par de fines lignes de fontes étirées entre le pilier avant et la ceinture de la marquise. Visuellement l’effet était superbe, mais il est possible que Guimard ait présumé de la solidité d’un tel montage[16] en sous-estimant le caractère cassant de la fonte.
Enfin, en examinant de près les dessins, on peut soupçonner que deux verrines d’éclairage ayant la forme d’un globe étaient insérées au sommet des piliers. Elles assuraient la même fonction de signalisation de l’accès que les verrines des entourages découverts.
Ce projet qui aurait pu devenir l’une des plus belles réussites de l’architecte pour les accès du métro de Paris n’a pourtant pas vu le jour. Cette fois, nous ne bénéficions plus des explications du rapport de Bienvenüe, mais il est fort probable que ce nouveau refus a été imputable aux conseillers municipaux anti-édicules.
Dans un prochain article, nous verrons comment Guimard et la CMP ont pu trouver une solution satisfaisant toutes les parties et comment cette solution a finalement été « détournée » de son usage initial.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Du 20 septembre au 21 décembre 2024, au 18 boulevard Sérurier 75019 Paris (métro et tramway Porte des Lilas)
[2] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, Éditions La Vie du Rail, 2012.
[3] Les emplacements et les dimensions de ces accès ont été officiellement soumis aux votes du Conseil municipal des 17 et 20 mars 1899 sur proposition de la Commission du Métropolitain et finalement approuvés le 20 mai 1899. Cependant, l’essentiel de ces caractéristiques avait été défini auparavant par le Service technique du métropolitain, ce qui, pour l’accès de la station Tuileries, avait permis d’engager des pourparlers avec le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts dès 1898.
[4] Ce dispositif d’accès au jardin en contrebas a été ultérieurement modifié pour établir un large escalier perpendiculaire à la rue et deux rampes qui lui sont parallèles.
[5] Archives de Paris, V2O8 7.
[6] Voir notre article Une visite à l’exposition-accrochage au musée d’Orsay « Hector Guimard et la genèse du Métropolitain ».
[7] Cette manœuvre est une supposition mais que nous croyons être suffisamment étayée pour être crédible. On se reportera au livre Guimard l’Art nouveau du métro, p. 31.
[8] Dans les derniers jours de 1899, en raison du blocage des projets « officiels », aucune solution concrète ne se présentait pour la CMP. Or l’intersession du conseil municipal avait été fixée du 31 décembre 1899 au 5 mars 1900. Si une décision ne pouvait intervenir qu’après cette date, la CMP ne pourrait alors pas mettre à temps les accès en fabrication pour une mise en exploitation prévue lors de l’Exposition universelle de 1900. Par une délibération du 30 décembre 1900, le conseil municipal a donc délégué à la Commission du métropolitain la possibilité d’accepter les projets d’accès pendant l’intersession.
[9] Il faut signaler que lors du concours organisé par la CMP en 1899, l’architecte Bonifassé avait également utilisé une forme rampante, de surcroit dans un style Art nouveau. Il avait obtenu un troisième prix ex-æquo pour l’édicule C (place de l’Étoile) et le journaliste Rivoalen (La Construction Moderne du 18 novembre 1899) reconnaissant qu’il s’agissait là d’une solution rationnelle pour abriter une descente d’escalier l’avait surnommé « l’audacieux rampiste de l’art nouveau ». Signalons aussi que certains accès du métro de New York, placés sur des trottoirs, ont utilisé une forme rampante à partir de 1904.
[10] À part l’édicule B (celui à toiture en V) qui a été adopté d’emblée, les plans des autres types d’accès ont ensuite reçu des modifications, notamment l’édicule A, et l’entourage découvert pour son portique. Comme pour l’accès de la station Tuileries, les deux cas particuliers de l’accès de la station Bastille du côté du chemin de fer de Vincennes et de celui de la gare de Lyon ont été traités plus tardivement.
[11] Le 19 juillet 1900, seules huit stations ont été ouvertes. Beaucoup d’accès, en particulier ceux devant recevoir un édicule ou un pavillon étaient encore provisoires avec une balustrade en bois. Les entourages découverts comportaient alors un portique provisoire en bois.
[12] Archives de Paris, 2Fi 324-327.
[13] Ces manœuvres ont commencé dès le printemps 1899, donc à un moment où l’on ne connaissait pas encore l’aspect qu’allaient prendre les édicules. Ces conseillers municipaux, issus des « beaux quartiers », craignaient en fait que ces édicules ne compromettent la beauté et la régularité des avenues. La délibération du Conseil municipal du 19 mai 1899 a supprimé les édicules sur la rue de Rivoli (stations Châtelet, Louvre, Palais Royal) remplacés par des entourages découverts à fond orthogonal et sur les Champs-Élysées (stations Champs-Élysées, Rue Marbeuf, Avenue de l’Alma) remplacés par des entourages découverts à fond arrondi. Mais le combat contre les édicules a continué et la délibération du Conseil municipal du 16 novembre 1900 a supprimé les édicules de l’Avenue Kléber, de la place Victor Hugo et de la place du Trocadéro (stations Kléber, Boissière, Victor Hugo et Trocadéro) au profit d’entourages découverts à fond orthogonal.
[14] Cet édicule a été transféré à la station Abbesses en 1974.
[15] Voir notre article Les signalisations d’entrée et de sortie des accès de métro de Guimard.
[16] Ainsi, Guimard avait dû modifier le montage initial trop fragile des porte-enseignes des entourages découverts, . Cf. notre article à ce sujet.
La journée d’étude Hector Guimard à l’Hôtel de Ville de Paris a été un grand succès. Des spécialistes de Guimard s’y sont relayés toute la journée dans une ambiance conviviale pour donner des synthèses des connaissances dans certains domaines, exposer des parallèles avec d’autres architectes contemporains ou encore pour présenter des nouveautés tout à fait passionnantes. Nous avons également bénéficié de communications de nos amies américaines car ce sujet d’étude a toujours été vivant de part et d’autre de l’Atlantique.
Le Cercle Guimard ne relâche pourtant pas ses efforts et propose pour clore l’année Guimard une conférence qui sera consacrée à l’histoire de la station de métro Tuileries. La conférence — gratuite — aura lieu le 17 décembre 2024 à 18 h, aux Archives de Paris, 18 boulevard Serurier, 75019 Paris, salle Paul Verlaine, sans inscription préalable, dans la limite des 100 places disponibles.
Qui imaginerait en descendant les escaliers de cette station de la ligne 1 que la mise en place de ses accès a été l’occasion d’une lutte sourde entre, d’une part le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et d’autre part le Service du Métropolitain de la Préfecture de la Seine ? De nouveaux documents découverts par l’équipe des Archives de Paris — à l’occasion de la mise en place de l’exposition Guimard qui s’y déroule jusqu’au 21 décembre — nous permettent d’en retracer les péripéties d’une façon plus précise que ce que nous avions pu écrire dans le livre consacré au métro de Guimard[1]
De plus, Le Cercle Guimard a eu la chance de bénéficier du don de plusieurs fragments de dessins originaux de Guimard qui nous renseignent sur son immiscion dans cette affaire, nous convainquant que les accès de la station Tuileries, si modestes aujourd’hui, auraient pu être des créations exceptionnelles et originales de notre architecte. Nous en dévoilons ci-dessous un détail, mais nous serons aptes à en montrer une vue plus complète au cours de la conférence du 17 décembre.
Après cette conférence, deux articles à paraître sur notre site ne seront pas de trop pour présenter ces nouveautés et pour compléter l’histoire des accès de cette station ainsi que de leurs avatars… et de leurs avanies.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, La Vie du Rail, 2012.
La journée d’étude consacrée à Hector Guimard se tiendra mardi 03 décembre de 9 h à 17 h dans la salle du Conseil de Paris. Malheureusement, les places disponibles ont déjà toutes été réservées… Un enregistrement vidéo des communications sera assuré (à l’exception de celle sur la maison Coilliot). Nous présentons brièvement ci-dessous la plupart d’entre elles.
Frédéric Descouturelle, Cercle Guimard. L’image d’Hector Guimard, entre fantasmes et réalités. Frédéric Descouturelle est titulaire d’un Master II en histoire de l’art sur les fontes de Guimard produites à Saint-Dizier. Il est l’auteur ou co-auteur d’une dizaine de livres consacrés à l’École de Nancy (et plus particulièrement au menuisier Eugène Vallin) ainsi qu’à Guimard. Il est aussi l’auteur de nombreux articles et dossiers publiés sur le site du Cercle Guimard.
Cette première communication s’attache à l’image de Guimard, son image physique bien sûr, mais aussi son image psychologique et celle que s’en sont faite les historiens et les exégètes de son œuvre. Était-il un révolté isolé ? Un martyr de la modernité sacrifié sur l’autel de la réaction ? Un mystique dont les préoccupations ésotériques peuvent se décrypter ? L’histoire de l’art a toujours reflété et raconté en creux les idées et les préoccupations des époques où elle a été écrite, ainsi que celles des historiens. Ne doutons donc pas que nos propres spéculations seront révisées par de futures générations d’historiens. Mais en démontant la manipulation de certaines sources bibliographiques, nous montrerons jusqu’où peut aller l’aveuglement de ceux qui veulent voir.
Olivier Barancy, Cercle Guimard. Guimard et Lavirotte : deux destins parallèles. Spécialiste des immeubles anciens, Olivier Barancy est architecte. Initié à l’Art Nouveau par l’historien Roger-Henri Guerrand lors de son cursus universitaire, il a publié plusieurs ouvrages d’histoire de l’art dont une monographie consacrée à Jules Lavirotte en 2017.
Bien qu’Hector Guimard ait refusé d’être comparé à ses confrères, son contemporain Jules Lavirotte présente un profil parallèle, dans sa vie privée ou publique. Les rencontres des deux architectes lyonnais ont été rares mais leurs carrières ne sont pas antagonistes. La mise en miroir de leurs œuvres respectives montre plus de différences que de similitudes : Hector Guimard étant très moderne, dans sa communication et sa créativité foisonnante, tandis que Lavirotte prouve son audace dans l’emploi de la céramique architecturale et l’usage récurrent du ciment armé.
Léna Lefranc-Cervo. Hector Guimard et le Groupe des architectes modernes : réseaux et stratégies de mobilisation d’un architecte moderne. Léna Lefranc-Cervo est diplômée de l’École du Louvre et docteure en histoire des arts (Université Rennes 2). Elle est actuellement enseignante à l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne.
La communication s’attachera à présenter le rôle central de l’architecte dans le processus de fédération des novateurs et pour l’accès à la commande. Elle analysera ainsi les démarches entreprises dans ce sens par Guimard depuis les années 1890 jusqu’à la création du Groupe des Architectes Modernes en 1922, et reviendra sur les stratégies de mobilisation de ce groupe notamment dans le cadre de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925.
Dominique Magdelaine, Cercle Guimard. Un décor inédit réalisé par Hector Guimard à l’époque du Castel Béranger. Dominique Magdelaine est hectorologue et cartophile depuis plus de quarante ans.
La diffusion du Style Guimard dans les arts décoratifs a t-il été un succès ou échec commercial ? En créant l’album L’Art dans l’Habitation Moderne, le Castel Béranger — ouvrage démonstratif d’une construction synthétisant ses principes : logique harmonie et sentiment — l’architecte pensait-il également que cet album pourrait être utilisé comme catalogue par ses voisins du XVIe ? C’est en tous cas ce que révèle l’aménagement de l’Institution des Marronniers, rue de l’Yvette.
Jérémie Cerman. Hector Guimard et les papiers peints. Jérémie Cerman est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université d’Artois. Il a notamment publié les ouvrages Le papier peint Art nouveau. Création, production, diffusion (Mare & Martin, 2012), et, sous sa direction, Les années 1910. Arts décoratifs, mode, design (Peter Lang, 2021). En 2024, il a assuré le co-commissariat scientifique de l’exposition « Colosses. Lutteurs, culturistes et costauds dans les arts » (Musée Courbet, Ornans, 1er juin-13 octobre 2024), dont il a également codirigé le catalogue.
Les papiers peints conçus par Hector Guimard pour le Castel Béranger suscitèrent maints commentaires qui témoignent de leur place importante dans la décoration intérieure de l’édifice. Cette intervention reviendra sur les témoignages qui nous sont parvenus de ces réalisations, sur leur réception critique ainsi que sur les quelques autres contextes dans lesquels des papiers peints de Guimard furent employés, ou exposés, autour de 1900.
Maréva Briaud, Cercle Guimard. Le bestiaire fantastique et coloré du Castel Béranger. Maréva Briaud est architecte de formation. Elle est doctorante à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine, sous la tutelle de l’École doctorale d’histoire de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et prépare actuellement une thèse intitulée une thèse sous la direction de Valérie Nègre intitulée « Architecture, artisanat et commerce. La fabrique des façades céramiques polychromes à Paris (1827-1914) ».
Le Castel Béranger d’Hector Guimard, primé au concours des façades de 1898 organisé par la ville de Paris, n’est pas seulement singulier par la pluralité des matériaux employés en maçonnerie ; il l’est aussi par la profusion des chimères qui ornent ses façades. Cette communication tente de dresser un inventaire raisonné du bestiaire du Castel Béranger, oscillant entre figuration et abstraction, inspiré tant de la Nature que de la fantasmagorie du Moyen-Âge.
Isabelle Gournay. Les immeubles de rapport de Guimard vus du dedans : approches comparatives et pistes de recherche. Professeure honoraire à l’École d’architecture de l’ Université du Maryland, Isabelle Gournay a présenté l’an dernier à Chicago une communication sur les logements de Guimard dans leur contexte parisien. Auparavant, en septembre 2021, elle a publié sur notre site un article consacré aux Multiples Auteuils de Guimard.
Nouvelle piste de recherche encore peu explorée, la typologie des surfaces habitables imaginées par Guimard fait l’objet avec cette communication d’un premier bilan incluant la plupart de ses immeubles de rapport. Grâce aux plans des permis de construire (rarement réalisés tels quels) mais aussi grâce à des visites sur place et à des échanges avec des occupants des appartement, cette communication situe la pratique de Guimard dans l’évolution de l’habitat parisien contemporain, mais la compare aussi à des exemples américains qu’il avait pu connaitre lors de voyages aux USA. Des deux-pièces d’immeubles économiques aux appartement de grand luxe de certains programmes, parfois revêtus de façades indifférenciées, elle s’attache à montrer son originalité mais aussi les sacrifices consentis au confort moderne.
Olivier Pons, Cercle Guimard. La maison Coilliot par Hector Guimard, quand un négociant en céramique convoque l’Art nouveau parisien à Lille. Co-auteur de deux livres consacrés à Guimard, Olivier Pons a également publié plusieurs dossiers thématiques consacrés à l’architecte sur le site du Cercle Guimard. Parallèlement à ce travail d’écriture, il poursuit son effort de recherche et de compilation engagé depuis plus d’une décennie sur les productions mobilières et décoratives de Guimard.
La maison Coilliot est le fruit d’une rencontre entre Louis Coilliot, un des principaux négociants en céramique lillois, amateur d’art et de nouveautés et Hector Guimard, l’un des architectes les plus en vue de l’époque, propulsé au devant de la scène artistique et médiatique grâce au chantier parisien du Castel Béranger. En 1897, Louis Coilliot commande à Guimard une construction démonstrative à la fois vitrine publicitaire en rapport avec son commerce mais aussi point d’orgue du projet architectural voulu pour son terrain et débuté quatre ans plus tôt avec la construction de son entrepôt en béton armé Hennebique. Signe que son travail a séduit Louis Coilliot, Guimard poursuit son intervention à l’intérieur du bâtiment en réalisant une partie du décor fixe et en dessinant un des plus beaux mobiliers de sa carrière.
Nicolas Horiot, Cercle Guimard. La toiture de l’hôtel Mezzara : enquête patrimoniale. Nicolas Horiot, architecte DPLG, est président du Cercle Guimard dont il anime infatigablement les activités, en particulier le projet de création d’une entité muséale à l’hôtel Mezzara.
Cet hôtel particulier, œuvre d’Hector Guimard, vice-président de la Société des Artistes Décorateurs et conçu pour l’autre vice-président, a été profondément modifié au fil du temps, s’éloignant de sa configuration d’origine. Cette étude, fruit des recherches du Cercle Guimard, synthétise nos travaux et met en lumière de récentes découvertes décisives pour sa compréhension. Elle s’inscrit dans une démarche de valorisation du patrimoine Art nouveau et propose des pistes de recherches complémentaires.
Elizabeth Cummings et Aimée Laberge. Un métro plus beau à Chicago. Elizabeth Cummings, historienne du design et médiatrice culturelle, était directrice de la médiation au Driehaus Museum, Chicago, jusqu’à tout récemment. Elle est membre du Chicago Sister Cities, Comité Paris-Chicago, qui a été créé à la de suite du pacte d’amitié et de coopération qui unit la Mairie de Paris et la Mairie de Chicago.
Originaire du Québec, Aimée Laberge a été directrice des programmes culturels à l’Alliance Française de Chicago pendant 15 ans. Ce mandat lui a permis de contribuer au rayonnement des cultures francophones et de la langue française au Midwest, et aussi de mettre en place des programmes en partenariat avec la Chicago Architecture Biennale à plusieurs reprises.
Un cadeau de la Ville de Paris à Chicago, l’entrée de métro Art nouveau d’Hector Guimard accueille les passagers du réseau de transport METRA à Grant Park, au cœur de la ville, depuis 20 ans. Des travaux de rénovation de cette station nécessitent la relocalisation de l’entourage Guimard. Cette présentation explore la possibilité d’en faire l’ancre d’un quartier culturel et le portail vers un espace urbain, affecté par la pandémie, à revitaliser. La question se pose alors: Et si Hector Guimard venait flâner à Chicago aujourd’hui… Quelle impression aurait-il de notre quartier ? Quelles suggestions pour en faire un lieu où il fait mieux vivre ensemble ?
Simon Texier. L’édicule A à claire-voie de l’Hôtel de Ville : histoire administrative d’un déplacement étonnamment heureux. Simon Texier est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Picardie Jules-Verne et secrétaire général de la Commission du Vieux Paris. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’architecture et l’urbanisme parisiens contemporains, notamment Paris contemporain : une capitale à l’ère des métropoles (2010).
L’installation place des Abbesses, en 1974, de l’édicule A anciennement implanté rue Lobau, à l’arrière de l’Hôtel de Ville, pose une multitude de questions. Le déplacement d’une œuvre n’est jamais innocente, son insertion dans un nouveau contexte lui conférant une autre dimension, quasi muséale. Globalement perçu comme une réussite, cet épisode trahit toutefois les incertitudes et les approximations de la patrimonialisation d’Hector Guimard. Il faut par conséquent revenir en amont, soit à la création du Casier archéologique de la Ville de Paris en 1916, pour tirer les fils d’une histoire administrative aux multiples facettes.
Si vous n’êtes pas parmi les chanceux qui ont pu s’inscrire à temps à cette journée d’étude, vous pourrez profiter de la republication sur notre site de la plupart des articles. Le sujet sur la maison Coilliot à Lille fera même l’objet d’un livre en 2025.
Dans le cadre de l’Année Guimard instituée par la Mairie de Paris, la Commission du Vieux Paris et le Cercle Guimard ont mis sur pied une journée d’étude consacrée à l’architecte. Elle aura lieu le 3 décembre 2024 et se tiendra dans la salle du Conseil de Paris, à l’Hôtel de Ville, 5 rue de Lobau, Paris 4e, de 9 h à 17 h.
Tout au long de la journée, treize spécialistes de Guimard, universitaires ou non, se succéderont pour présenter des actualités sur leurs recherches, mais aussi des analyses. Nous avons veillé à ce que les sujets abordés, d’une durée d’une vingtaine de minutes et entrecoupés de discussions, soient variés et attrayants, savants mais aussi accessibles à tous. Signe de l’intérêt qu’ont toujours porté nos amis nord-américains à l’œuvre de Guimard, deux conférences (dont une transmises par vidéo depuis les USA) seront données par des américaines francophones. D’intéressants parallèles avec les œuvres des architectes contemporains Lavirotte et Sauvage enrichiront également cette journée d’étude.
9h00 INTRODUCTION
9h15 LES ARCHITECTES – 1re partie
L’image d’Hector Guimard : entre fantasmes et réalités par Frédéric Descouturelle, Cercle Guimard.
Guimard et Lavirotte : deux destins parallèles par Olivier Barancy, architecte, Cercle Guimard.
Hector Guimard et le Groupe des architectes modernes : réseaux et stratégies de mobilisation d’un architecte moderne par Léna Lefranc-Cervo, docteure en histoire de l’architecture, université Rennes 2.
10h20 DISCUSSION
10h40 LES ARTS DÉCORATIFS
– Un décor inédit réalisé par Hector Guimard à l’époque du Castel Béranger par Dominique Magdelaine, Cercle Guimard.
– Hector Guimard et les papiers peints par Jérémie Cerman, professeur d’histoire de l’art contemporain, université d’Artois.
– Le bestiaire fantastique et coloré du Castel Béranger par Maréva Briaud, architecte, doctorante en histoire de l’art, université Paris I Panthéon-Sorbonne, Cercle Guimard
11h45 DISCUSSION
14h00 LES ARCHITECTES – 2e partie
– Un métro plus beau à Chicago par Elizabeth Cummings, consultante indépendante et Aimée Laberge, Alliance française de Chicago.
– Hector Guimard et Henri Sauvage : approche comparée par Jean-Baptiste Minnaert, professeur d’histoire de l’art contemporain, Sorbonne-Université.
– Les immeubles de rapport de Guimard vus du dedans : approches comparatives et pistes de recherche par Isabelle Gournay, professeure honoraire, École d’architecture, université du Maryland.
– La maison Coilliot par Hector Guimard, quand un négociant en céramique convoque l’Art nouveau parisien à Lille par Olivier Pons, Cercle Guimard.
15H 20 DISCUSSION
15h 40 PATRIMOINE
– L’édicule A à claire-voie de l’Hôtel de Ville : histoire administrative d’un déplacement par Simon Texier, professeur d’histoire de l’art contemporain, université de Picardie Jule-Verne.
– La toiture de l’hôtel Mezzara : enquête patrimoniale par Nicolas Horiot, architecte, Cercle Guimard.
– Guimard au musée : valoriser l’Art nouveau par Élise Dubreuil, conservatrice du patrimoine, musée d’Orsay.
16h 40 DISCUSSION ET CONCLUSION DE LA JOURNÉE
Vous pourrez retrouver toutes les informations pratiques sur cette page internet.
L’entrée, gratuite, se fait sur réservation, dans la limite des places disponibles. Nous vous conseillons donc de réserver votre place au plus vite.
Pour ce dernier mois de l’année 2024, Le Cercle Guimard vous propose une nouvelle visite guidée :
Ce parcours sera l’occasion d’admirer les décorations de Noël animant les passages couverts et les vitrines des grands magasins !
Les visites guidées sont au tarif unique de 20 euros par personne.
Merci de cliquer sur l’horaire qui vous convient :
Date / Heure | Événement | Places disponibles |
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sam 04/01/2025 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, architecte d'art" | 1 |
sam 18/01/2025 / 10:00 | Visite guidée "Hector Guimard, ses œuvres de jeunesse" | 17 |
Dès leur achèvement en 1898, les façades du Castel Béranger ont interpellé les passants de la rue La Fontaine[1]. Il faut dire que leur richesse, tant du point de vue de la polychromie que de l’ornementation, était en nette rupture avec celles des façades des maisons de rapport avoisinantes. Au Castel Béranger les registres aquatiques, botaniques, médiévaux et fantastiques[2] s’entremêlent pour animer les fontes, les céramiques et les ferronneries ornant les façades. Ce pittoresque, prôné par les pouvoirs publics du moment, a même valu au Castel Béranger l’un des prix du concours des façades de 1898 organisé par la Ville de Paris[3].
Pourtant, ce riche décor à l’origine de la renommée internationale du Castel Béranger et d’Hector Guimard n’était pas celui initialement prévu par l’architecte. Les élévations des façades du permis de construire déposées par Guimard en mars 1895, que l’on peut actuellement voir exposées aux Archives de Paris[4], en font foi. L’existence de ces documents n’est pas une découverte puisqu’ils sont connus depuis longtemps et disponibles à la consultation. Cependant, leur scan en haute définition réalisé dans le cadre de l’organisation de cette exposition pour l’année Guimard, a révélé un projet de décorum en céramique avorté. Celui-ci devait être réalisé en majorité en collaboration avec l’établissement Muller & Cie, entreprise avec laquelle Hector Guimard collaborait jusqu’alors. Les récents travaux de Frédéric Descouturelle et d’Olivier Pons publiés dans l’ouvrage La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard[5] permettent d’identifier la plupart des modèles qui devaient être employés.
Le projet initial du Castel Béranger
Le Castel Béranger était une commande d’Élisabeth Fournier, bourgeoise du quartier d’Auteuil. Veuve et désireuse de placer un capital dans l’immobilier, elle s’est tournée à la fin de l’année 1894 vers l’architecte Hector Guimard, résidant lui aussi dans le quartier, pour la construction d’un immeuble de rapport rue La Fontaine.
Sans contraintes de la part de la commanditaire, le jeune architecte a conçu un projet dont les principes sont issus de l’école rationaliste de Viollet-le-Duc. En façade, une architecture pittoresque aux références médiévales cohabite avec une polychromie due à l’emploi de différents matériaux, à la mise en peinture des fontes et ferronneries et à un décor de céramiques émaillées.
Avant son voyage à Bruxelles durant l’été 1895, Hector Guimard a déposé à la mairie de Paris le permis de construire du Castel Béranger pendant la seconde quinzaine du mois de mars[6]. Celui-ci comprenait les plans des différents niveaux (plan des caves, plan de rez-de-chaussée, plan d’étages courants, plans des cinquième et sixième étages) ainsi que les élévations des façades sur rue et sur cour. On y découvre un édifice en U constitué de deux corps de bâti organisés autour d’une cour, reliés entre eux par un escalier. L’immeuble est à l’alignement côté rue, tandis que la cour est ouverte du côté du hameau Béranger.
Ces dessins du permis de construire sont suffisamment détaillés pour que l’on puisse se faire une idée assez précise du décor qui était alors prévu. Celui des ferronneries des garde-corps, ainsi que celui du portail d’entrée reflètent un style indéfini, assez convenu et moins audacieux que sur l’hôtel Jassedé réalisé deux ans plus tôt au 41 rue Chardon-Lagache. On y remarque toutefois des stylisations florales.
On peut effectivement reconnaître à nouveau la fleur et les feuilles du tournesol, motif principal du décor de l’hôtel Jassedé. Il est possible que, dans une optique économique, Guimard avait prévu de faire réaliser en fonte les motifs centraux qui se répètent à de multiples reprises sur les façades. C’est en tous cas ce qu’il a fait dans la version définitive des garde-corps des balcons.
La ferronnerie du portail n’est pas non plus très inventive avec ses barreaux verticaux régulièrement espacés. Seuls, en partie haute, deux motifs en spirale envoyant des rayons en périphérie lui donnent un aspect plus dynamique.
Au-dessus des devantures des deux petites boutiques des dernières travées de droite, Guimard a prévu l’emplacement d’une large enseigne pouvant être insérée devant un linteau métallique. Il lui a dessiné un décor interrompu par deux plus petits emplacements d’enseignes placés devant les allèges des fenêtres du premier étage.
Ce décor est lui aussi naturaliste avec des motifs répétitifs de fleurs en deux tailles. Probablement prévus en céramique émaillée, ils semblent être encadrés par des ferronneries se terminant en demi-cercle, dentelées comme le sont certaines feuilles, et séparés les uns des autres par des épis floraux.
Le Castel Béranger et Muller & Cie
Comme le montrent les plans du permis de construire, de nombreux éléments en céramique étaient prévus sur les façades. Grâce au livre consacré à la céramique et à la lave émaillée de Guimard[7], plusieurs éléments du décor initial ont été identifiés dans les catalogues Muller & Cie : métopes garnissant les linteaux, métopes ornant les allèges, épi de faitage et frises décorant le vestibule. Ces éléments, produits et commercialisés par l’établissement Muller & Cie, ont été dessinés et employés par Guimard pour décorer certains de ses projets antérieurs au Castel Béranger.
Dans le projet initial, Guimard avait prévu de réemployer le dispositif de linteau conçu en 1893 pour l’hôtel Louis Jassedé, rue Chardon-Lagache[8]. Comme deux ans auparavant, le modèle de métope édité sous le numéro 13 dans le deuxième catalogue de Muller & Cie devait garnir les linteaux métalliques des baies du Castel Béranger. Le dessin des façades montre que les métopes devaient être enserrées dans des cadres en fer vissés, à la manière du linteau d’encorbellement de la villa Charles Jassedé construite elle-aussi en 1893.
Le modèle devant orner l’allège de certaines baies est la métope n° 35 de Muller & Cie. Elle a aussi été employée à l’hôtel Jassedé pour animer le socle de l’édifice. Même si son aspect tranche nettement avec le modèle n° 13, elle a bien été dessinée par Guimard comme le prouve le tableau des prix du catalogue Muller et Cie de l’année 1904 qui associe à chaque modèle le nom de l’architecte qui l’a conçu.
Tout comme c’est le cas aujourd’hui, la toiture en pavillon placée à l’extrémité gauche du volume bâti bordant la rue La Fontaine devait être couronnée d’un épi de faîtage. Contrairement à l’exemplaire actuel qui semble être en fonte, celui d’origine devait être en céramique et fabriqué par Muller & Cie.
Le manque de précisions de sa représentation dans les élévations du permis de construire ne permet pas d’identifier avec certitude le modèle qui devait être employé. Cependant, on peut tout de même formuler l’hypothèse qu’il s’agit d’une nouvelle transformation de l’épi n° 23 dessiné par Gustave Raulin[9] pour les écoles d’Ivry-sur-Seine (1880-1882).
Après avoir employé ce modèle au restaurant café-concert Au Grand Neptune en 1888, Guimard l’a aussi utilisé pour couronner la toiture de la villa Charles Jassedé à Issy-les-Moulineaux[10].
Peu avant, pour l’hôtel Jassedé, il avait transformé cet épi de faîtage en supprimant les rouleaux latéraux et en ajoutant des enroulements tirés de l’épi n° 22 du catalogue Muller & Cie.
Bien que semblant assez éloigné de cette dernière variante, le dessin de la première version de l’épi de faîtage du Castel Béranger présente de nombreuses similitudes avec l’épi n° 23 original. En effet, comme le modèle de Raulin, l’exemplaire dessiné par Guimard présente une extrémité dont la forme se rapproche de celle d’un bouton floral. Sur les deux prototypes on observe un déploiement de feuilles à sa base. La différence majeure réside en une section ronde[11] et allongée et l’absence de rouleaux sur le fût.
Les murs du vestibule, quant à eux, devaient initialement recevoir un décor très éloigné de celui actuel formé de parois bouillonnantes en grès exécutés par Bigot. De façon plus classique, les parois devaient être animées de cinq frises florales horizontales. Leur apparence se rapproche de celle des panneaux cloisonnés verticaux, utilisés par l’architecte en 1891, pour border les fenêtres des retours de la véranda de l’hôtel Roszé[12]. Il s’agit du modèle édité sous le n° 127 dans le deuxième catalogue Muller & Cie. Guimard semble avoir prévu de séparer ces frises par des lits de briques émaillées, à la manière du vestibule du 66 rue de Toqueville à Paris réalisé par Muller & Cie en 1897 sous les directives de l’architecte Charles Plumet[13].
Deux tympans et un modèle de métope en céramique, visibles sur les élévations de façades du permis de construire du Castel Béranger, n’ont pas encore été identifiés dans les catalogues Muller & Cie. Il est probable que ces exemplaires devaient eux aussi être réalisés par l’établissement[14]. Mais, il est aussi envisageable que Guimard avait déjà prévu de faire appel à l’établissement Gilardoni & Brault pour leur fabrication.
Durant son séjour bruxellois, Hector Guimard a eu l’opportunité de rencontrer les architectes Victor Horta et Paul Hankar, figures phares de l’Art nouveau belge. Il a en particulier trouvé chez Horta une intégration du décor à la structure qui n’avait pas d’équivalent ailleurs et qui a bouleversé sa vision de l’architecture moderne. Après ce voyage, Guimard a délaissé les décors botaniques figuratifs dessinés sous l’influence nancéienne[15] pour une ornementation tendant davantage vers l’abstraction. Il a emprunté à Horta le motif de la ligne en coup de fouet, mais il s’est aussi référé à d’autres sources plus anciennes[16].
Ainsi, à son retour à Paris, Guimard a redessiné l’ensemble du second œuvre du Castel Béranger en suivant le principe d’œuvre d’art totale qui l’avait tant marqué dans les productions d’Horta. Outre la conception des éléments destinés au décor et à l’aménagement des appartements (papiers peints, crémones, poignées, vitraux, cheminées…), l’architecte a transformé l’ensemble de l’ornementation des façades et du vestibule.
Contrairement au second œuvre, il a été impossible pour l’architecte de modifier les plans précédemment conçus ; le chantier du gros-œuvre ayant débuté dès son retour de Belgique. En comparant avec attention les plans et les façades dessinés pour le permis de construire avec ceux publiés dans le portfolio du Castel Béranger[17], on se rend compte que l’agencement des espaces et la volumétrie générale des corps de bâtis sont quasiment identiques. Les légères modifications notables (ouvertures, échauguettes, souches de cheminées, volume du bâti côté cour) résultent certainement du processus naturel du projet conduisant l’architecte à questionner sans cesse son travail. Celles-ci sont donc sûrement apparues lors du dessin des plans d’exécution destinés aux artisans du gros œuvre, probablement produits avant le départ de Guimard pour la Belgique.
Si l’on compare les dessins des façades du dossier de permis de construire avec celles publiées à l’issue de la construction dans le portfolio du Castel Béranger, on se rend compte que l’ensemble des ferronneries initialement prévues a été remplacé par des modèles alternatifs. Le caractère floral a disparu au profit d’un nouveau style, en partie abstrait et en partie fantastique.
De même, tous les décors en céramique prévus sur le permis de construire ont été remplacés. Guimard a alors cessé sa collaboration avec l’établissement Muller & Cie alors que quelques mois plus tôt il envisageait de lui passer commande. Cette rupture est d’autant plus surprenante que, jusqu’ici, il avait exclusivement fait appel à celle-ci pour l’ensemble de ses projets requérant de la céramique architecturale : le restaurant café-concert Au Grand Neptune (1888), l’hôtel Roszé (1891), l’hôtel Jassedé (1893), la villa Charles Jassedé (1893), l’hôtel Delfau (1894), la galerie Carpeaux (1894-1895). Ce changement de fournisseurs s’est fait au profit de deux entreprises concurrentes. La première était Gilardoni & Brault, une tuilerie qui, comme Muller & Cie, s’était diversifiée dans le décor architectural. Les métopes n° 13, éditées par Muller et initialement prévues pour les linteaux des fenêtres…
ont ainsi été remplacées par de nouvelle métopes, elle aussi enserrées dans des lames de fer.
Quant aux métopes n° 35 prévues en allège de certaines fenêtres, elles ont elles aussi été remplacées par de nouveaux modèles.
La seconde entreprise à laquelle Guimard a fait appel est celle d’Alexandre Bigot, encore récente mais dont la réputation était en pleine ascension. Elle ne pratiquait que le grès émaillé et se positionnait résolument dans le style moderne.
Pourquoi la fin d’une telle collaboration avec Muller & Cie ?
Il n’y a pas d’explications évidentes à cette rupture. Les raisons ne peuvent pas être d’ordre technique puisque l’établissement Gilardoni & Brault offrait les mêmes types de produits que Muller & Cie, déclinés en simple terre cuite, faïence émaillée et grès émaillé. Il est également douteux que la rupture ait été consommée uniquement pour des raisons d’ordre stylistique. Si la brusque évolution du style de Guimard a pu surprendre chez Muller & Cie, on sait par ses catalogues que cette entreprise a accueilli favorablement les nouvelles tendances stylistiques et qu’elle a édité un nombre considérable de modèles modernes.
Au contraire, jusque-là, les produits de Gilardoni & Brault étaient restés plutôt prudemment éclectiques. Cette tuilerie, soudainement éprise de modernité, aurait-elle « débauché » Guimard ? En tous cas, l’importante commande pour son stand à l’exposition de la Céramique en 1897[18] est une confirmation de son intérêt pour le nouveau style de l’architecte ; n’hésitant pas à supporter les frais de fabrication de nombreux moules. Pendant plusieurs années l’entreprise a même accompagné les recherches de Guimard en matière de pièces de forme, et notamment de vases.
D’autres raisons, sans doute plus mesquines, peuvent être avancées pour expliquer l’apparition d’une mésentente entre l’architecte et Muller & Cie. Tout d’abord, Guimard a pu être agacé par les libertés prises par la tuilerie vis-à-vis de ses modèles. Celle-ci n’a en effet pas hésité à modifier certains exemplaires conçus par l’architecte, et à créer de nouveaux modèles dans un style approchant, sûrement sans le rémunérer pour autant[19].
Du point de vue de Muller & Cie, les précédents modèles de Guimard n’avaient sans doute pas remporté le succès escompté. Lorsque ce dernier au lieu de continuer à les amortir au Castel Béranger, a proposé d’en créer et d’en éditer de nouveaux, l’entreprise a pu reculer devant un investissement lui paraissant trop risqué ; choisissant alors de rompre sa collaboration avec Guimard qui perdurait pourtant depuis sept ans.
Maréva Briaud, École doctorale d’Histoire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (ED113), IHMC (CNRS, ENS, Paris 1).
Notes
[1] « Des curieux, des passants étonnés s’arrêtaient, examinaient longuement cette façade originale, si différente des maisons environnantes. » L. Morel, « L’Art nouveau », Les Veillées des chaumières, 17 mai 1899, p. 453.
[2] Cet aspect sera traité lors d’une communication à l’occasion de la journée d’étude Guimard organisée par la mairie de Paris le 3 décembre 2024 et dans l’article qui suivra.
[3] Le résultat du concours n’a été proclamé qu’en 1899 et Guimard l’a aussitôt fait graver sur la façade du Castel Béranger.
[4] Guimard, architectures parisiennes, exposition aux Archives de Paris, réalisée en partenariat avec Le Cercle Guimard, du 20 septembre au 21 décembre 2024. On consultera aussi le journal d’exposition disponible sur place : Le Cercle Guimard. Exposition aux archives de Paris, n° 4, 19 septembre 2024.
[5] F. Descouturelle, O. Pons, « Guimard et Muller & Cie », La Céramique et la lave émaillée d’Hector Guimard, Paris, Le Cercle Guimard, 2022.
[6] Les plans du permis de construire sont datés du 10 mars 1895 et les façades du 15 mars 1895.
[7] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit.
[8] Ibid., p.34.
[9] Hector Guimard était rattaché à l’atelier de Gustave Raulin pendant son cursus à l’École des Beaux-Arts.
[10] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit., p. 42.
[11] Les épis de faîtage actuels du garage de l’hôtel Jassedé ont une section ronde. Il s’agit de l’épi n° 4 du catalogue Muller & Cie de 1903, pl. 16 et qui est peut-être l’édition du modèle recomposé par Guimard dix ans plus tôt.
[12] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit., p. 31.
[13] Ibid, p. 21.
[14] Muller et Cie était capable de réaliser n’importe quel modèle sur demande.
[15] Les représentations de flore de Guimard sont figuratives mais n’atteignent pas la précision du dessin naturaliste d’Émile Gallé. Elles anticipent même de peu les stylisations d’Eugène Grasset.
[16] Voir l’article « Guimard et le style auriculaire » paru sur notre site internet.
[17] H. Guimard, L’Art dans l’habitation moderne/Le Castel Béranger, Paris, Librairie Rouam, 1898. Ces plans aquarellés sont globalement exacts mais présentent ponctuellement des écarts avec la réalité.
[18] Exposition nationale de la céramique et de tous les arts du feu en 1897 à Paris, au sein du Palais des Beaux-Arts.
[19] F. Descouturelle, O. Pons, op. cit., p. 48.
« L’ornementation de Guimard n’est rien d’autre que l’anamorphose cylindrique des symétries héréditaires. » Salvador Dali.
Il y a peu de chance que cette citation du célèbre peintre catalan nous aide à mieux comprendre le style de Guimard, mais elle montre à quel point son œuvre peut être sujette à diverses interprétations ou révéler de multiples influences. Comme le souligne Philippe Thiébaut, l’ornement chez Guimard combine de façon originale naturalisme et abstraction. Il est bien connu que cette alliance lui a été partiellement inspirée par le style développé par Horta à Bruxelles à partir de 1893, mais nous aimerions avancer une hypothèse supplémentaire à son origine, hypothèse qui nous a été suggérée par certains des éléments du décor du Castel Béranger (1895-1898).
L’immeuble présente sur ses façades un certain nombre de décors, sculptures, bas-reliefs, fontes, qui ont participé à l’effet de surprise suscité lors de la découverte du bâtiment par ses contemporains (et au-delà).
Considérons tout d’abord un panneau de couleur bleu turquoise, composé de sept éléments et qui forme le tympan d’une fenêtre du premier étage située dans la travée de droite de la façade du bâtiment sur cour donnant sur le hameau Béranger.
Les motifs mis en œuvre sur ce panneau pourraient en effet ouvrir de nouvelles perspectives quant à l’interprétation de l’art de Guimard. Comment en effet ne pas être troublé par le rapprochement entre la frise de « godrons » très chantournés, agrémentés de volutes aux contours ourlés, qui en soulignent le bord supérieur, et un motif que l’on trouve aux quatre coins du marli d’un plat en argent repoussé réalisé par Paul van Viannen (1570/72-1613) en 1613, le Plateau de Diane et Actéon conservé au Rijksmuseum à Amsterdam ?
Cette œuvre appartient à un style bien antérieur à l’Art nouveau, puisqu’il remonte à la première moitié du XVIIe siècle : le style auriculaire ou style lobé. Né à Prague, aux alentours de 1600, dans un groupe d’artistes proches de la cour de Rodolphe II (1576-1612), roi de Hongrie et de Bohème, empereur germanique, il s’est développé essentiellement dans les Pays-Bas du Nord, et l’Europe de l’Est, dans le sillage du maniérisme. Concernant essentiellement les arts décoratifs, il tire son nom de la ressemblance de ses formes abstraites et fluides, modelées en relief, avec le pavillon d’une oreille humaine. Il se distingue par des formes qui donnent l’impression d’être malléables, mouvantes, prêtes à la métamorphose. Elles évoquent la viscosité du métal en train de fondre et d’une matière souple et capricieuse qui se déploie par vagues et enroulements. C’est un style tridimensionnel privilégiant les bourrelets et ourlant ses méandres de nervures. Le développement de la dissection que l’on observe à l’époque, constitue une source d’inspiration pour les artistes adeptes de ce style et explique certains motifs organiques et fragments anatomiques que l’on trouve dans leurs œuvres : circonvolutions du cerveau, arabesques d’intestins, etc. De ce graphisme aux lignes tourmentées émergent souvent des créatures étranges, voire effrayantes, humaines, animales ou hybrides, dans lequel le monde mystérieux de la mer occupe une place de choix. Peu représenté en France, le style auriculaire s’est essentiellement développé dans le nord de l’Europe, notamment dans l’orfèvrerie néerlandaise. La ductilité du métal se prêtait admirablement à la réalisation de ces formes en déliquescence façonnées au repoussé. La pièce archétypale de ce style est une aiguière en argent doré d’Adam van Viannen (1568-1627), datée de 1614 et conservée au Rijksmuseum.
Le style auriculaire a également été beaucoup utilisé pour réaliser des cadres[1], en métal ou en bois. Le musée du Louvre en conserve un unique exemplaire entourant la toile de Nicolaes Roosendael, Ferdinand von Fürstenberg, évêque de Paderborn, recevant la thèse de théologie du jeune Hendrick Damien d’Amsterdam.
Une fois constatée cette parenté stylistique entre certains ornements de Guimard et le style auriculaire, la question est de savoir si celle-ci résulte d’une filiation assumée ou d’une simple coïncidence. Guimard s’étant très peu exprimé sur les influences qu’il a subies, hormis sa filiation revendiquée avec Eugène Viollet-le-Duc[2], iI est impossible de dire s’il connaissait ce style cultivé dans les arts décoratifs du Nord de l’Europe, deux siècles auparavant.
Le style auriculaire au Castel Béranger
Les ornements de type auriculaire, que l’on rencontre dans l’œuvre de Guimard sont majoritairement apparus pendant la période transitionnelle qui a vu son basculement dans le style Art nouveau lors de la construction du Castel Béranger de 1895 à 1898. Ce bâtiment, débuté dans un style néo-gothique, a vu son décor hétérogène naître de l’addition de plusieurs sources : celle du style art nouveau linéaire de Victor Horta, celle d’un style fantastique qui sera exploré dans un prochain article et qui était partiellement hérité à la fois du médiévalisme de Viollet-le-Duc et du symbolisme propre à la fin du XIXe siècle, celle — très minoritaire — de l’Extrême-Orient. Dans le même temps, le naturalisme végétal présent sur les villas qui ont précédé le Castel Béranger était en net recul et ne devait ressurgir d’une autre manière qu’à partir de 1898 quand la plupart de ses compositions adopteraient une structure arborescente. Le style auriculaire est donc venu côtoyer toutes ces influences et contribuer à la formation rapide et évolutive du style propre de Guimard où une virtuosité tridimensionnelle agressive était aussi importante que l’harmonie des lignes déployée sur les surfaces planes.
Revenons tout d’abord au panneau en céramique émaillée du Castel Béranger dont il a été question plus haut. Bien qu’aucune source historique ne l’établisse, on peut raisonnablement penser qu’il a été réalisé en terre cuite émaillée par la maison Gilardoni & Brault vers 1896. Par souci de clarté, nous le désignerons sous le nom de panneau « au poisson ». Son décor se déploie en effet en éventail autour d’une tête, que l’on peut rapprocher de celle d’un poisson, entourée de nageoires et d’une queue. Elle se détache sur un fond de circonvolutions graphiques aux lignes extrêmement chantournées, apparemment abstraites, dont elle semble émerger, mais dans lesquelles on peut distinguer si on les examine de près, des corps de crevettes dotés de longues antennes. L’agrandissement de ce détail met en évidence la sinuosité du trait et l’effet de cartilage provoqué par le relief de la céramique.
Une frise régulière de motifs ronds, estampés en creux, borde la partie inférieure de la plaque tandis qu’une frise de « godrons » enrichis de moulures aux enroulements complexes, suit la ligne cintrée de son bord supérieur (cf. plus haut).
Un autre panneau est à mettre en rapport avec celui-ci. De forme identique, vraisemblablement en terre cuite, il est situé sur la façade sur cour, en tympan de la fenêtre du quatrième étage de la travée de gauche.
Il présente un aspect plus abstrait hormis le fait que l’on puisse voir dans son motif central une tête de dauphin ou autre cétacé. Un fouillis de lignes sinueuses se déploie en éventail autour de cette dernière. Nous l’appellerons, panneau « au dauphin ». Il n’est que de comparer les deux panneaux de Guimard et l’aiguière de van Vianen pour se rendre compte de la parenté qui existe entre les trois objets : les excroissances sinueuses qui bordent le haut cintré du panneau « au dauphin » et semblent soulever la matière, dessinant comme des bouquets d’algues ou des figures de pieuvres, sont très proches des méandres dans lesquels se dessine un corps de femme formant l’anse de l’aiguière et la prise de son couvercle. Les vrilles qui rayonnent autour de la tête de dauphin évoquent celles qui, sur la panse de l’aiguière, semblent se déverser du mufle d’une sorte de fauve menaçant. Cette panse, en forme de coquille, est soutenue par une autre créature inquiétante, généralement identifiée à un singe. La tête de dauphin du panneau de Guimard évoque un motif fréquent dans l’art auriculaire du XVIIe siècle, une tête fantomatique mi-humaine, mi-animale.
Un semblable exemple figure au sommet d’un modèle de cartouche de Johannes Lutma (1584-1669. Là encore, la parenté entre les deux motifs est troublante.
Un troisième panneau en céramique émaillée placé en extérieur du Castel Béranger retient encore notre attention. D’une seule pièce, il est situé sur la même travée que le panneau « au dauphin », mais cette fois placé entre les corbeaux soutenant le balcon du second étage.
Il ne présente pas comme les deux autres des analogies facilement identifiables avec le monde animal, mais la plupart des observateurs assimilent tout de même le modelage au milieu de la partie basse à une tête avec deux yeux. Si, sur le plan du graphisme, ces trois panneaux reprennent les formes tourmentées, foisonnantes et agitées du style auriculaire, sur le plan thématique ils en reprennent aussi les obsessions : créatures bizarres et inquiétantes souvent tirées des profondeurs du monde marin. Celui-ci constitue d’ailleurs une référence fréquente au Castel Béranger : on la retrouve dans les hippocampes qui constituent les ancres de chaînage et l’atmosphère de grotte dans laquelle baigne le vestibule du bâtiment sur rue. Son décor mural de grès émaillé reprend d’ailleurs partiellement le graphisme et les reliefs caractéristiques du style auriculaire mais avec une caractéristique nouvelle : l’utilisation de l’empreinte des doigts enfoncés dans la matière au cours du modelage[3].
Au sein des appartements du Castel Béranger, on retrouve également la présence du style auriculaire. C’est le cas sur certaines cheminées des salles à manger, éditées en fonte par Durenne.
Et également sur certaines cheminées des salons qui ont un rétrécis en fonte bronzée, édité par Durenne.
Même sur un objet aussi simple que le couvercle des porte-rasoirs des lavabos, on retrouve encore l’influence de ce style.
Après le Castel Béranger
Au cours des années suivantes, le style moderne de Guimard allait continuer à évoluer, perdant l’agressivité de ses débuts pour gagner en élégance et même en raffinement pouvant aller jusqu’à un certain maniérisme. De ce fait, les touches de style auriculaire se sont raréfiées, à mesure que les ornements s’atténuaient en se fondant dans des surfaces toujours plus lisses. Elles n’ont toutefois pas entièrement disparu et on peut les identifier dans plusieurs de ses créations comme sur le col du vase de Cerny édité à Sèvres en 1900.
C’est dans l’orfèvrerie que l’art auriculaire avait trouvé son matériau d’élection au XVIIe siècle ; il n’est donc pas étonnant que les bronzes de Guimard, ainsi que ses fontes d’ornement réalisées avec la fonderie de Saint-Dizier à partir de 1901, présentent un certain nombre de modèles agrémentés de circonvolutions complexes comme cette coupe.
Le souvenir du style auriculaire se rencontre également dans d’autres matériaux qui ne se modèlent ni ne se coulent, notamment le bois. Sur certains meubles, des volutes bourgeonnantes viennent se lover dans leurs courbes ou en souligner les angles, marquant leurs points de départ, d’inflexion et d’aboutissement.
Depuis plusieurs années, la compréhension des démarches créatives de Guimard progresse grâce à la connaissance plus fine que nous avons des techniques et des matériaux qu’il a employés. Mais cette fois, c’est par un rapprochement inédit avec un style décoratif qui s’est développé au XVIIe siècle que nous apportons peut-être un éclairage complémentaire permettant de mieux appréhender le basculement de Guimard dans la modernité de son temps. À ses débuts, son style rapidement évolutif a en effet laissé brièvement se côtoyer plusieurs influences encore reconnaissables avant de les synthétiser dans une recherche d’élégance toute personnelle.
Michèle Mariez
Doctorante à l’École du Louvre
Notes
[1] Voir le website du Auricular Style : Frames Projet : https://auricularstyleframes.wordpress.com/about
[2] Voir p. 1470, Moniteur des Arts n° 2399 du 7 juillet 1899.
[3] Voir l’article consacré au décor de linteaux dans l’architecture de Guimard sur notre notre site internet.
Bibliographie
THIÉBAUT, Philippe sous la direction de, Guimard, catalogue de l’exposition, Paris, musée d’Orsay, 13 avril – 26 juillet 1992 ; Lyon, musée des Arts décoratifs et des tissus, 25 septembre 1992 – 3 janvier 1993, Paris, 1992.
DESCOUTURELLE, Frédéric ; PONS, Olivier, La Céramique et la Lave émaillée de Guimard, Éditions du Cercle Guimard, 2022.
GRUBER Alain dir, PONS Bruno, ter MOLEN Johann R, RHEINHARDT Ursula, FOHR Robert, L’Art décoratif en Europe, Citadelles & Mazenod , 1992, p. 25 à 91, « Auriculaire » Johann R. ter Molen.
GAILLEMIN Jean- Louis, « L’Ornement sans nom », Connaissance des Arts, n° 537, mars 1997, p. 96 à 105.
Dans le cadre de l’Année Guimard institué par la Ville de Paris, le Cercle Guimard présentera une conférence sur la céramique de Guimard dans la salle des fêtes de la mairie du XVIe arrondissement le 5 novembre de 18 h 30 à 20 h.
Frédéric Descouturelle et Olivier Pons, co-auteurs du livre consacré à ce sujet, donnerons une vue élargie du sujet tout en faisant part des dernières découvertes qui sont intervenues cette année. Comme à chaque fois que nous le pouvons, nous apporterons des pièces à toucher (avec les yeux).
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Avant de vous rendre à la conférence (ou les jours suivants) vous pourrez aussi voir de multiples photographies de l’œuvre de Guimard dans le XVIe arrondissment accrochées sur les grilles de la mairie.
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