L’écusson conçu par Guimard en 1900 pour les balustrades du métro est essentiellement décoratif. D’un point de vue fonctionnel, tout au plus obstrue-t-il l’espace entre les potelets, empêchant ainsi le passant de moins d’un mètre de tomber dans la trémie. Au fil de la réhabilitation de l’Art nouveau, il est devenu une icône qui suffit à symboliser l’œuvre de Guimard, mais aussi le métro de Paris et parfois — par extension — la ville elle-même.
Il a même eu droit en 1994 à un timbre à son effigie, à une époque où la timbrophilie n’admettait pas la complète libéralisation/privatisation de son contenu graphique qui a cours depuis peu.
Cette popularité qui est évidemment due à sa réussite esthétique a logiquement entraîné un fort désir de possession, lequel a mathématiquement provoqué une énorme valorisation de ces 28,5 kilos de fonte. Facturé 30 F-or pièce à la CMP par la fonderie du Val d’Osne en 1900, l’écusson de Guimard peut, à l’heure actuelle, au gré des ventes, passer de 1000 à plusieurs milliers d’euros (en fonction de critères parfois mystérieux).
Mais d’où proviennent ces éléments du métro de Guimard ? Théoriquement, ils ne devraient pouvoir ni s’acheter ni se vendre.
Après des décennies de démontages des entourages, essentiellement motivés par des modifications de la voirie en surface ou du réseau en sous-sol, la RATP a, vers 1960, froidement envisagé leur disparition complète en invoquant un coût d’entretien trop important. Certains entourages ont alors été offerts à trois musées (MoMA de New York en 1958, Staatliches Museum für Angewandte Kunst de Munich en 1960, musée national d’Art moderne de Paris en 1961). En outre, à part l’entourage complet officiellement offert au métro de Montréal en 1966, il est à peu près certain que plusieurs fragments d’entourages ont été dispersés dans la nature à cette époque.
Page du journal pour jeunes Âmes Vaillantes, n° 5 du 2 février 1961 annonçant la mise en vente des entourages, édicules et même du pavillon de la place de la Bastille (coll. part.). L’information est bien sûr inexacte mais est contemporaine d’une période de flottement à la RATP quant à la destination de certains ouvrages Guimard.
Cependant, la RATP n’a jamais officiellement vendu à des particuliers tout ou partie de ses entourages supprimés au fils des années. Les pièces issues des démontages étaient au contraire censées être conservées et stockées pour pouvoir être réutilisées en remplacement d’éléments cassés sur les entourages encore en place sur la voirie. Cependant, la faiblesse de l’âme humaine jointe à l’appât du gain ont provoqué une certaine « évaporation » dans les réserves de la RATP. Tout possesseur d’un fragment du métro peut donc se persuader qu’il est le nème receleur d’un objet qui n’aurait pas dû quitter ces réserves et s’offrir le délicieux frisson de se considérer comme un hors-la-loi. À peu de risques d’ailleurs car, à notre connaissance, la RATP n’a jamais entrepris d’actions sérieuses contre les multiples ventes d’éléments du métro de Guimard qui se déroulent au grand jour dans les maisons de vente les plus réputées de Paris et du monde extérieur depuis des décennies.
Ancien (et authentique) écusson du métro transformé en objet de décoration. Peinture moderne.
Les écussons sont les éléments les plus couramment vendus, sans doute en raison de leur forme finie et indépendante qui leur confère un statut d’œuvre sculpturale. Mais on trouve aussi parfois des « cartouches » qui remplissent le même rôle structurel que les écussons sur les entourages secondaires.
Cartouche d’entourage secondaire en vente aux puces de Saint-Ouen, marché Biron, en 2015. La fonte est encore rivetée sur les deux profilés en fer « en U » verticaux (les « flammes »). On remarquera que, dans le vide central, le petit arc de la partie basse était cassé (ce qui a probablement entraîné la réforme de la pièce par la RATP) puisque ses extrémités ont été meulées pour en dissimuler l’absence.
On trouve aussi, mais beaucoup plus rarement, des potelets ou même des candélabres d’entourages découverts. Certains ont été tronçonnés lorsqu’il s’agissait de fragments issus de fontes cassées irrécupérables (normalement vouées à la destruction par la RATP) de façon à s’intégrer plus facilement dans un intérieur domestique.
Tronçon d’un potelet central de la partie arrière d’un entourage découvert à fond arrondi (vu du côté intérieur). Vente Drouot salle 4-9, 23 mars 2013, étude Lucien, thème « Paris mon amour », lot n° 233, adjugé 480 €.
Le même tronçon de potelet central (vu du côté extérieur) transformé en guéridon par la maison Archiproducts (Malherbes édition). On remarquera que la peinture ancienne écaillée a été soigneusement conservée en gage d’authenticité.
Base d’un candélabre d’entourage découvert et son socle en pierre. Vente Drouot salle 4-9, 23 mars 2013, étude Lucien, thème « Paris mon amour »
lot n° 234, estimé 3000/4000 €, non vendu. 148,5 x 69 x 40,5 cm.
Mais ces éléments qui se vendent et se revendent ainsi, sont-ils vraiment tous issus d’anciens et authentiques entourages de métro qui avaient essaimé dans la Ville Capitale avant d’être victimes d’un coupable désintérêt ? On se doute bien que non…
En ventes publiques ou privées, on trouve donc tout d’abord des pièces originales, mais aussi de franches copies frauduleuses très faciles à détecter. Il y a également des copies officielles dont certaines sont facilement identifiables, et d’autres beaucoup plus difficiles à détecter. Il ne sera bien sûr question dans cet article que des copies d’écusson en métal, car il en existe aussi en résine, plus faciles à accrocher au mur mais qui ne prétendent évidemment pas être des pièces originales.
La variété de copies la plus évidente se trouve concentrée aux États-Unis et semble avoir été plus particulièrement répandue au Texas. Là, de riches naïfs se sont fait abuser dans les années 90 par des marchands et des experts, américains et français, qui leur ont vendu fort cher des entourages Guimard complets dont tous les éléments modelés étaient en bronze. Alors que certains de ces entourages continuent à se présenter sur le marché de l’art américain et sont — mondialisation du marché de l’art oblige — venus à notre connaissance, nous consacrerons prochainement plusieurs articles à cet épisode américain particulièrement savoureux. Même recouverts d’une peinture verte, leurs éléments en bronze sont très facilement détectables à l’aide d’un aimant.
Par ailleurs, une nouveauté vient d’apparaitre sur le marché, peut être en relation avec la filière des faux entourages. Il s’agit cette fois cette fois de reproductions de section de balustrade, présentées comme telles et non comme des originaux. Elles sont vendues à la demande en tirage aluminium ou bronze, sans dissimulation du métal par une peinture patinée.
Copie en aluminium d’une section de balustrade d’entourage découvert. En vente aux États-Unis sur le site www.chairish.com pour 5000 $ (plus frais d’envoi).
Copie en aluminium d’une section de balustrade d’entourage découvert. En vente aux États-Unis sur le site www.chairish.com (prix sur demande).
Historiquement, la RATP a commencé à commander des copies d’éléments du métro Guimard à la fonderie GHM à partir de 1976, bien avant les grandes restaurations des accès de métro de 2000. GHM est l’héritière de la fonderie Durenne à Sommevoire qui avait absorbé en 1931 sa rivale, la fonderie du Val d’Osne, fournisseur historique de la Compagnie du Métropolitain de Paris (CMP). Dans un premier temps, en l’absence des modèles anciens, les copies de pièces ont été effectuées par surmoulage, technique qui entraîne un retrait et donc une légère diminution de la taille des nouvelles pièces produites. À partir de 1983, grâce à de nouveaux modèles en aluminium moulé, la fonderie produit des copies aux dimensions exactes. Le plus ancien contrat entre GHM et la RATP est daté du 9 décembre 1983 [1]. Il prévoit l’exclusivité de la vente de ces copies à la RATP et aussi que ces nouvelles pièces seront marquées au revers. Ce marquage se lit de la façon suivante : R (pour reproduction), un chiffre codant le type de pièce (par exemple 5 pour un écusson), GHM, deux chiffres marquant le millésime (par exemple 89 pour une fonte produite en 1989).
Pour les mêmes raisons qui ont fait passer des pièces anciennes des ateliers de la RATP aux salons de certains particuliers, on retrouve de temps à autres l’une de ces copies modernes en vente. Nous avons le souvenir de l’une d’elles affichée sur eBay il y a quelques années pour laquelle le vendeur signalait fièrement la marque présente au verso, y voyant un indéniable signe d’authenticité puisqu’il traduisait « GHM » par « Guimard Hector Métropolitain ». Nous avions trouvé cette solution imaginaire si belle que nous nous étions alors abstenu de fondre sur lui.
Mais ce marquage ne sera pas effectué de manière très assidue sur les copies livrées par GHM à la RATP. On en trouve en relief, d’autre en creux, parfois incomplets ou modifiés (« 1 GHM 89 » ou « GHM 6 ») et il semble avoir été abandonné dès la décennie suivante. Un certain nombre de ces copies ne sont donc pas marquées et sont dès lors plus difficilement différentiables des originaux. Le seul moyen de les repérer serait la mesure du retrait entraîné par le surmoulage. Notre exemplaire personnel (et ancien) faisant 62,5 cm dans sa plus grande largeur, nous pouvons nous attendre à trouver une largeur légèrement moindre sur les copies (en général 62 cm).
Copie d’écusson, vendue par la maison de ventes Talma à Nantes le 27 septembre 2018, lot n° 75, est. 1500-2000 €, largeur maximale 62 cm. Notice changée après intervention et signalée « fonte 1989 ».
Détail du revers d’une copie d’écusson, vendue par la maison de ventes Talma à Nantes le 27 septembre 2018, lot n° 75, est. 1500-2000 €. Marque en creux « 1 GHM 89 », largeur maximale 62 cm. Nous remercions la maison de ventes Talma pour l’autorisation de reproduction de ses documents et pour le changement de notice signalant que la fonte date de 1989.
Paire de copies d’écussons vendus pour des écussons anciens, le 16 mai 2019 à Doulens, lot n° 352, estimation 2000-3000 €. La notice de vente n’a pas été modifiée malgré notre demande. Leur nature de copie n’a été révélée qu’oralement au moment de la mise aux enchères du lot.
Revers de l’une de deux copies d’écussons vendus pour des écussons anciens, le 16 mai 2019 à Doulens, lot n° 352, estimation 2000-3000 €. Le chiffre 6 imprimé en creux et le fait que le revers des pattes de fixation inférieures soit comblé indique qu’il ne s’agit pas d’un modèle ancien. La notice de vente n’a pas été modifiée malgré notre demande. Leur nature de copie n’a été révélée qu’oralement au moment de la mise aux enchères du lot.
Dans l’optique des restaurations de grande envergure effectuées en 2000, la RATP a alors financé la création d’outils de fonderie (plaques recto et verso) en aluminium moulé. Ces modèles définitifs dont les dimensions tiennent compte du retrait au moulage donnent naissance à des tirages en fonte de fer de mêmes dimensions que les tirages anciens. Édités sans marquage, ils n’en sont pas différentiables à l’œil. Seule une analyse microscopique montrerait que de la nature de cette fonte moderne est légèrement différente de celle de la fonte grise ancienne.
On voit donc que le problème de l’authenticité des écussons et d’autres éléments du métro de Guimard qu’il est possible de se procurer sans avoir à s’attaquer à un entourage (ce que nous déconseillons catégoriquement) n’est pas simple. Mais finalement, si cette question n’est que très secondaire voire inexistante chez les vendeurs, elle devient le plus souvent accessoire chez la plupart des acheteurs grâce à un phénomène d’auto-persuasion qui fait que l’on est d’autant plus certain de posséder un objet authentique qu’on l’a payé cher.
F. D.
[1] Frédéric Descouturelle, André Mignard, Michel Rodriguez, Guimard l’Art Nouveau du métro, La Vie du Rail, 2012.
Addenda du 27 avril 2023
Les plaques en résine servant à imprimer dans les bacs de sable les volumes des écussons, des potelets et des arceaux du modèle d’écran de cheminée fabriqué en Californie et présenté plus haut dans l’article ont été mises en vente en 2023. Elles avaient été créées en 1999.
Outils de fonderie utilisés pour la création des éléments de l’écran de cheminée en balustrade de métro de Guimard.
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