La maison de ventes aux enchères Aguttes de Neuilly proposait le 20 mars 2015 une porte menuisée en bois, encore partiellement peinte en rouge dont le panneau supérieur était une fonte bien connue de Guimard, le panneau de porte GB. Le tout était estimé entre 5000 et 6000 €.
Page du catalogue de la vente Aguttes du 20 mars 2015, lot 82. À noter que la signature encadrée au-dessus du numéro de lot est factice. Le catalogue la reproduit aussi pour un pare-feu attribué à Brindeau de Jarny.
Ce type de panneau a constitué, l’une des meilleures ventes du catalogue Guimard édité par les fonderies de Saint-Dizier à partir de 1908. Sans être fréquent, il n’est pas rare et peut se négocier habituellement autour de 1500 € (si on ne l’achète pas à Londres ou à New-York).
L’étonnante estimation était-elle due au fait que ce panneau était encore inséré dans sa porte (probablement d’origine étant donné son état misérable), bel et bien vendue avec la fonte ? Car, ce que la notice ne dit pas, mais qu’elle suggère tout de même, c’est que cette porte a quelque chose à voir avec Guimard. Et qu’elle aurait en tous cas un âge respectable, puisque qu’elle serait de 1905-1910.
Mais la réalité est tout autre. Ce panneau, ainsi que toutes les autres fontes Guimard produites à Saint-Dizier, n’a pu être fondu (à de rares exceptions près) avant 1908. Nous ne connaissons que très peu d’exemplaires de ces panneaux GA, GC, GB, GD datant d’avant la Première Guerre Mondiale. Leur vrai succès ne se fera qu’après-guerre et jusque dans les années trente, lorsque des centaines de petits entrepreneurs se mettront à construire, principalement en périphérie des grandes villes, de petites maisons mitoyennes à un étage et combles, très souvent en briques et se mettront en devoir de les égayer au moyen de fontes puisées dans les divers catalogues. Ceux d’entre eux qui avaient sous la main les catalogues de Saint-Dizier — alors réorganisés en fascicules — ont choisi des panneaux de porte au sein du répertoire proposé : des fontes d’aspects plus traditionnels, mais aussi de l’Art nouveau, issu de l’ancien catalogue des « Nouvelles Créations » de 1904 et 1906 ; et même du Guimard, issu des anciens catalogues Guimard (de 1908 à 1920 environ). C’est certainement en raison de cette demande que cette gamme de panneaux de porte sera maintenue dans le catalogue Saint-Dizier jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. En raison de la variété des dimensions de panneaux proposées par les différentes fonderies, les menuiseries sont toujours réalisées sur le panneau et non l’inverse. Quant à leur style, il est étonnamment unifié, du moins dans toute la région du bassin parisien et au-delà, dénotant des habitudes dans la construction du bâti et la mouluration bien ancrées, s’autorisant quelques variations sur les panneaux à plates-bandes en fonction du budget alloué au menuisier. Voici, ci-dessous, deux exemples du même panneau, inséré dans des menuiseries du même type.
Panneau de porte GB sur une porte de maison de ville des années 20 ou 30 dans la banlieue Est de Paris.
Panneau de porte GB sur une porte de maison de ville des années 20 ou 30 dans la banlieue Est de Paris.
On trouve souvent à proximité de ces fontes, d’autres maisons du même entrepreneur dont le panneau de porte en fonte est cette fois tiré du catalogue des « Nouvelles Créations » de Saint-Dizier, d’un style Art Nouveau plaisant mais loin du génie créatif de Guimard. Le prix de ce type de panneau en fonte tournant habituellement autour de 500 €, il nous semble que cette fois la plus-value liée à l’ajout de la menuiserie dans le prix de vente d’un telle porte serait assez faible.
Panneau de porte DL issue du catalogue des « Nouvelles Créations » de Saint-Dizier sur une porte de maison de ville des années 20 ou 30 à dans la banlieue Est de Paris.
Il nous est arrivé de trouver en vente (ci-dessous) au Louvre des Antiquaires en 2008 d’autres fontes Guimard, également présentées dans leurs menuiseries d’origine. En ce cas le prix délirant demandé ne se justifiait que très partiellement par le type de panneau de fonte (le retour de grand balcon n° 1) assez rare. Convaincre le marchand que la création de Guimard s’était arrêtée à la conception du modèle et ne s’était absolument pas étendu à la menuiserie relevait de la gageure.
Trois retours de grand balcon n° 1 sur une menuiserie de porte tiercée datant sans doute des années 10 ou 20. Ces panneaux sont présentés à l’envers, comme sur la planche 5 du catalogue Guimard.
La porte vendue le 20 mars à Neuilly a dépassé l’estimation puisqu’elle été adjugée à 7650 € (soit 9409,50 € avec les frais). Pour quelle raison peut-on dépenser 7900 € de plus que le prix raisonnable de la fonte Guimard, pour une porte comme il en existe des dizaines de milliers en France ? L’ignorance n’est certainement qu’une part de l’explication.
Frédéric Descouturelle
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