par Agathe Bigand-Marion.
Novembre 2014.
Titulaire d’un Master II en Histoire et Critique des Arts, de l’Université Rennes II, sous la direction de Maogan Chaingeau-Normand, j’ai consacré mes deux années de recherches (2012-2013) à la réalisation d’un mémoire intitulé Etude de la réception d’Hector Guimard dans les critiques de l’époque – 1885 à 1945. Bien que l’architecte semble mériter de nos jours une patrimonialisation dont il aurait voulu goûter les fruits à la fin de sa carrière, l’homme qu’il fut, son caractère, son éloquence et son talent surprenant suscitent des interrogations depuis ses débuts comme étudiant de l’Ecole des Beaux-Arts en 1885. Parce qu’il était question de tenter d’en savoir plus sur « Qui est Hector Guimard ? », ma recherche s’est principalement concentrée sur l’outil d’expression mais aussi de pérennisation d’une pensée des hommes : la presse.
C’est donc à partir de la Bibliographie d’Hector Guimard, par Ralph Culpepper datant de 1971 (Paris, Société des Amis de la Bibliothèque Forney) que j’ai pu donner un axe à ma recherche en me concentrant sur les articles de presse parus entre 1885 et 1945. Mon mémoire comprend donc la totalité des références bibliographiques dont j’ai eu connaissance. Les textes des articles de presse y font l’objet de citations ou de paraphrases en fonction des besoins de la rédaction.
Je tiens, avant d’exposer mon travail de façon sommaire, à remercier le Cercle Guimard qui, à partir d’octobre 2011, m’a aidé à concrétiser mon souhait de participer à l’étude d’un architecte pour lequel j’ai une affection depuis mon enfance où je parcourais La Sapinière de long en large. Je dois souligner à quel point je suis reconnaissante à ses animateurs pour le temps qu’ils m’ont consacré pendant mes deux années de recherches, ainsi que pour leur accueil et la confiance qu’ils m’ont accordés.
En raison du souffle démocratique qui régnait à l’époque, la presse s’émancipa largement grâce à la loi pour la liberté de la presse du 21 juillet 1881, ainsi que grâce à d’autres facteurs, aux premiers rangs desquels l’alphabétisation croissante, une administration moins restrictive et l’avancée toujours plus efficiente des techniques d’imprimerie et de communication. On voit alors apparaître une multitude de journaux, quotidiens et bulletins qui s’arrogent une liberté de parole sur absolument tout. Les chroniqueurs, eux-mêmes emportés par cette vague de modernité, veulent débattre pour la première fois du bien-fondé de ce nouveau style, qu’ils soient férus d’art ou rédacteurs de revues mondaines.
Ces nouveaux créateurs, qui voulaient s’affranchir, avaient tout intérêt à se faire connaître dans la presse. Mais l’information devint rapidement immaîtrisable. Tout le monde étant libre de s’exprimer, d’encourager ou de décourager le travail des artistes, ces derniers se confrontent à une déception ambiante sur ce qui est confusément attendu.
Certain de son talent, Hector Guimard voulait avant tout être applaudi. Il a donc été sensible aux critiques publiées dans la presse, souvent étonné qu’elles puissent être négatives. La relation qu’il entretenait avec ce média prend finalement des airs d’amour déçu, traversant des périodes de fascination, d’admiration, de dédain, de rejet ou de complicité quand il devenait ami avec certains chroniqueurs. Guimard, conscient de sa puissance créatrice, se considérait comme un homme d’influence. Toutefois, la presse, pouvant être tout à la fois son alliée et son adversaire, détenait un pouvoir et une emprise sur son sujet qui ne pouvaient être niés.
Cette relation étonnante qu’entretenaient les artistes avec la presse est révélatrice d’un état d’esprit, aussi bien celui du créateur que du public. Il arrive parfois que les rôles s’inversent : l’artiste devient le spectateur de la création de son personnage public, modelé par la presse. Cette dernière, par son caractère omniprésent dans l’étude de la carrière d’un homme, nous en apprend beaucoup sur celui-ci : comment s’est-il imposé ? S’est-il défendu ou laissé faire ? Qu’a-t-il voulu laisser paraître ? A-t-il été quelque peu expansif sur sa vie personnelle ? Manifestement, si l’on veut tenter de dresser le portrait d’un artiste, il est certain que la presse est une excellente source.
Alors, sous quels rapports cette relation s’est-elle développée ? Quelle dépendance existait-il entre Guimard et la presse ? Fut-elle toujours présente ? Quel sujet avait de l’intérêt à ses yeux quant au travail de l’artiste ? De quoi parlait-elle et de quelle manière ? A-t-elle été un frein ou un tremplin pour sa carrière ? L’a-t-elle toujours soutenu, suivi ou bien s’est-elle finalement lassée ?
A. Ses débuts prometteurs : quittant son statut d’élève pour celui d’architecte.
B. Le Castel Béranger et la presse : Guimard séduit, captive et réussit à attiser la curiosité.
A. De 1900 à 1906, l’ « architecte d’art » s’affirme dans son « Style Guimard » avant d’être tourné en dérision.
1. Le Castel Béranger est devenu une référence de ce mouvement moderne.
2. L’Exposition Universelle de 1900 et le Métropolitain : les tâtonnements du « Style Guimard » .
3. La Salle Humbert de Romans : un sujet propice aux attaques et à la décrédibilisation de l’architecte.
4. L’Exposition de l’Habitation de 1903 au Grand Palais : Guimard fait sensation.
5. Quand La Presse donne la parole à Guimard.
6. Exposition, salon, banquet, conférence, Comité du Nouveau Paris, et autres articles sur son œuvre : sur quels critères la notoriété de Guimard s’est-elle construite?
B. De 1907 à 1917, fini le « style Guimard » de l’architecte d’art, place au « style moderne » de l’architecte Guimard.
1. Le mariage avec Adeline Oppenheim.
2. Il reste très actif dans la vie culturelle parisienne et étrangère, il prend la parole, il participe, il expose.
3. La crise du bâtiment et la Première Guerre mondiale vont particulièrement toucher Guimard : il prend des positions pacifistes et s’investit dans la création d’une organisation pacifiste des Nations.
4. Tout comme Guimard et son œuvre, l’Art nouveau ne fait plus du tout partie du paysage artistique.
A. Quand le nom de l’architecte n’apparaît plus qu’au minimum de sa fonction.
B. Guimard est toujours présent pour les expositions, les salons, les concours et autres événements, mais principalement en qualité de membre de jury.
C. Où la notoriété de Guimard en est-elle pendant cette période de désaffection, par qui et par quoi est-elle nourrie et bousculée ?
Guimard a voulu être un révolutionnaire, un acteur de la modernité et c’est ce que l’histoire en a retenu. En effet, malgré une fin de carrière très peu suivie par la presse, le cas de Guimard a toujours semblé mériter une appréciation de chacun. Tout le monde a alors donné son avis, de manière plus ou moins pertinente, sur l’architecte et certaines de ses créations. À partir de là, il est clair que Guimard était très soucieux de son image, de sa réception dans la presse, de l’avis et de l’intérêt qu’on lui portait. Il a toujours été en demande de reconnaissance, et pour cela il devait en faire plus que les autres, ne jamais se contenter de ce qu’il avait créé et présenté la veille. Il lui fallait être partout afin d’être admiré, félicité et reconnu. Tout devait être parfaitement orchestré, prévu et le mettre sans cesse en valeur, autant dans son art que dans ses relations. Guimard était sans aucun doute un séducteur, un homme sociable et éloquent. Mais aussi un architecte au fort caractère qui n’hésitait pas à s’imposer et à s’exprimer sur ce qui lui tenait particulièrement à cœur : l’art moderne.
Avec surprise, on découvre un homme particulièrement sensible à une société utopique qu’il voyait embellie de belles demeures modernes, d’immeubles de prix modeste, mais riches en art, où la paix sociale règnerait au profit de relations constructives avec les pays voisins. Et c’est d’ailleurs ce qui l’a motivé tout au long de sa carrière de bâtisseur d’un monde nouveau.
Ne voulant surtout pas faire table rase du passé, il avait à cœur de perpétuer les recherches de ses aînés, eux aussi révolutionnaires dans leur domaine. Sous la bannière de Viollet-le-Duc, se dressait droit et fier un architecte, vaillant et orgueilleux, qui regardait droit devant lui. Guimard voulut mettre son talent au service de l’art de son pays et s’honorer d’être aussi remarquable que ses maîtres.
Finalement, la presse a été un tremplin et un frein à la carrière de l’architecte. Elle ne l’a pas toujours soutenu, elle a fini par se lasser et l’a quelque peu ignoré. Et pourtant, on parlait toujours de lui . On n’évoquait plus ses constructions nouvelles, mais la personnalité qu’il était devenu. À terme, on l’avait enfermé dans son statut d’architecte ; et c’est de cela dont il a dû souffrir : si l’on n’évoquait plus la passion de Guimard, sa fougue et son énergie, alors il n’était plus rien. Tout ce qui le caractérisait avait été finalement trop manipulé par la presse et était devenu un poids pour cet homme en mal d’admiration. Les avis de l’époque lui ont adjoint l’image des artistes du mouvement Art nouveau, et avec lui Guimard s’est effrité au regard du public et de la presse.
Mon travail de recherche, tout comme ma passion, n’a point de limite temporelle, et c’est pourquoi je continue de m’enquérir de nouveaux articles qui s’ouvrent à la période post-mortem afin de pouvoir développer ce sujet de la patrimonialisation d’Hector Guimard dans la presse contemporaine, qui prendra forme par la publication d’une thèse de doctorat. La mise à disposition des articles de presse in extenso se fera prochainement par Internet, en lien avec le Cercle Guimard.
Affaire à suivre…
Cet article paru dans La Gazette des Beaux-Arts en mars 1910, reflète une part des questions soulevées plus haut. Son auteur, Pascal Forthuny, écrivain, poète, peintre et aussi critique d’art, a suivi l’éclosion du style Art nouveau et a assez violemment critiqué le Guimard « scandaleux » des premières années. Quinze ans plus tard, la sagesse venue chez l’un et chez l’autre, il salue l’évolution de Guimard, sans pour autant admettre les qualités de ses premières œuvres de style Art nouveau ni même reconnaître la nécessaire rupture qu’elles ont été. En filigrane, l’article révèle certains travers de la presse : le besoin de susciter et d’entretenir la polémique et le scandale, l’analyse sans mise en perspective, l’absence de retour sur soi et le changement d’opinion à vue pour toujours correspondre à la pensée dominante.
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