Au-delà et en deçà des Pyrénées, deux histoires proches concernant Gaudí et Guimard ont été rapportées séparément. Elles confirment que malgré les aspects extérieurs bien différents de leurs œuvres architecturales, les processus de créations de ces deux architectes phares du style Art nouveau avaient beaucoup en commun.
La première histoire que nous voulons évoquer concerne Antoni Gaudí (1852-1926) et la basilique de la Sagrada Familia (1882-2026 ?). Ce témoignage a été connu relativement tardivement lorsque les entretiens que l’architecte et historien de l’art Juan Bergos avait eus avec Gaudí (qu’il avait connu à partir de 1914) ont été publiés à sa mort, en 1974, par Joan Bassegoda, professeur d’architecture barcelonais, spécialiste de Gaudí[1]. Il a été repris en 1981 par l’architecte Puig Boada[2] qui lui aussi avait connu Gaudí à partir de 1914, collaboré à son œuvre et poursuivi la construction de la Sagrada Familia, puis par l’architecte Jordi Bonet[3] en 2000. Juan Bergos avait ainsi rapporté plusieurs aphorismes de Gaudí que Bonet reprend ainsi :
« La capacité d’observation de Gaudi est bien connue. Il a lui-même expliqué que c’était une conséquence de la faiblesse de sa santé depuis l’enfance. La contemplation de la Nature, en plus de lui donner un pur plaisir, l’a également aidé à formuler des idées telles que « L’architecture crée un organisme et c’est pourquoi elle doit avoir des lois en harmonie avec celles de la Nature ». Ces idées ont muri avec le temps : « Tout vient du grand livre de la Nature » ; « Cet arbre, à côté de mon atelier est mon maître ».
Un peu plus loin, dans son ouvrage L’últim Gaudí, Bonet reproduit judicieusement la photo d’un arbre de Barcelone à côté de celle des colonnes médianes des collatéraux et du transept de la Sagrada Familia.
Ces colonnes soutiennent les voûtes à la manière d’une forêt où la lumière parvient indirectement. Alors que cette voûte n’existait pas encore, Gaudí l’évoquait pour les visiteurs du temple en construction :
« au coucher de soleil, tous les orifices laisseraient passer des rayons qui illumineraient l’intérieur sans que l’on puisse savoir d’où viendrait la lumière. Comme dans une forêt ! Comme dans une forêt, répétait-il, avec l’exaltation sereine et joyeuse du visionnaire. »[4]
La seconde histoire concerne Hector Guimard et la Salle Humbert de Romans, construite de 1898 à 1901. Nous en avons évoqué les circonstances dans un article récent[5]. L’épisode en question a été rapporté — cette fois du vivant de Guimard — sous une forme quelque peu elliptique par le Bulletin de l’Union Syndicale des Architectes et des Artistes Industriels[6] du 16 janvier 1904. Un mois plus tôt, le 12 décembre 1903, Guimard avait assisté au Trocadéro à une conférence sur « L’Architecture du XXe siècle et l’Art Nouveau » donnée par l’architecte en chef diocésain Paul Gout. Il y avait été question du pavillon de Guimard à l’exposition de l’Habitation en 1903[7] et de la Salle Humbert de Romans.
À l’issue de la conférence, Guimard avait pris part à une discussion informelle au cours de laquelle Gout l’avait probablement questionné à propos de la structure portante de la voûte de la Salle Humbert de Romans, lui reprochant sans doute une complexité peu fonctionnelle et l’utilisation d’une méthode de rigidification des poutres par une âme de métal[8]. Guimard avait alors lancé une invitation à visiter sa salle de concert de la rue Saint-Didier, toute proche, afin de juger sur pièce. Cette visite a été effectuée peu de temps après sous la direction d’Anatole de Baudot qui, gardien d’une certaine orthodoxie, n’a sans doute ménagé ni ses éloges vis-à-vis du décor, ni ses critiques vis-à-vis de la structure en bois et fer de la voûte. L’auteur de l’article (non signé[9]) du bulletin de l’USAF a rendu compte de cette visite d’une manière spirituelle en laissant entendre que Guimard leur avait vanté avec un peu trop d’éloquence les qualités de son œuvre :
« Quelle amplitude de dégagement et de vestiaires, et comme ces services accessoires sont bien étudiés ! Vraiment c’est d’un maître. Et quel fini d’études, quel soin dans les motifs accessoires ! Comme ce buffet d’orgue est joli, comme ces fauteuils sont confortables ! »
Au contraire, la parole d’Anatole de Baudot au cours de cette visite est relatée comme celle du sage remettant les pendules à l’heure en se référant aux grandes époques de l’architecture française en matière de voûtes en bois.
Un peu plus loin, dans le même Bulletin de l’Union Syndicale des Architectes et des Artistes Industriels, un autre article, tout aussi caustique et cette fois signé Élie Leduc[10], s’adresse au Secrétaire de la Rédaction et revient sur le précédent sujet. Estimant que Paul Gout n’a pas obtenu de réponse satisfaisante à ses interrogations, l’auteur s’est résolu à tenter d’en savoir plus auprès de Guimard. Son texte court et savoureux mérite d’être cité en entier.
« Mon cher confère,
Désespéré de ne pouvoir saisir dans le discours de Guimard, à la Salle Saint-Didier, une réponse claire et précise à sa question, notre ami Gout s’en fut triste et inconsolé.
Désespéré de tant de douleur, je fus incontinent chez Guimard ; là, je me trouvais en présence de la concierge, aimable cerbère dont la vue gracieuse m’hypnotisa, et, dans cet état de demi sommeil, telle la pythonisse de Delphes, j’invoquai Apollon ; ce fut Mademoiselle Couesnon qui répondit[11], le Dieu étant occupé au téléphone.
Cette très bienveillante personne, mise au courant de la question posée par maître Gout à son ami Guimard, fit des recherches dans les dossiers d’idées communiqués aux mortels et, faisant parler l’âme ésotérique de Guimard, voici la copie de la communication :
Un platane tri tronchu,
Par la Ville bien entretenu,
Près le Pont de Grenelle,
Vl’a ma ficelle.
Je le pris sans le déplanter d’là (copié)
Et c’est dans ma salle qu’il poussa. »
Outre qu’il nous apprend que le Castel Béranger avait une concierge d’allure hypnotisante et que la secrétaire de Guimard était alors une Mlle Couesnon, en filant un champ lexical où Guimard est comparé à un dieu de l’Olympe correspondant avec le vulgaire par le truchement de son envoyée sur terre, l’article se moque de sa fréquente attitude d’apôtre[12] qui pouvait facilement amuser ou indisposer ses confrères. Mais ce texte contient aussi dans son épigramme finale une courte révélation qui, n’en doutons pas, est authentique, à savoir qu’il s’est lui aussi inspiré d’un arbre bien réel rencontré près du Pont de Grenelle pour la Salle Humbert de Romans. En effet, si l’on considère les piliers qui soutiennent sa voûte, on retrouve bien les trois troncs d’un « platane tri tronchu ».
Le groupe des disciples d’Anatole de Baudot au Trocadéro avait sans doute raison quant au fait que Guimard avait déployé pour cette voûte légère[13] une charpente superfétatoire où les rationalistes ne reconnaissaient pas la clarté dans la structure qu’ils prônaient. Tout en se voulant proche de ce courant, Guimard s’en tenait malgré tout à une certaine distance dans la mesure où dans ses créations « le sentiment » devait impérativement être combiné à la « logique » et à « l’harmonie ». En se référant explicitement à une forêt, Guimard retrouvait l’esprit plus que la forme de l’architecture du gothique flamboyant des XVe et XVIe siècles dans lequel la continuité des lignes entre les piliers et les nervures des voûtes se référait au même concept mais d’une façon ordonnée et moins naturaliste.
Cette référence à la Nature comme l’une des principales sources d’inspiration des artistes du mouvement Art nouveau est bien connue. En Lorraine, où l’École de Nancy s’en prévalait tout spécialement, Émile Gallé avait pris comme devise : « Ma racine est au fond des bois » et Louis Majorelle n’était pas en reste avec « Mon jardin est ma bibliothèque ». Quant à Guimard, il déclarait, dans sa conférence prononcée en 1899 dans les locaux du Figaro :
« Je veux pour cela vous parler d’une œuvre pour laquelle ma passion est grande et mon admiration sans limite : c’est l’œuvre de la nature. […] Tout est logique dans la nature […] Les végétaux, leurs, feuilles, leurs fleurs, leurs racines, etc., etc., ont des formes logiques avec leur matière ; tous les éléments qui constituent la nature sont toujours logiques ; les œuvres de la nature affectent toutes les formes possibles et ces formes sont les formes logiques de l’œuvre créée.[14] »
Il renchérit et précise son idée dans ses propos que Victor Champier rapporte dans son article sur le Castel Béranger, paru dans la Revue des Arts Décoratifs en janvier 1899 :
« Voyez-vous, c’est à la nature toujours qu’il faut demander conseil. Quand je construis une maison, quand je dessine un meuble ou que je le sculpte, je songe au spectacle que nous donne l’univers. La beauté nous y apparait dans une perpétuelle variété. Point de parallélisme ni de symétrie : les formes s’engendrent avec des mouvements jamais semblables. Évoquez la forêt avec ses milliers d’arbres aux essences diverses, avec ses verdures aux tons multiples, avec ses tapis de fleurs : vous avez une impression d’unité obtenue par une infinie variété. Et quel décor est plus beau, plus enivrant ? Considérez ensuite un seul de ces végétaux dont l’assemblage produit une forêt : voyez comme chaque arbre, chaque arbuste est différent de ses voisins. Pas une branche ressemblant à une autre branche. Pas une fleur pareille. Et quelle leçon pour l’architecte, pour l’artiste qui sait regarder dans cet admirable répertoire de formes et de couleurs ! Pour la construction, ne sont-ce pas les branches des arbres, les tiges tour à tour rigides et onduleuses, qui nous fournissent nos modèles ?[15] »
C’est précisément à partir de 1898 que le style de Guimard est devenu arborescent, notamment pour son mobilier ou pour les accès du métro de Paris, avant de se contracter quelques années plus tard et de tendre vers une élégance moins démonstrative.
Si le platane proche du pont de Grenelle mentionné par Guimard n’existe sans doute plus, l’arbre photographié à Barcelone par Jordi Bonet en 2000 n’avait alors guère plus de 50 ans et n’avait donc pu être vu par Gaudí. Mais il n’est pas discutable que ce sont bien le tronc et les branches maîtresses d’un arbre qui ont donné la forme générale des piliers de la Sagrada Familia. Comme l’ont parfaitement montré les publications catalanes du début des années 2000, et en particulier l’ouvrage L’últim Gaudí de Jordi Bonet, pour concevoir ses volumes structurels, Gaudí a ensuite retraité ces formes naturelles observées selon plusieurs formules de géométrie réglée. C’est sans doute dans le contexte de ces allers et retours entre formes naturelles et surfaces mathématiques qu’il faut comprendre ces phrases adressées verbalement par Gaudí au peintre Carlès et rapportées par l’écrivain José Pla pour justifier les formes ondulantes de la Casa Milà : « La nature n’est pas mathématique ! Mais une forme régulière, un style satisfait l’esprit. Tout ce qui n’est pas chaotique satisfait l’homme. » Et d’ajouter aussitôt : « Mais c’est qu’il ne faut pas essayer de le satisfaire !…[16] »
D’ailleurs, sur cette pureté des surfaces mathématiques, il s’est appliqué à réintroduire du désordre, notamment en leur adjoignant des décors d’un naturalisme descriptif et illustratif ainsi que des inscriptions et des symboles religieux qui ont navré plus d’un historien d’art.
Les surfaces réglées n’étaient pas non plus étrangères à Guimard qui avait assuré un cours de géométrie à l’École nationale des arts décoratifs. Il s’en est servi, mais de façon assez parcimonieuse dans son œuvre, notamment pour les toitures vitrées des édicules et des pavillons du métro[17]. Contrairement à Gaudí, il n’a pas surchargé ses créations de décors réalistes ou religieux et a utilisé les motifs végétaux adventices avec beaucoup de retenue. Pourtant le fait que la Nature présidait à la plupart de ses projets paraît tout aussi évident que pour les meilleures créations nancéiennes. Le hall central de l’hôtel Mezzara (1910-1911) avec ses piliers métalliques et sa verrière zénithale peut ainsi être facilement identifié à une clairière.
Une autre similitude entre les œuvres de ces deux architectes est l’emploi occasionnel de « matériaux pauvres »[18] comme le grillage. Mais à cette différence près que chez Guimard on peut y voir comme l’affichage d’un pragmatisme quelque peu désinvolte, alors que chez Gaudí nous soupçonnons une certaine ostentation de l’humilité.
Il est hautement improbable que Guimard et Gaudí se soient jamais rencontrés. Nous ignorons même ce que l’un a pu penser de l’œuvre de l’autre. Les seules occasions où Guimard a pu prendre connaissance des travaux de son confrère catalan c’est à l’occasion de l’exposition de dessins et de maquettes de la Sagrada Familia au salon de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1910, présentation combinée à la publication d’un article dans la revue L’Art et les artistes[19]. Gaudí n’a pas fait le déplacement à Paris et cette présentation, financée par son mécène Eusebi Güell, est d’ailleurs passée quasiment inaperçue dans un contexte où la perception de l’art moderne espagnol était teinté d’une certaine condescendance et où le génie de l’architecte catalan n’était ni compris ni admis en France. Malgré les similitudes que nous avons mentionnées, leur art était alors engagé dans des directions différentes et la volonté de production sérielle de Guimard n’était pas une préoccupation chez Gaudí.
Frédéric Descouturelle
Merci à Nicolas Horiot, spécialiste de la Salle Humbert de Romans, qui nous a apporté des précisions très utiles.
Notes
[1] BASSEGODA I NONELL, Joan, Las Conversaciones de Gaudí con Juan Bergos, Hogar y arquitectura, revista bimestral de la obra sindical del Hogar, 1974.
[2] PUIG BAODA, Isidre, El Pensament de Gaudí, Col.legi d’Arquitectes de Catalunya i Baleares, Barcelone, 1981.
[3] BONET I ARMENGOL, Jordi, L’últim Gaudí, Portic, 2000. Jordi Bonet, dont le père avait dirigé les travaux de la Sagrada Familia, a lui aussi contribué à la poursuite de sa construction en introduisant la conception assistée par ordinateur.
[4] MARAGALL, Joan, Fora del temps, 1907. Cité par César Garcia Alvarez, Gaudí, catalogue de l’exposition, Musée d’Orsay, Hazan, 2022.
[5] DESCOUTURELLE, Frédéric, Encore des chats !
[6] L’Union syndicale des Architectes Français, fondée en 1890 regroupait initialement les architectes non diplômés par l’École nationale des Beaux-Arts. Elle est vite devenue le rassemblement de la mouvance rationaliste et prônait le rapprochement avec le monde des entreprises et l’emploi des nouveaux matériaux.
[7] Construit en 1903 au Grand Palais pour l’Exposition de l’Habitation.
[8] Cette méthode de poutres armées consiste à recouper les poutres dans le sens longitudinal, inverser le sens d’une des deux moitiés et les joindre par boulonnage en insérant un feuillard métallique au centre. Elle rigidifie ainsi la poutre en évitant le gauchissement du bois. Utilisée pour le château de Chambord, lors de sa construction au XVIe siècle ou lors de réaménagements au XVIIe siècle, cette méthode est décrite par Viollet le Duc dans L’Histoire d’une maison (chapitre XXI, p. 188-189). Il s’en est lui-même servi lors de la reconstruction du château de Pierrefonds. Elle n’aurait donc pas dû heurter ses disciples.
[9] Ou plutôt signé d’un curieux pseudonyme : « En quels termes galants ces choses-là sont dites », inspiré du Misanthrope de Molière.
[10] Nous ne connaissons d’Élie Leduc que le fait qu’il ait signé en 1902 un ouvrage consacré aux chaux et aux ciments.
[11] Il y a peut-être ici un clin d’œil au poème « La Légende de la nonne » de Victor Hugo.
[12] CHAMPIER, Victor, « Le Castel Béranger, Hector Guimard architecte », Revue des Arts Décoratifs, janvier 1899.
[13] Néanmoins, en 1898, dans ses premiers plans pour la Salle Humbert de Romans, Guimard avait prévu d’utiliser les briques de verre Falconnier au niveau du lanterneau central, comme l’avait fait Louis Bonnier en 1895 pour la verrière zénithale du magasin de Bing, rue Chauchat. Le choix de ce matériau aurait eu pour effet d’alourdir un peu la voûte mais était surtout aventureux au sommet d’une structure en bois sans doute insuffisamment rigide. Dans ses plans ultérieurs, il y a renoncé.
[14] GUIMARD, Hector, « La Renaissance de l’art dans l’architecture moderne », Le Moniteur des Arts, 7 juillet 1899.
[15] CHAMPIER, Victor, ibid.
[16] DESCHARNES, Robert ; PRÉVOST, Clovis, Gaudí vision artistique et religieuse, p 165, Edita, Genève, 1969. On lira aussi avec intérêt l’article d’Isabelle Morin Loutrel « Le rationalisme de Gaudí au regard des architectes français » qui compare les architectures de Guimard et de Gaudí, dans Gaudí, catalogue de l’exposition éponyme au musée d’Orsay, p. 95-103, Musée d’Orsay – Hazan, 2022.
[17] DESCOUTURELLE, Frédéric ; MIGNARD, André ; RODRIGUEZ, Michel, Guimard l’Art nouveau du métro, p. 92-93, La Vie du Rail, 2012.
[18] Nous avons signalé cette convergence dans notre article «La Casa Vicens de Gaudí à Barcelone ».
[19] LEBLOND, Marius-Ary, « Gaudí et l’architecture méditerranéenne », L’Art et les Artistes, 1910, vol. 11, pp. 69-76.
Qui n’a pas rêvé de se téléporter avec élégance au moyen d’une vitrine d’Hector Guimard ? Ce qui peut sembler une gageure, a pourtant été une réalité pendant des décennies avec cette restriction que les déplacements effectués n’ont été réalisés que de haut en bas et de bas en haut.
Deux modèles de telles vitrines sont connus. L’une d’entre est apparue une première fois en 1989 sur le marché de l’art[1], puis en 1993 à la dispersion de la collection Brugnot[2]. Elle est en chêne teinté, vitrée sur trois côtés et sur les deux tiers supérieurs de sa hauteur. Elle n’a pas de corps bas mais des portes ouvrant sur toute la hauteur et repose sur un socle ouvragé. Les montant des angles antérieurs sont sculptés dans leur partie supérieure de motifs abstraits arrondis et de stylisations de fruits ou de graines. Les parties vitrées des portes sont recoupées par des lignes arquées issues de la travée médiane qui viennent toucher le montant latéral avant de rejoindre le montant central formant au total un motif ovoïde. Sur les deux côtés on ne trouve qu’une simple ligne arquée en partie supérieure, symétrique à celle de la façade. Le fronton est en « chapeau de gendarme » très aplati.
Une seconde vitrine a également fait une apparition en vente publique en 2010 chez Tajan[3] à Paris où nous avions pu la photographier. Elle est également en chêne, mais a subi un décapage drastique. Proche de la précédente par ses dimensions et son décor, elle possède les mêmes montants des angles antérieurs. Mais sa façade est plus complexe en raison de la présence de deux vitres verticales latérales, très étroites, encadrant les portes qui sont réduites d’autant en largeur. Le couronnement en « chapeau de gendarme » est réduit en largeur pour ne couvrir que les deux portes. À ses deux extrémités, le bois semble pincé et replié vers l’intérieur pour se terminer en vaguelette. Les lignes arquées décorant les portes sont identiques à celles de l’autre vitrine, mais recoupées au centre pour s’adapter à la largeur moindre des portes. Elles sont répétées symétriquement sur les côtés. Le socle est sculpté de motifs en forme de replis au niveau des coins qui sont joints au centre par une large lèvre.
Ces vitrines nous ont longtemps intrigués jusqu’à ce que découvrions que leur fonction réelle était d’exposer de façon brève des humains (mais aussi des animaux domestiques) tout en les déplaçant, comme nous l’indiquions plus haut, sur un axe vertical. Cet axe était fixe et se trouvait au sein des « immeubles modernes » des rues Gros, Agar et La Fontaine, construits par Guimard de 1909 à 1911[4]. À vrai dire, seuls quatre des six immeubles bénéficiaient de ces vitrines ascensionnelles : le 43 rue Gros ainsi que les 17, 19 et 21 rue La Fontaine. Dans les immeubles plus modestes des 7 et 9 de la rue Agar (plus tard renumérotés 10 et 8) l’ascension se faisait de façon hélicoïdale et pédestre[5].
La vitrine ascensionnelle aux petites vitres latérales était vraisemblablement au 17 rue La Fontaine. Elle apparaît dans un bref plan du court-métrage Hectorologie[6] où elle est empruntée par deux figurantes dont les services avaient été loués pour la circonstance. Nous en avons extrait deux photogrammes en montrant les parties supérieure et inférieure.
Pour son adaptation à sa nouvelle version de vitrine fixe, elle a dû être largement remaniée. Le soubassement a été modifié pour y introduire des lignes plus souples. Les portes battantes, originellement ouvertes à leur partie supérieure ont été refaites avec les parois latérales en y introduisant des traverses intermédiaires et des petits bois dont la ligne courbe est trop régulière. La profondeur a été réduite et le fond vitré supprimé.
La première vitrine ascensionnelle que nous avons mentionnée (celle sans vitres latérales étroites) a subi un sort comparable. Elle se situait originellement au 43 rue Gros ou au 21 rue La Fontaine.
Par une photographie ancienne, nous connaissons encore une troisième vitrine ascensionnelle un peu différente et sans plafond qui se trouvait dans l’immeuble Trémois, 11 rue François Millet. Elle a malheureusement disparu sans avoir eu le bonheur d’être transformée en vitrine fixe avant d’être livrée au marché de l’art.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Vente Arcole, 28 juin 1989, Drouot Richelieu, lot n° 241.
[2] Vente Million et Robert, collection Jean-Claude Brugnot, hôtel Georges V, 18 juin 1993, lot n° 25.
[3] Vente Tajan, 23 septembre 2010, lot n° 133.
[4] Par commodité nous désignons fréquemment ce groupe d’immeubles sous le nom des « immeubles modernes » puisque Guimard les avait conçus autour d’une rue nouvelle qu’il avait dénommée sur ses plans « rue Moderne » mais dont le nom définitif et officiel a été rue Agar. Pour plus de précisons sur ces immeubles et en attendant une étude plus complète, on se reportera au chapitre qui leur est consacré dans le livre de Georges Vigne et Felipe Ferré Guimard (éditions Charles Moreau, 2003) ainsi qu’à l’article d’Hervé Paul « Suzane Richard, collaboratrice d’Hector Guimard de 1911 à 1919 » publié sur notre site internet.
[5] Depuis, les propriétaires du 10 rue Agar (anciennement 7 rue Agar), soucieux du standing de leur bien immobilier et de l’économie de leurs efforts ascensionnels, ont fait démonter la rampe de Guimard pour y loger une vitrine de fonction semblable à celles qui nous occupent mais qui est bien moins esthétique.
[6] Réalisé en 1965 par Alain Blondel et Yves Plantin, ce film a reçu le prix du court-métrage au festival Max Ophüls et le Lion d’or au VIIe Festival du film d’art de Venise en 1966.
En 2019, au seuil d’une série d’articles dédiés à la céramique, nous avons consacré une petite étude au panneau en haut-relief du chat faisant le gros dos du Castel Béranger. Nous apportons aujourd’hui une nouvelle piste pouvant éclairer la présence de ce félin sur le premier immeuble de rapport de style Art nouveau construit en France.
1-Le Castel Béranger de Guimard
Ce panneau en grès émaillé a été modelé par le jeune sculpteur Xavier Raphanel (probablement selon les directives ou un croquis de Guimard), produit par Gilardoni & Brault[1] et inséré en 1897 à un emplacement stratégique du Castel Béranger : sous la fenêtre de l’oriel à l’angle du bâtiment entre la rue La Fontaine et le hameau Béranger.
Par rapport à notre article paru en 2019, nous devons ajouter que, grâce à Dominique Magdelaine, nous avons depuis appris l’existence de deux autres tirages[2] de ce panneau sur la villa Thouvenel, une belle maison malheureusement non datée qui surplombe la gare RER de Fontenay-aux-Roses.
Ces deux exemplaires (dont l’un est inversé) ont reçu un émaillage aux nuances brun-vert beaucoup plus soutenues que sur celui du Castel Béranger. On remarque que les parties latérales de leur cartouche sont plus développées que celles du Castel, mais qu’en revanche, à la partie supérieure, les indentations présentes sur l’exemplaire du Castel n’existent pas. Autre différence, la queue du chat, harmonieusement arrondie sur les panneaux de la villa, se trouve coudée à angle droit à deux reprises sur le panneau du Castel. Dans la mesure où les panneaux de la villa sont placés sans contraintes sur la façade, nous pouvons supposer qu’il s’agit du tirage commercial tel qu’il était proposé par Gilardoni & Brault.
En revanche, le panneau du Castel a dû s’insérer dans un emplacement ménagé dans la maçonnerie. Les plus anciens plans d’élévation du Castel, datés du 16 mars 1895, montrent un oriel d’angle sur deux niveaux (les second et troisième étage) et ne comprenant pas de panneau décoratif. Après les transformations entreprises par Guimard à partir de 1895, le premier niveau de l’oriel a été vitré, en continuité avec la grande baie en encorbellement du salon donnant sur le hameau. Puis le panneau au chat a été placé dans l’allège de l’oriel, entre la corniche du premier étage et l’appui de la fenêtre, encadré par deux montants en pierre. S’il avait désiré l’y placer initialement, Guimard aurait adapté la largeur de ces montants en pierre. Or c’est le contraire qui s’est produit : alors que l’allège de l’oriel était probablement destinée à être remplie par un panneau de brique, comme celle de la baie en encorbellement du salon, c’est le panneau au chat qui a dû être adapté. Il est également possible qu’au lieu d’un simple panneau en brique, Guimard ait initialement songé à placer à cet endroit bien particulier un décor ou une enseigne aux dimensions bien définies, avant d’opter pour l’adaptation de son panneau au chat qui s’est retrouvé un peu plus développé en partie supérieure, mais surtout réduit sur ses parties latérales, obligeant le modeleur à couder la queue de l’animal.
Cette modification a été effectuée chez Gilardoni & Brault à un moment où cette entreprise a confié à Guimard la réalisation de son stand à l’Exposition de la Céramique et de tous les Arts du Feu en 1897[3]. Il a saisi cette occasion pour y édifier un large porche d’immeuble en grès émaillé qui lui permettait tout à la fois de présenter au public les produits de la tuilerie et son nouveau style. Le panneau au chat destiné au Castel Béranger y a été intégré, avant de prendre sa place définitive sur la façade de la rue La Fontaine une fois l’exposition close.
En 2019, nous donnions comme origine à ce chat tout d’abord la tradition médiévale interprétée par Viollet-le-Duc, en particulier au château de Pierrefonds.
Ensuite, nous évoquions l’existence du cabaret du Chat noir[4], tout en signalant que ce lieu dédié à la fête et à l’esprit fin de siècle des zutistes, fumistes et autres hydropathes, était alors bien passé de mode et avait même dû fermer en 1896.
Si une réminiscence des représentations du Chat noir était possible sur le panneau du Castel Béranger, il est quand même peu probable que Guimard ait voulu sciemment faire la publicité du cabaret déclinant. Il faut plutôt voir dans ces deux chats, deux clins d’œil historiques, parallèles mais décalés d’une décennie dans le temps.
2- La maison d’Anatole de Baudot
Cette très intéressante maison, également sise dans le XVIe arrondissement et plus précisément dans le quartier Dauphine, à l’angle entre la rue de Pomereu (une voie privée ouverte en 1889) et la rue de Longchamp, comporte un élément du décor sculpté qui pourrait être le chaînon manquant entre les chats de Viollet-le-Duc à Pierrefonds et le panneau du chat faisant le gros dos du Castel Béranger de Guimard. Construite en 1892 par l’architecte Anatole de Baudot (1834-1915) pour son usage personnel, à peu de distance du Trocadéro où il enseignait, elle nous est tout d’abord connue par la notice biographique rédigée par Marie-Laure Crosnier-Leconte[5] qui s’appuie sur les dessins présentés dans la section d’architecture au salon de la Société Nationale des Beaux-Arts (SNBA)[6] au palais du Champ de Mars[7]:
« […] au Salon de la Société nationale des Beaux-arts à Paris en 1893, petite Habitation Parisienne, emploi de procédés nouveaux de construction et de décoration, en coll. avec Delaherche, Delon[8] et Guérard[9], […] »
Cette section d’architecture venait d’être créée conjointement par Anatole de Baudot et Frantz Jourdain. Le Génie Civil du 15 juillet 1893[10] en a fait le compte-rendu :
« Dès l’entrée, nous avons d’abord remarqué les dessins relatifs à l’habitation parisienne, que M. de Baudot a construite pour son propre usage. Certains détails témoignent d’une complète entente des besoins et de la manière d’y donner satisfaction. » [11]
Anatole de Baudot a tout d’abord été formé à l’École Centrale des Arts et Manufactures en 1853[12], puis a été brièvement élève d’Henri Labrouste à l’École nationale des Beaux-Arts en 1855, avant d’entrer dans l’agence d’Eugène Viollet-le-Duc[13] dont il est devenu l’élève préféré. Après son décès, il a assuré la transmission de ses idées, par ses écrits et en contribuant à l’ouverture de l’École spéciale d’architecture en 1865 aux côtés de nombreuses personnalités avancées dans le domaine de l’architecture et des techniques, comme les centraliens Émile Muller ou Eugène Flachat. Architecte diocésain, puis inspecteur général des édifices diocésains, il a été nommé en 1887 professeur d’architecture française du Moyen Âge et de la Renaissance au musée de sculpture comparée au Trocadéro (actuelle École de Chaillot) où il a animé jusqu’à sa mort un cours d’architecture très suivi. Malgré son intitulé, la modernité était bel et bien présente dans ce cours avec lequel Baudot ambitionnait d’étudier « l’Art national français »[14] du XIe siècle à l’époque contemporaine.
Pourvue de deux étages, sa maison se distingue par son importante toiture en ardoise, cintrée pour augmenter le volume du second étage qui est entièrement mansardé[15]. Par rapport au dessin présenté au salon de la SNBA de 1893, elle a été prolongée de trois travées sur la rue de Pomereu, en englobant l’entrée piétonne et le mur du jardin.
Sur la façade de la rue de Pomereu, au premier étage, à gauche de la travée de la porte d’entrée, juste au-dessus de la corniche, figure une sculpture de chat dans une position acrobatique. À l’origine, avant la prolongation, il marquait l’angle droit de la façade. Son auteur ne nous est pas connu, à moins qu’Henri Guérard qui compte plusieurs dessins de chats dans son œuvre, n’en ait donné la maquette.
Ce chat « de gouttière », tête en bas, a sans doute à voir avec la reconstruction du château de Pierrefonds par Viollet-le-Duc. D’une part, il rappelle la présence des nombreux chats sculptés sur les lucarnes de la cour du château (cf. plus haut), et d’autre part, il évoque par son attitude les trois sauriens qui servent — précisément — de descente d’eau dans la cour du château.
Mais l’originalité de la maison de la rue de Pomereu réside surtout dans le fait d’avoir employé des « procédés nouveaux de construction et de décoration ». Les « procédés nouveaux de construction » désignaient l’utilisation du ciment armé[16] employé pour les planchers et pour la toiture cintrée, un matériau dont Baudot s’était fait le champion. En effet, un an plus tôt, en 1891, il avait fait la connaissance de Paul Cottancin qui venait de déposer en 1890 le brevet de son système constructif en ciment armé. Séduit et y voyant en quelque sorte le moyen de prolonger par un nouveau matériau les théories de Viollet le Duc, Baudot s’en est immédiatement servi pour des travaux de restaurations d’édifices anciens mais aussi pour plusieurs bâtiments neufs dont le plus connu est l’église Saint-Jean de Montmartre, construite de 1894 à 1904.
Paul Cottancin (1865-1928) a lui aussi été élève de l’École Centrale des Arts et Manufactures, dont il est sorti diplômé en 1886. Son système constructif était hybride et consistait à enrober par le ciment (ou le béton si on utilise des graviers) un treillis métallique sans solution de continuité en le rigidifiant par des nervures. Les éléments porteurs étaient constitués de briques noyées dans le ciment et renforcées par des armatures métalliques.
Ce système intuitif, mettant en œuvre des cloisons minces et donc légères, a rapidement été concurrencé par celui développé au même moment par l’entrepreneur en maçonnerie François Hennebique[17] et qui, plus apte aux calculs de résistances, a eu un bien plus large développement.
Le 10 novembre 1894, en rendant compte des avantages du système Cottancin, Le Génie Civil s’est à nouveau intéressé à la maison de la rue de Pomereu et a publié des dessins des nervures du système Cottancin utilisé pour ses plafonds, en indiquant aussi que, pour son vestibule, Baudot avait choisi d’encastrer des morceaux de verre émaillé dans les plages de ciment entre les nervures[18]. Il élaborait alors un projet de plafond proche pour le préau du lycée Victor Hugo à Paris (cf. plus bas).
Quant aux « procédés nouveaux de décoration », outre la possibilité de décorer les plages de ciment par du verre ou de la céramique, ils faisaient aussi sans doute référence à l’emploi du grès émaillé en façade et en intérieur. En effet, pour cette maison, Baudot a reçu la collaboration du céramiste Auguste Delaherche[19], auteur des métopes posés sur les allèges des fenêtres et en bandeau sous la toiture. De prime abord, le choix de Delaherche peut paraître surprenant car cet artisan est plus connu pour sa production de vases en pièce unique ou en petites séries (souvent non avouées). Mais cette époque, l’offre industrielle en matière de céramique architecturale en grès était réduite. Si Muller & Cie en produisait déjà, ce n’était pas encore le cas de Gilardoni & Brault. Quant à Alexandre Bigot, il n’en était qu’au tout début de son activité. Ce choix de Delaherche, s’explique d’une part par le facteur relationnel qui existait entre ces novateurs et d’autre part, par le fait qu’il produisait lui-même des éléments décoratifs architecturaux, simples pastilles colorées ou motifs floraux géométrique.
Les grès émaillés étaient également présents à l’intérieur de cette maison, comme le montre une planche de la Revue des Arts Décoratifs de 1893-1894 où figure un entourage de foyer pour un manteau de cheminée par Delaherche.
À la même époque, outre l’église Saint-Jean de Montmartre, Baudot a projeté plusieurs bâtiments avec ce système de construction et ces décors en grès émaillé. En effet sa notice biographique[20] mentionne aussi l’exposition au salon de la SNBA en 1894 d’une « […] Grande Habitation Parisienne : composition basée sur l’emploi de procédés nouveaux de construction et de décoration […] ». Là aussi, cette date est sans doute antérieure d’une année à la date de construction réelle.
Un dessin plus détaillé d’une travée de ce bâtiment est reproduit dans une coupure de presse [21] datée (de façon manuscrite) 1894, avec pour légende : « Projet d’habitation parisienne. Composition basée sur l’emploi de procédés nouveaux de construction et de décoration. (Chauffage par des murs creux.) Détail d’une baie avec encadrements […x] perforés en ciment et céramique renfermant des tuyaux de chauffage destinés à combattre le refroidissement des vitres. » On remarque sur ce dessin la présence de métopes, d’un tympan et de chambranles probablement exécutés en céramique. Nous ignorons si ce bâtiment a réellement été construit à Paris ou s’il a été détruit par la suite.
On pourrait rapprocher ce dessin de l’immeuble du 2 rue de la République à Rambouillet[22] qui comporte aussi des céramiques à grosses fleurs et boutons de fleurs, très proches de celle du manteau de cheminée de la maison d’Anatole de Baudot et qui sont donc probablement de Delaherche.
On note aussi une analogie de composition entre le dessin de la « grande habitation parisienne » de 1894 et la façade du lycée Victor Hugo, débuté la même année, rue de Sévigné à Paris à Paris. Les métopes posées en diagonale au premier étage sont probablement dues à Delaherche. Comme pour Saint-Jean de Montmartre, le parement est en briques.
Pour son projet du préau de ce lycée, Baudot a utilisé son système de voûte en ciment armé système Cottancin en insérant des lanterneaux hexagonaux garnis de briques de verre Falconnier au sein des plages de ciment entre les nervures.
Dans ces quatre exemples, à un moment où l’Art nouveau ne s’était pas encore exprimé en France, Baudot travaillait dans un style partiellement éclectique, alors que la maison de la rue de Pomereu, avec son décor plus sobre, semble plus moderne.
3- L’immeuble de la rue Spontini de Bénouville
Le troisième immeuble parisien qui nous intéresse est cette fois plus connu des amateurs d’Art nouveau. Il s’agit d’un immeuble de rapport de Léon Bénouville (1860-1903).
Cet architecte que nous avons rencontré à plusieurs reprises au cours des articles publiés sur notre site[23] a tout d’abord été diplômé de l’École Centrale des Arts et Manufactures en 1884, puis est devenu architecte diocésain, exerçant à Perpignan et Lyon. Il a été architecte des Monuments Historiques, membre de la Société centrale d’Architecture et membre du jury de l’Exposition universelle de 1900[24]. Lors de l’ouverture de la section d’architecture au salon de la SNBA, dont il a été question plus haut, Baudot avait incité plusieurs jeunes architectes de ses élèves à y participer. Bénouville était au nombre de ceux-ci et y avait alors présenté une « grande habitation rurale […] avec sa curieuse cheminée en brique »[25].
Son activité d’architecte diocésain et sa mort précoce en 1903 ne lui ont pas laissé le temps de beaucoup construire pour le secteur privé. Il a néanmoins été l’un des plus précoces acteurs du style Art nouveau en France avec un immeuble au 34 rue de Tocqueville dans le XVIIe arrondissement, en 1897, voisin et contemporain de celui de Charles Plumet au 36 rue de Tocqueville. Son mobilier, avant tout rationnel et économique, est pourtant méconnu car, depuis des décennies, son nom est accolé à la production d’un atelier de mobilier du faubourg Saint-Antoine, celui de Léon Brouhot[26].
L’immeuble qui nous intéresse se situe lui aussi dans le XVIe arrondissement, à l’angle du 46 rue Spontini et du 2 rue du Général-Appert, à proximité de la rue de Pomereu. Construit entre 1899 et 1901, il se distingue par une tour d’angle polygonale[27] reposant sur de fortes consoles arquées au premier étage. Son décor de style Art nouveau, sans être exubérant, est présent à de nombreux endroits : sculpté sur les consoles de la tour d’angle ainsi que sur la tourelle aux 5e et 6e étages, sur les ferronneries des portes, des fenêtres et des balcons, ainsi que pour l’aménagement de la boutique à l’angle du rez-de-chaussée.
Ce magasin du rez-de-chaussée était, dès l’origine, une boulangerie.
Les tympans des fenêtres sont en grès, édités par le céramiste Alexandre Bigot (1862-1927), avec un motif de sagittaires pour les second et troisième étages, avec un motif linéaire dû au décorateur belge Henry Van de Velde (1863-1957) au quatrième et cinquième étages.
Il comprend aussi une allée carrossable intérieure coudée permettant de passer d’une rue à l’autre. Son plafond montre clairement sa structure métallique et ses murs sont revêtus de grandes plaques en grès émaillé aux motifs de sagittaires éditées par Bigot. À l’origine, au-dessus de ces plaques, les murs et les pilastres recevaient un décor peint par Félix Aubert.
Et c’est encore un chat qui est sculpté au premier étage au niveau de la retombée du dernier arc joignant les consoles de la tour d’angle du côté droit. À nouveau, presque à la verticale, accroché à un banchage, il tient un oiseau dans sa gueule. Nous ne connaissons pas le nom de son auteur.
Ce chat de la rue Spontini pourrait être vu comme un clin d’œil de Léon Bénouville à son maître Anatole de Baudot dont la maison était toute proche.
4- D’autres chats
Bien entendu, nous ne prétendons pas que toutes les sculptures de chats qui ont décoré des immeubles modernes autour de 1900 sont le signe d’une filiation avec Viollet-le-Duc par l’intermédiaire d’Anatole de Baudot. Le chat de gouttière sculpté sur la souche de cheminée de l’immeuble Biet construit à Nancy en 1901-1902 était lui aussi probablement une réminiscence des chats des lucarnes du château de Pierrefonds. L’immeuble avait été construit par le jeune architecte Georges Biet (1869-1955) élève de Victor Laloux à l’ENBA et diplômé en 1896, mais la présence du chat était plutôt due au menuisier Eugène Vallin (1856-1922) qui avait modelé la façade et qui était un fervent lecteur de Viollet-le-Duc.
On retrouve également un chat prédateur sur l’extension du 97 rue Charles III à Nancy qui a été construite deux ans plus tôt par le même architecte et dont Vallin a très certainement aussi été le concepteur. Sa source serait ici plus ancienne encore puisqu’elle poursuivrait la tradition de la satire médiévale[28].
Il existe bien sûr bien d’autres exemples de chats en façade de cette époque, qu’ils soient sculptés ou en céramique ornant des tuiles faîtières. Ils n’avaient d’autre fonction que décorative et l’on voit que cet animal, aimé entre tous, a eu largement les faveurs des architectes et des décorateurs sans qu’il soit besoin de lui assigner à présent une signification. En voici quelques exemples.
À Paris, au 170 rue de la Convention, le chat sculpté en façade qui semble se hisser sur la plaque du numéro de l’immeuble a plutôt l’aspect d’un chat de salon bien élevé. L’architecte de l’immeuble (primé au concours de façades de la ville de Paris en 1900) était Paul Legriel (1866-1936) élève de Gustave Raulin à l’ENBA et diplômé en 1895, qui a eu un parcours des plus académiques. Il faut toutefois noter qu’il a construit deux immeubles aux 64 et 66 rue Spontini, donc proches de celui de Léon Bénouville et que le vestibule du 170 rue de la Convention fait grand usage de grès d’Alexandre Bigot.
On retrouve également de nombreux chats sur les immeubles parisiens de l’architecte d’origine catalane, Jean Falp.
Au 76 et 78 rue Mademoiselle à Paris, perchés de part et d’autre des portes de deux immeubles de l’architecte A. M. Turin, un chat en céramique et son pendant canin scrutent les passants.
Près de Paris, à Saint-Maurice, en bord de Marne, l’architecte Georges Guyon (1850-1915) a édifié en 1903 la pittoresque Brasserie Paul (plus tard appelée « Le Chat vert ») où des chats à la queue extravagante, dus au sculpteur Jules Hector Despois de Folleville, se trouvaient de part et d’autre des grandes baies en arc outrepassé.
5- Guimard et le courant rationaliste
Nous n’excluons pas la possibilité que le chat hirsute du Castel Béranger n’ait eu, lui aussi, d’autre fonction qu’illustrative sur un « castel » primitivement néo-médiéval. Cependant la tentation est grande d’y voir, deux ans avant l’immeuble de Léon Bénouville, mais cinq ans après celui d’Anatole de Baudot, un signe de connivence adressé par un jeune architecte novateur à celui qui représentait l’évolution vers la modernité des enseignements de Viollet-le-Duc, même s’il n’avait pas été son élève et n’avait pas non plus été architecte diocésain. Guimard n’a pas non plus participé à la première année de la section d’architecture de la SNBA en 1893, mais seulement l’année suivante avec un envoi particulièrement remarqué détaillant les petits hôtels particuliers qu’il avait construits dans le quartier d’Auteuil. Il a ensuite régulièrement participé à ce salon jusqu’en 1897, date à laquelle il s’en est retiré, avec d’autres, par solidarité avec Baudot pour une question de choix d’architecte concernant un projet de palais[29]. Cette participation puis ce retrait disent bien sa volonté de s’inscrire dans cette mouvance de l’école rationaliste qui s’était regroupée autour du maître au Trocadéro.
Nous en avons une illustration par un épisode rapporté par le Bulletin de l’Union Syndicale des Architectes et des Artistes Industriels[30] du 16 janvier 1904. À l’issue d’une conférence donnée au Trocadéro le 12 décembre 1903 par l’architecte en chef diocésain Paul Gout sur « L’Architecture du XXe siècle et l’Art Nouveau » où il avait été question du pavillon de Guimard à l’exposition de l’Habitation en 1903 et de la Salle Humbert de Romans, Guimard avait pris part à une discussion informelle. Il a alors lancé une invitation à visiter sa salle de concert, visite effectuée peu après sous la direction d’Anatole de Baudot qui, gardien d’une certaine orthodoxie, n’a sans doute ménagé ni éloges vis-à-vis du décor, ni critiques vis-à-vis de la structure en bois et fer de la coupole.
Cette proximité de Guimard, élève de l’École de Beaux-Arts, avec les architectes diocésains du Trocadéro n’était pourtant pas une rupture car l’heure n’était plus, comme dans les décennies précédentes, à l’antagonisme entre rationalistes extérieurs à l’École des Beaux-Arts et tenants de la tradition à l’intérieur de l’École des Beaux-Arts. Et l’École nationale des arts décoratifs (où Guimard a successivement été élève puis professeur) peuplée de rationalistes, préparait efficacement à l’entrée aux Beaux-Arts.
S’il a été stylistiquement plus radical que n’importe quel autre, s’il a exploré toutes les possibilités offertes par les matériaux et l’industrie pour exprimer son style propre, Guimard a été plus frileux en ce qui concerne l’utilisation d’un matériau structurellement innovant comme le ciment ou le béton armé. Il s’en est pourtant servi précocement pour la terrasse de l’armurerie Coutolleau au 6 boulevard de Saumur à Angers en 1896. Mais, sauf nouvelle découverte en ce sens, il n’y est revenu que tardivement, vers 1910 pour des éléments préfabriqués comme des appuis de fenêtres, puis plus massivement après-guerre pour son système de « Standard-construction ».
Guimard n’a pas non plus reçu de formation technique poussée comme en ont eue Cottancin, Baudot et Bénouville, ingénieurs formés à l’École Centrale et qui se sont ensuite dirigés vers l’architecture. Son attitude vis-à-vis de l’influence grandissante des ingénieurs dans la construction a été ambivalente et a pu se calquer sur celle qu’avait Viollet-le-Duc. Ce dernier valorisait effectivement l’esprit rationnel et le savoir-faire des ingénieurs[31] mais exhortait aussi les architectes à concevoir de nouveaux modèles en adéquation avec les nouveaux matériaux « […] en s’aidant franchement de l’industrie, sans attendre qu’elle nous impose ses produits, mais en la devançant au contraire.[32] » Et c’est bien cette attitude que Guimard a mise en avant dans son activité créatrice en concevant inlassablement toutes sortes de modèles destinés à la production en série et pour lesquels le « style Guimard » était une valeur artistique ajoutée qu’aucun ingénieur n’aurait pu fournir. Alors qu’il ne possédait sans doute pas les capacités techniques nécessaires à la réalisation de bâtiments de grande hauteur, il a exprimé à plusieurs reprises son dédain des gratte-ciels américains[33] auxquels il reprochait un évident manque de sentiment artistique[34]. Il serait donc sans doute exagéré de le considérer comme un précurseur du modernisme dont il n’avait pas le goût, mais il a bel et bien été un acteur du mouvement moderne par sa volonté d’exploration des matériaux et de production sérielle.
Frédéric Descouturelle
Je remercie tout particulièrement Jean-François Belhoste dont le séminaire d’histoire des techniques à l’École Pratique des Hautes Études m’a permis de mieux connaître les carrières de Paul Cottancin et d’Anatole de Baudot et de découvrir l’existence de la maison de ce dernier, rue de Pomereu.
Notes
[1] Plus exactement, après le décès d’Alphonse Brault en 1895, la société s’appelle Gilardoni fils, A. Brault et Cie.
[2] Ces panneaux sont commentés dans l’ouvrage La Céramique et la Lave émaillée d’Hector Guimard paru en 2022 aux éditions du Cercle Guimard.
[3] Cf. notre article « Le stand de Guimard à l’Exposition de la Céramique en 1897 et autres réalisations architecturales en céramique émaillée ».
[4] 84 boulevard de Rochechouart de 1881 à 1885, puis 12 rue de Laval (actuellement rue Victor Massé) jusqu’en 1896.
[5] Notice biographique de Baudot par Marie-Laure Crosnier-Leconte, site Agorha, INHA. https://agorha.inha.fr/ark:/54721/ad009af2-7091-40c4-a4e9-e1362fe57d6a
[6] Le salon de la Société Nationale des Beaux-Arts était l’un des deux salons parisiens. Fondée en 1863 avec la volonté de s’affranchir du salon officiel de peinture et de sculpture qui était sous la coupe de l’Académie des Beaux-Arts, puis refondée en 1890, la SNBA avait la réputation d’être plus libérale que la Société des Artistes Français.
[7] Ancien palais des Beaux-Arts de l’Exposition universelle de 1889, le palais du Champ de Mars a été détruit pour faire place aux nouveaux bâtiments de l’Exposition universelle de 1900.
[8] Delon était vitrailliste. Cf. Le Génie Civil, 15 juillet 1893, p. 178.
[9] Il pourrait s’agir du peintre et graveur parisien Henri Guérard (1846-1897).
[10] MARIETTE, Édouard, « l’Exposition d’Architecture au Palais du Champ de Mars », Le Génie Civil, 15 juillet 1893, p. 178.
[11] BELHOSTE Jean-François, in Le béton armé, histoire d’une technique et sauvegarde du patrimoine du 20e siècle, collectif, sous la direction de Matteo Porrino, Infolio, 2019.
[12] Mais il n’a pas été diplômé de l’École Centrale, n’y étant resté que moins d’un an et ayant démissionné en juillet 1854, vraisemblablement pour anticiper un possible renvoi ou un probable refus d’admission en seconde année. Ses professeurs le trouvaient en effet trop chahuteur et insuffisamment doué en dessin. Cf. BELHOSTE Jean-François, ibid.
[13] Eugène Viollet-le-Duc (1874-1879), devenu le chef de l’école rationaliste française, a exercé une forte influence sur nombre de jeunes architectes dont certains ont ensuite travaillé dans le style Art nouveau tout en prêtant une grande attention à la structure de leur construction.
[14] Nous avons commenté cet adjectif « national » dans l’article « National », « Style Nouveau », « Architecte d’Art », « Style Guimard » et « Style Moderne », les qualificatifs appliqués par Guimard à son œuvre et leur postérité » en mettant l’accent sur le contexte xénophobe et nationaliste des années 1890. On voit ici que sans être exempt de chauvinisme, il se replace dans un contexte plus large d’écriture de l’histoire de l’art française.
[15] Cette toiture cintrée se retrouve sur plusieurs autres bâtiments d’Anatole de Baudot, notamment sur deux petites maisons construites en 1894 au 27-29 rue Gabriel Péri à Antony et sur le théâtre municipal de Tulle en Corrèze construit de 1900 à 1903.
[16] L’idée d’armer le ciment est beaucoup ancienne puisqu’elle est due à Joseph Lambot pour une barque présentée à l’Exposition universelle à Paris de 1855 puis par Joseph Monnier qui s’en est servi pour fabriquer des caisses d’horticulture, des terrasses, des bassins et même des ponts et des passerelles. L’application du ciment armé à la construction d’immeubles et à la réalisation d’ouvrages de génie civil par Cottancin et Hennebique s’est inspiré d’exemples préalables menés aux États-Unis, notamment pas Ernest L. Ransome.
[17] François Hennebique, alors installé en Belgique, a déposé son brevet en 1892 après l’avoir testé pendant plusieurs années sur ses constructions. À partir de 1894 il s’est installé à Paris et est devenu ingénieur conseil pour développer son système constructif.
[18] LAVERGNE, Gérard, « Les travaux en ciment avec ossature métallique du système P. Cottancin », Le Génie Civil, 15 juillet 1893, p. 25. Cf. BELHOSTE, Jean-François, ibid.
[19] Auguste Delaherche (1857-1940) a été élève à l’École nationale des Arts décoratifs en 1877. Il a débuté sa carrière de céramiste en 1883 et a été récompensé par une médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1889. Après avoir repris l’atelier d’Ernest Chaplet à Paris en 1887, il s’est installé en 1891-1892 à Lachapelle-aux-pots, près de Beauvais, puis y a fait construire sa maison et son atelier « Les Sables Rouges » en 1894 par son ami l’architecte Charles Genuys, architecte diocésain, ancien élève d’Anatole de Baudot et professeur de Guimard à l’École nationale des arts décoratifs.
[20] Notice biographique de Baudot par Marie-Laure Crosnier-Leconte, ibid.
[21] Cette coupure de presse est reproduite, sans son origine, dans le blog « Le pays d’Yveline » blog consacré à Rambouillet et ses alentours, animé par M. Christian Rouet : https://yveline.org/2-rue-de-la-republique.
[22] Anatole De Baudot a construit l’église Saint-Lubin et Saint-Jean-Baptiste à Rambouillet de 1868 à 1871.
[23] DE PRAETERE, Ophélie, Le Faubourg Saint-Antoine et l’Art nouveau (1895-1905) – Troisième partie : vers le mobilier « à bon marché », https://www.lecercleguimard.fr/fr/le-faubourg-saint-antoine-et-lart-nouveau-1895-1905-troisieme-partie-vers-le-mobilier-a-bon-marche.
[24] LÉNIAUD, Jean-Michel, Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle, École des chartes, 2003.
[25] MARIETTE Édouard, ibid.
[26] Cf. notre article « Léon Bénouville – Louis Brouhot, confusion entre deux créateurs de mobilier parisiens », Arts Nouveaux, revue de l’Association des Amis du Musée de l’École de Nancy, n° 8, 1992. Depuis sa publication, cette confusion tend à se résorber mais est toujours très présente sur internet.
[27] Il est vraisemblable qu’elle a servi d’inspiration à l’architecte Émile André pour la banque Renauld à l’angle de la rue Saint-Jean et de la rue Chanzy à Nancy en 1908-1910. André s’était précédemment beaucoup inspiré des péristyles de Charles Plumet pour ses immeubles du 69 et 71 avenue Foch à Nancy.
[28] BARBIER-LUDWIG, Georges, « Pour une attribution à Eugène Vallin de la façade prolongée (1899) de l’immeuble Gaudin à Nancy » in Eugène Vallin, menuisier de l’Art nouveau, p. 31-36, SLAAM, 2022. Le chat pourrait être ici la personnification d’Antonin Daum, pilleur du travail d’Émile Gallé.
[29] Vigne, Georges, Hector Guimard hors de lui-même, p. 47, catalogue de l’exposition Guimard, musée d’Orsay, 1992.
[30] L’Union syndicale des Architectes Français, fondée en 1890 regroupait initialement les architectes non diplômés par l’École nationale des Beaux-Arts. Elle est vite devenue le rassemblement de la mouvance rationaliste et prônait le rapprochement avec le monde des entreprises et l’emploi des nouveaux matériaux. Paul Cottancin en est ainsi rapidement devenu membre et le passage de l’architecte suisse Gustave Falconnier à Paris en décembre 1895 à l’invitation de l’USAF a débouché sur l’emploi de son invention, la brique de verre soufflée, par une cohorte de jeunes architectes audacieux, dont Guimard.
[31] VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Histoire d’une maison, Hetezl, 1873. Le chapitre XXV est très clair à ce sujet.
[32] VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Entretiens sur l’Architecture, Treizième entretien, p. 119, 1858-1872.
[33] William Le Baron Jenney (1832-1907), architecte à Chicago, considéré comme le pionnier du gratte-ciel, a lui aussi été formé à l’École Centrale des Arts et Manufactures à Paris.
[34] Il s’est exprimé à ce sujet à plusieurs reprises, notamment lors d’interviews à l’occasion d’un voyage aux États-Unis en 1912 (cf. PARIS Marie-Claude, PONS, Olivier, Le premier voyage d’Hector Guimard aux États-Unis – New York 1912) et dans un article de Gaston-Louis Vuitton en 1932 dans lequel Guimard apportait un soutien partiel à l’ingénieur Jean Desbouis, auteur d’un immeuble au modernisme dérangeant sur les Champs-Élysées (cf. PONS, Olivier, Vuitton fan de Guimard).
Le monument commémoratif à Paul Nozal situé sur la commune de Le Tâtre en Charente (16) a bénéficié ces deux dernières années d’une campagne de mise en valeur exécutée par les services de la commune. Les travaux se sont achevés en fin d’année dernière.
Le processus d’inscription au titre des monuments historiques ayant abouti en 2021[1], nous avions été sollicités peu de temps après par le conseil municipal de la commune, soucieuse de restaurer le monument dessiné par Guimard et d’aménager son environnement immédiat. Surprise d’abriter sur son territoire ce qui était jusqu’à présent ignoré ou considéré au mieux comme une curiosité locale, la mairie cherchait à compléter ses connaissances sur l’histoire du monument.
En effet si l’accident automobile ayant provoqué la mort de Paul Nozal a été abondamment relayé dans la presse nationale et locale de l’époque, la date de l’installation du monument est moins précise, vraisemblablement antérieure à 1907[2]. Exécuté en pierre locale, son dessin est un rappel des piliers encadrant le portail d’entrée principal des magasins Nozal à Saint-Denis. Malheureusement, il a lui-même subi un accident dans les années 1960.
Longtemps remisé, il avait ensuite été réinstallé au même emplacement.
Depuis la fin des années 2010, et par les hasards heureux d’un réaménagement routier, le monument ne se trouvait déjà plus en bordure de la dangereuse Nationale mais le long d’une petite voie communale dont la tranquillité seyait mieux à sa fonction. La mairie avait profité de l’occasion pour nettoyer la stèle noircie par la pollution et les intempéries. La pierre avait ainsi retrouvé sa blondeur originelle.
Ce nettoyage avait aussi permis d’améliorer la lisibilité de l’inscription en découvrant au passage les quatre « x » (pour « OZAL ») portés en exposant de la lettre « N ». Autre découverte : la lettre grecque « Ω », symbole de fin et d’éternité qui clôture opportunément le texte.
Il ne restait plus qu’à aménager les abords et à installer un panneau explicatif dont nous avions fourni le texte. C’est désormais chose faite depuis la fin de l’année dernière. Le monument a donc retrouvé un environnement paisible, et les vaches du pré voisin un peu de tranquillité…
Ainsi que nous le faisons régulièrement, nous complétons et modifions les dossiers que nous publions sur le site de l’association au gré de nos recherches et de nos découvertes, mais aussi des informations que nos lecteurs nous communiquent en citant systématiquement nos sources et laissons de côté les théories au mieux distrayantes que l’on nous signale parfois sur internet.
Concernant le drame familial survenu en Charente et plus globalement sur les relations entre la famille Nozal et Hector Guimard, nous renvoyons nos lecteurs vers le dossier en deux parties déjà publié sur le site de l’association et qui vient d’être enrichi de documents inédits et de nouvelles informations issus des archives familiales et du Cercle Guimard : voyage de Paul Nozal et Hector Guimard à l’été 1901, clichés inédits du Chalet Blanc/La Surprise en construction et de la famille Nozal dans leur propriété du Ranelagh :
Bonne lecture.
Olivier Pons
Notes
[1] Inscription par arrêté du 09 avril 2021.
[2] Grâce au pèlerinage annuel effectué par la famille Nozal sur les lieux du drame, nous savons néanmoins que la stèle était en place en 1907.
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