(jusqu’au 8 septembre 2013)
L’une des deux expositions simultanées de la Pinacothèque étant intitulée L’Art Nouveau (et sous-titrée La Révolution décorative), nous sommes allés — moyennant 12 € — y faire une visite. En réalité restreinte au seul Art nouveau français, l’exposition est essentiellement alimentée par deux importantes collections : celle, anglaise de feu Victor Arwas et celle, monégasque, de Robert Zehil. Passons rapidement sur le manque de structure de l’exposition (celle qui est proposée étant artificielle), sur le déséquilibre entre les différentes disciplines (arts graphiques et bibelots en métal largement privilégiés au détriment des autres arts décoratifs), sur l’indigence de certaines pièces (alors que la collection Zéhil comprend de très beaux meubles) comparée à la magnificence d’autres, sur la vacuité des notices (on peut ainsi apprendre qu’un meuble étagère est en « bois »), sur les surprises réservées par une traduction approximative (un fauteuil se dit « chaise » et un canapé se dit « fauteuil à deux places ») ainsi que sur les inexactitudes d’attribution (une table à thé de Louis Brouhot attribuée à Léon Bénouville, un cadre de miroir de Gruber attribué à Majorelle). Le tout nous paraît donc plus être un résumé de ce qu’était une grande collection privée d’Art nouveau au siècle dernier qu’un reflet de ce que fut l’Art nouveau et nous paraît plus ressembler à une exposition avant vente aux enchères (en général gratuite) qu’à une exposition à vocation culturelle.
Le catalogue (dans lequel chacun des objets présentés est soigneusement photographié) est précédé de quatre essais dont le plus important est celui de Paul Greenhalgh, directeur du Sainsbury Centre for Visual Arts de l’Université de Norwich. On pourra sans doute lui reprocher une certaine allégeance aux théories largement controuvées (et largement contestées de ce côté-ci de l’Atlantique) de l’américaine Debora Silverman (traduite en 1996) ainsi que des assertions insolites comme le fait que Guimard aurait commercialisé des objets de sa conception via des « catalogues de vente par correspondance ». Nous devons avouer que nous ne connaissions pas encore cet aspect de notre homme en tant que précurseur de La Redoute ou des Trois Suisses. Mais il faut rendre grâce au texte de cet éminent spécialiste du sujet qui est souvent rafraîchissant dans la mesure où il apporte sur l’Art nouveau français un point de vue autre que le traditionnel discours franco-français.
Une vitrine est consacrée à Hector Guimard et présente quatre objets provenant tous de la collection Zehil.
Un vase en grès dit « de Cerny »
Ce vase est un des fruits de la collaboration entre Hector Guimard et la Manufacture nationale de Sèvres. Après le vase-jardinière « des Binelles » et le vase « de Chalmont », la célèbre institution édite entre 1903 et 1907 une douzaine d’exemplaires de ce modèle. Nous savons, grâce à une photo d’époque tirée du premier numéro de La Revue d’Art, que son existence est avérée dès 1899 puisque Guimard le présente dans une petite vitrine, entouré des derniers objets et meubles de sa production, même s’il ne s’agit probablement que d’un prototype préfigurant la version définitive de Sèvres.
Le vase « de Cerny », par les mouvements agités de la céramique que l’on retrouve à son sommet, est typique du style débridé adopté par l’architecte-décorateur au début de sa carrière tandis que la partie inférieure nous rappelle la fonctionnalité première de l’objet. Sur la douzaine d’exemplaires sortis des ateliers de la Manufacture nationale, un certain nombre est parvenu jusqu’à nous. Une bonne moitié est visible actuellement dans les collections de musées européens et américains, les autres se trouvent principalement dans des collections privées, là encore des deux côtés de l’Atlantique. Appartenant à cette dernière catégorie, le vase de la collection Zehil est remarquable par la complexité des motifs et la variété des couleurs. Les cristallisations du grès, obtenues par la projection aléatoire de particules métalliques durant la cuisson, rendent cet exemplaire particulièrement rare.
Un vase en bronze patiné
Ce modèle adopte le même principe stylistique que le vase précédent : sage à sa base, la matière s’anime à mi-hauteur pour finir en tournoyant au sommet. Son monogramme « GH » que l’on aperçoit à la base est identique à celui du vase « de Cerny ».
Contrairement à la légende de la Pinacothèque qui le date « vers 1910 », nous pensons plutôt que son modèle a également été créé à la fin du XIXe siècle. Il est en effet très proche de l’un des modèles que l’on retrouve à la planche 65 de l’album du Castel Béranger (publié en 1898). Le vase exposé à la Pinacothèque provient de la collection privée du célèbre couple amateur d’Art nouveau, Lloyd et Barbara Macklowe, dont une grande partie a été dispersée aux enchères chez Sotheby’s le 2 décembre 1995. Il s’agit d’un modèle plus rare encore que le vase « de Cerny », puisqu’à notre connaissance, un seul autre exemplaire est connu. Il figure dans les collections du MoMA à New-York.
Une pendulette en bronze patiné
Elle porte le même monogramme que les deux vases précédents. Les informations concernant cette horloge en bronze sont bien minces. Aucune photo ni aucun document ne nous permet de dater avec précision cet objet. Néanmoins, le style épuré, ponctué de quelques volutes à son sommet, nous permet de la situer au début des années 1910. Il en existe au moins un autre exemplaire original faisant toujours partie de la décoration d’un appartement parisien, certainement son premier lieu d’exposition. Comme souvent pour ce type d’objet, il est probable que le cadran de l’horloge de la collection Zehil ait été modifié ou remplacé au cours de son histoire. C’est un moindre mal si l’on prend en considération les quelques copies des années 70 qui circulent toujours mais dont la qualité plus que médiocre ne laisse aucun doute sur leur origine frauduleuse.
Une coupe GD en fonte
Cette coupe figure dans la première édition du catalogue des Fontes Artistiques de la fonderie de Saint-Dizier, exclusivement consacrée aux fontes pour « constructions, fumisterie, jardins et sépultures » créées par Guimard. Certains des modèles de ce catalogue datent de 1901, d’autres de la période 1903-1905, mais la plupart ont été créés entre 1905 et 1908. C’est à cette dernière date que paraît le premier catalogue et que débute la commercialisation de ces fontes. La coupe GD est présentée sur la planche 41 dédiée aux « Articles de jardin ». Guimard la place également en situation, surmontant un pilier, sur le dessin de la planche 33 où il donne deux exemples de clôtures de jardin. Lors de la réédition du catalogue, remanié et augmenté vers 1912, une seconde coupe (GE) apparaît sur la planche supplémentaire 42 comme une simplification de la coupe GD par ablation de ses larges anses à la partie supérieure et de ses jambes obliques à la partie inférieure. Les deux coupes sont encore présentes dans les catalogues de la fonderie en 1921, mais elles ont disparu de l’édition de 1935, alors que d’autres articles de jardin comme le vase GA et la jardinière GF sont encore disponibles. Le tirage présenté à l’exposition de la Pinacothèque a une finition granuleuse, comparable à celle de la jardinière GF de la vente Sotheby’s Paris du 16 février 2013. Cette finition apparaît médiocre au regard de celle, beaucoup plus poussée, de nombre de tirages de fontes d’ornement de Guimard que nous connaissons. L’un de nos correspondants, monsieur Tangui Le Lonquer, suggère que si la fonte a longtemps séjourné en extérieur sans bonne protection, elle a pu être couverte d’une couche de rouille plus ou moins incrustée, qu’il a fallu tout d’abord « dérouiller » avec perte de matière, pour ensuite stabiliser la patine afin d’ obtenir un résultat proche de ce que nous voyons. Seul un entretien régulier ou une présentation en intérieur permet d’obtenir, un siècle plus tard, une patine proche de l’origine.
Frédéric Descouturelle et Olivier Pons
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