Qui n’a pas rêvé de se téléporter avec élégance au moyen d’une vitrine d’Hector Guimard ? Ce qui peut sembler une gageure, a pourtant été une réalité pendant des décennies avec cette restriction que les déplacements effectués n’ont été réalisés que de haut en bas et de bas en haut.
Deux modèles de telles vitrines sont connus. L’une d’entre est apparue une première fois en 1989 sur le marché de l’art[1], puis en 1993 à la dispersion de la collection Brugnot[2]. Elle est en chêne teinté, vitrée sur trois côtés et sur les deux tiers supérieurs de sa hauteur. Elle n’a pas de corps bas mais des portes ouvrant sur toute la hauteur et repose sur un socle ouvragé. Les montant des angles antérieurs sont sculptés dans leur partie supérieure de motifs abstraits arrondis et de stylisations de fruits ou de graines. Les parties vitrées des portes sont recoupées par des lignes arquées issues de la travée médiane qui viennent toucher le montant latéral avant de rejoindre le montant central formant au total un motif ovoïde. Sur les deux côtés on ne trouve qu’une simple ligne arquée en partie supérieure, symétrique à celle de la façade. Le fronton est en « chapeau de gendarme » très aplati.
Une seconde vitrine a également fait une apparition en vente publique en 2010 chez Tajan[3] à Paris où nous avions pu la photographier. Elle est également en chêne, mais a subi un décapage drastique. Proche de la précédente par ses dimensions et son décor, elle possède les mêmes montants des angles antérieurs. Mais sa façade est plus complexe en raison de la présence de deux vitres verticales latérales, très étroites, encadrant les portes qui sont réduites d’autant en largeur. Le couronnement en « chapeau de gendarme » est réduit en largeur pour ne couvrir que les deux portes. À ses deux extrémités, le bois semble pincé et replié vers l’intérieur pour se terminer en vaguelette. Les lignes arquées décorant les portes sont identiques à celles de l’autre vitrine, mais recoupées au centre pour s’adapter à la largeur moindre des portes. Elles sont répétées symétriquement sur les côtés. Le socle est sculpté de motifs en forme de replis au niveau des coins qui sont joints au centre par une large lèvre.
Ces vitrines nous ont longtemps intrigués jusqu’à ce que découvrions que leur fonction réelle était d’exposer de façon brève des humains (mais aussi des animaux domestiques) tout en les déplaçant, comme nous l’indiquions plus haut, sur un axe vertical. Cet axe était fixe et se trouvait au sein des « immeubles modernes » des rues Gros, Agar et La Fontaine, construits par Guimard de 1909 à 1911[4]. À vrai dire, seuls quatre des six immeubles bénéficiaient de ces vitrines ascensionnelles : le 43 rue Gros ainsi que les 17, 19 et 21 rue La Fontaine. Dans les immeubles plus modestes des 7 et 9 de la rue Agar (plus tard renumérotés 10 et 8) l’ascension se faisait de façon hélicoïdale et pédestre[5].
La vitrine ascensionnelle aux petites vitres latérales était vraisemblablement au 17 rue La Fontaine. Elle apparaît dans un bref plan du court-métrage Hectorologie[6] où elle est empruntée par deux figurantes dont les services avaient été loués pour la circonstance. Nous en avons extrait deux photogrammes en montrant les parties supérieure et inférieure.
Pour son adaptation à sa nouvelle version de vitrine fixe, elle a dû être largement remaniée. Le soubassement a été modifié pour y introduire des lignes plus souples. Les portes battantes, originellement ouvertes à leur partie supérieure ont été refaites avec les parois latérales en y introduisant des traverses intermédiaires et des petits bois dont la ligne courbe est trop régulière. La profondeur a été réduite et le fond vitré supprimé.
La première vitrine ascensionnelle que nous avons mentionnée (celle sans vitres latérales étroites) a subi un sort comparable. Elle se situait originellement au 43 rue Gros ou au 21 rue La Fontaine.
Par une photographie ancienne, nous connaissons encore une troisième vitrine ascensionnelle un peu différente et sans plafond qui se trouvait dans l’immeuble Trémois, 11 rue François Millet. Elle a malheureusement disparu sans avoir eu le bonheur d’être transformée en vitrine fixe avant d’être livrée au marché de l’art.
Frédéric Descouturelle
Notes
[1] Vente Arcole, 28 juin 1989, Drouot Richelieu, lot n° 241.
[2] Vente Million et Robert, collection Jean-Claude Brugnot, hôtel Georges V, 18 juin 1993, lot n° 25.
[3] Vente Tajan, 23 septembre 2010, lot n° 133.
[4] Par commodité nous désignons fréquemment ce groupe d’immeubles sous le nom des « immeubles modernes » puisque Guimard les avait conçus autour d’une rue nouvelle qu’il avait dénommée sur ses plans « rue Moderne » mais dont le nom définitif et officiel a été rue Agar. Pour plus de précisons sur ces immeubles et en attendant une étude plus complète, on se reportera au chapitre qui leur est consacré dans le livre de Georges Vigne et Felipe Ferré Guimard (éditions Charles Moreau, 2003) ainsi qu’à l’article d’Hervé Paul « Suzane Richard, collaboratrice d’Hector Guimard de 1911 à 1919 » publié sur notre site internet.
[5] Depuis, les propriétaires du 10 rue Agar (anciennement 7 rue Agar), soucieux du standing de leur bien immobilier et de l’économie de leurs efforts ascensionnels, ont fait démonter la rampe de Guimard pour y loger une vitrine de fonction semblable à celles qui nous occupent mais qui est bien moins esthétique.
[6] Réalisé en 1965 par Alain Blondel et Yves Plantin, ce film a reçu le prix du court-métrage au festival Max Ophüls et le Lion d’or au VIIe Festival du film d’art de Venise en 1966.
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