Les entrées Guimard des stations du métro, chefs-d’œuvre de l’Art Nouveau sont à tout jamais liées à la légende de Paris, elles en sont même devenues une icône. Le nom de leur créateur n’est pas toujours connu du passant, mais qui n’en a gardé le souvenir après les avoir croisées ?
86 entrées différentes, sur les 88 subsistant à Paris, sont désormais inscrites à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. 167 ouvrages Guimard, tous modèles confondus, ont pourtant été créés pour le métro parisien.
En examinant les 79 ouvrages Guimard disparus, on constate à regret que les créations les plus originales de l’architecte n’existent plus. Si aujourd’hui les entourages sont la généralité et les édicules l’exception, le Conseil municipal de Paris en 1899 avaient défini un programme inverse. Les édicules devaient couvrir la quasi-totalité des trémies d’accès alors que les entourages devaient rester l’exception. Par un revirement dans sa délibération du 16 novembre 1900, le conseil va imposer et concrétiser la généralisation des entourages sur la voie publique et proscrire les édicules.
Le Conseil municipal définit les dimensions et l’emplacement des bouches de métro sur la voie publique en avril 1899. Il impose également, sans en préciser l’aspect, les caractéristiques générales de ces entrées : trois gares, des édicules fermés et, exceptionnellement, une balustrade sur des emplacements ressentis comme esthétiquement sensibles.
Les comptes-rendus des débats se font l’écho d’amples discussions et controverses sur l’utilité ou non de protéger de la pluie le voyageur descendant dans le métro. Cette problématique qui nous paraît aujourd’hui si banale, plonge alors les conseillers municipaux dans un abîme de perplexité. Parallèlement, en 1898, Les clauses de la concession échue à la CMP lui imposent de définir et financer tous les aménagements extérieurs des stations. Elle doit donc choisir un architecte, proposer les plans au Conseil municipal pour validation, puis en assurer la construction à ses frais. Comme il se doit pour des réalisations aussi visibles, la CMP va se couvrir en organisant un concours, clos en août 1899. Nous savons qu’il y eut 21 projets. Le règlement du concours est très clair, la CMP devient propriétaire des projets primés mais ne s’engage pas à les réaliser. Elle imagine certainement que son architecte maison, Friesé, pourra s’en inspirer.
Sans doute influencé par une collusion de divers conseillers municipaux non identifiés et de membres de son administration, le Préfet de la Seine a déjà refusé fin décembre 1899 les propositions des architectes Friesé puis Formigé, présentées successivement par la CMP. Une note interne retrouvée récemment dans les archives précise que le directeur de la CMP est avisé par un haut fonctionnaire préfectoral que les projets de Guimard pouraient être agréés à la fois par la préfecture et par le Conseil Municipal.
Quinze jours plus tard, soit le 12 janvier 1900, Guimard est engagé par la CMP au vu de ses dessins. Le 7 février 1900, la Commission du métropolitain approuve les plans de Guimard, puis le 16 février, le préfet les agrée. Dans les archives de la CMP récemment exhumées, quelques zones d’ombre persistent encore à propos de cette « conjuration » où le nom de Président de la CMP, le banquier Adrien Bénard, n’apparaît pas. Sur le seul fait qu’il était amateur d’Art Nouveau, on avait en effet trop facilement écrit que Bénard avait imposé Hector Guimard. D’interprétations erronées en reprises successives, chacun avait enjolivé la légende et on avait fini par travestir l’origine du choix de l’architecte.
Pour réaliser les modèles des fontes, Guimard a engagé des frais dont il exige le remboursement, alors que la CMP lui déclare qu’ils sont inclus dans ses honoraires. Une contestation sur la propriété artistique oppose également les deux parties. Porté à son paroxysme pendant l’année 1902, le différent, uniquement d’ordre financier, se conclut par un règlement à l’amiable dans une convention signée le 1er mai 1903. Moyennant un dédommagement conséquent, Guimard abandonne ses droits de propriété artistique sur ses modèles.
Ces créations de l’architecte ne rencontrent plus aujourd’hui les critiques acerbes qu’elles essuyèrent à l’époque. Nous les apprécions pour leur inventivité, leur ligne unitaire et arborescente fusionnant le décor et la structure. Ce n’est cependant pas pour leur valeur artistique qu’elles furent approuvées par les autorités, mais plus certainement pour leur rationalisation. La standardisation permit de déployer un modèle à l’infini tout lui en permettant de s’adapter à chaque configuration d’accès. La CMP, soucieuse des dividendes versés à ses actionnaires, apprécia les économies ainsi réalisées.
Même si le style Art Nouveau fut longtemps ressenti comme désuet, il n’y eut jamais de véritable campagne organisée de dépose de ces ouvrages de Guimard. Aujourd’hui, sur les chemins de 66 stations du métro, les Parisiens peuvent croiser 3 édicules différents, 60 entourages aux étranges candélabres et 25 entourages à cartouches.