Nous publions cet article dans le cadre d’une série de textes sur les liens entre Guimard et les États-Unis inaugurée en début d’année[1]. Nous verrons qu’ici le lien est indirect et le fruit du hasard mais il permet surtout d’évoquer cette réalisation de Guimard restée discrète et sa place au sein de son œuvre.
Nos lectrices et lecteurs attentifs se souviennent peut-être de la première fois où nous avons évoqué l’existence de cette réalisation inédite de Guimard. C’était en 2013 à l’occasion d’une vente parisienne dans laquelle deux chaises, dont nous soupçonnions qu’elles avaient fait partie de l’ameublement de ce salon de thé, étaient proposées aux enchères (https://www.lecercleguimard.fr/fr/objets-guimard-ou-non-a-la-vente-sothebys-du-16-fevrier-2013/).
En effet, ce modèle ne nous était pas totalement inconnu puisque deux chaises équivalentes étaient déjà passées en vente en 1989. Une comparaison minutieuse des deux paires nous apprenait qu’il s’agissait en fait des mêmes meubles qui avaient fait l’objet d’une restauration.
La notice du catalogue de 1989 acquis peu de temps auparavant[2] nous donnait déjà plusieurs informations. En plus d’une photo et des caractéristiques des deux chaises, alors dans un état moyen (résultat d’un séjour prolongé dans le grenier familial), elle précisait la provenance des meubles bien qu’une faute d’orthographe malheureuse nous ait induite en erreur quelque temps[3].
Grâce aux archives commerciales parisiennes puis à la découverte d’une mention sur un dessin du fonds Guimard, enfin à l’étude du monogramme figurant sur le dossier des chaises[4], nous avions réussi à établir le lien avec les époux Lecante, propriétaires d’un commerce entre 1898 et 1927 qui a bénéficié à l’époque d’une certaine notoriété : la maison Doret, une pâtisserie située 17 rue de Rome à Paris (75008).
Notre curiosité étant quelque peu aiguisée, nous avons mis à profit ces dernières années pour tenter d’en apprendre un peu plus sur cette mystérieuse réalisation de Guimard passée totalement inaperçue au sein de la littérature consacrée à Guimard au cours de ces dernières décennies. Un article de presse relatant l’inauguration de « la Maison de Thé moderne de Lecante » permettait d’en préciser la date puis la découverte de l’identité du propriétaire de l’immeuble de la pâtisserie d’établir le lien direct avec Guimard. Enfin, des recherches généalogiques récentes nous ont mis en relation avec les descendants des époux Lecante. Nous en profitons pour remercier chaleureusement les familles Pi, de Ricou, Sassot et Serra pour leur accueil et leur bienveillance, en particulier Mme Françoise Pi, la mémoire de la famille, dont les souvenirs précieux nous ont aidés dans notre compréhension de l’histoire et du contexte familial[5].
D’une manière générale, les difficultés rencontrées pour trouver des informations sur le salon de thé Lecante tiennent à la quasi-absence de documents ni même de mentions au sein des différents fonds Guimard conservés en France et à l’étranger mais aussi dans les archives familiales qui ont disparu en grande partie au gré des évènements du siècle dernier. À notre connaissance, la seule évocation par Guimard de cette réalisation se trouve dans un document résumant sa carrière qu’il a rédigé en 1925 pour Henri Clouzot, conservateur du musée Galliera. Il y mentionne des « salons de thé » au chapitre des décors d’intérieurs et ameublements[6]. Cette paire de chaises reste donc à ce jour le seul mobilier connu provenant du salon de thé Lecante.
Même si les informations sur cette œuvre demeurent lacunaires — notamment d’un point de vue iconographique – la présentation d’une des deux chaises au sein de l’exposition sur Guimard qui se tiendra à Chicago à partir du 22 juin prochain (après celle de New York qui se termine[7]) nous a incités à publier nos recherches.
La maison Doret, une pâtisserie familiale
Le 21 avril 1898, le couple formé d’André (Albert) Lecante (1853-1912) et (Marie) Berthe née Robert (1859-1944) rachetait le fonds de commerce occupé par une pâtisserie, la maison Doret, situé 17 rue de Rome[8]. Cette profession ne leur était pas inconnue puisqu’ils tenaient précédemment (depuis 1886) une autre pâtisserie située à Nogent-sur-Marne[9] dont la spécialité était le Valdaï, un gâteau russe.
Si le quartier dans lequel ils venaient de s’installer présentait en cette fin du XIXème siècle à peu près la même physionomie qu’aujourd’hui, la fin des transformations principales était récente. Entre 1837 et 1889, le secteur n’avait cessé de se structurer au rythme du prolongement et des agrandissements de son élément principal, la gare Saint-Lazare, qui avait vu sa fréquentation augmenter de manière exponentielle avec le développement des lignes de fer vers l’Ouest parisien et la Normandie[10].
Suivant le mouvement, l’ouverture de la rue de Rome s’est faite progressivement : la section comprise entre la rue Saint-Lazare et le boulevard des Batignolles a été ouverte en 1850, celle comprise entre le boulevard Haussmann et la rue Saint-Lazare date de 1868. La construction du bâtiment haussmannien dont le rez-de-chaussée était occupé par la maison Doret remonte à cette époque.
Avant son rachat par les époux Lecante en 1898, un commerce de pâtisserie existait déjà à cet emplacement puisqu’un certain Bonnard spécialisé dans les tartes de Linz (ou Linzer-Tartes) — une spécialité viennoise aux framboises ou à l’abricot[11] — y était établi au début des années 1870. C’est au moment de son rachat le 03 octobre 1875[12] par Henry Doret (1829-1897) que la pâtisserie prendra définitivement son nom. En 1884, Henry Doret cédait la pâtisserie à son fils Célestin[13] qui lui-même s’en séparait en 1898 au profit d’Albert et Berthe Lecante. Ceux-ci avaient donc bien compris le potentiel représenté par un tel emplacement, idéalement situé en face de la gare Saint-Lazare.
Sur les menus de l’époque parvenus jusqu’à nous, on y retrouve les tartes de Linz qui ont fait la renommée de l’établissement mais aussi les spécialités du couple Lecante comme le Valdaï russe ainsi que toutes les recettes qu’une pâtisserie de cette époque se doit de proposer à sa clientèle[14].
L’intervention de Guimard
Entre la fin du XIXème siècle et le milieu des années 1900, la maison Doret a connu une période prospère. Entre-temps les époux Lecante ont marié leurs deux filles — Louise en 1901[15] puis Henriette en 1904 qui s’est uni avec Charles Bricard[16], un chef d’entreprise à la tête d’une affaire de vitrauphanie florissante — mais ils se sentaient à l’étroit dans leur commerce de la rue de Rome essentiellement constitué d’un espace de vente à emporter.
Cherchant à s’agrandir afin de donner un nouvel élan à leur affaire, ils souhaitaient offrir à leur clientèle et aux voyageurs de la gare Saint-Lazare un nouvel espace de dégustation tout en se démarquant de la concurrence nombreuse dans le quartier.
Une telle opération ne pouvait se faire qu’avec une modification du bail commercial et donc l’accord de la propriétaire de l’immeuble. Or celle-ci n’était autre que Mme Grivellé[17]… Les spécialistes de Guimard connaissent bien Appolonie Grivellé (1838-1933) [18] parfois considérée comme sa marraine. Elle a joué un rôle central dans la vie et la carrière de l’architecte tant à ses débuts en lui offrant ses premières commandes que par la suite – l’exemple de la maison Doret en est une nouvelle démonstration — alors même que Guimard était déjà bien installé professionnellement. Il apparait évident que c’est grâce à l’entremise d’Appolonie Grivellé que les époux Lecante ont fait appel à l’architecte dont ils ne pouvaient ignorer par ailleurs qu’il était l’auteur des accès de métro situés à quelques pas de leur boutique.
À la faveur d’une modification du bail intervenu le 31 mai 1905, le couple Lecante a donc obtenu la jouissance de plusieurs nouveaux locaux comprenant un appartement à l’entresol, un autre au 5ème étage, qui deviendra l’appartement familial, et six chambres de domestiques au 6ème étage où seront logés une partie du personnel. Enfin le bail va leur donner les moyens de réaliser leur projet d’agrandissement en les autorisant à créer un accès entre la boutique et l’appartement de l’entresol et à y installer une maison de thé[19].
C’est donc dans cet espace situé juste au-dessus de la boutique, qu’Albert et Berthe Lecante ont décidé d’aménager leur salon de thé et de faire appel à Guimard pour le décorer et le meubler. Celui-ci s’est exécuté de bonne grâce d’autant que les aménagements commerciaux de ce type étaient rares jusqu’à présent dans son parcours professionnel[20]. Peut-être avait-il aussi une revanche à prendre sur un projet similaire, le salon de thé Melrose, probablement jamais réalisé et qui aurait dû prendre place à quelques rues de la maison Doret[21]. Pour Guimard il s’agissait donc d’honorer une commande inédite rejoignant (ou devançant) certains de ses confrères dans cet exercice dont les grandes villes européennes étaient friandes à l’époque.
Depuis le milieu des années 1890 la mode s’était emparée de ces lieux de convivialité et de représentation qu’étaient les cafés, les restaurants ou encore les fumoirs. Création plus récente, le salon de thé – parfois appelé tea room ou five o’clock par anglomanie — n’échappait pas à la règle. Il occupait d’ailleurs un genre à part entière, distinct du café et du restaurant. Devenu un lieu de rendez-vous élégant et de bonne compagnie, on y consommait entre ami(e)s aussi bien des boissons que des spécialités salées ou sucrées. De plus, de façon avouée ou non, les salons de thé luttaient contre la propagation de l’alcoolisme dont on accusait alors les cafés, les bars et les brasseries.
Dans le style moderne, la série des tea rooms de Mrs Cranston décorés par Charles R. Mackintosh à Glasgow figuraient parmi les plus célèbres en Europe mais Paris présentait quelques aménagements intéressants comme le salon de thé de la maison Potin.
La province n’était pas en reste et dans la ville où l’art décoratif moderne s’était le mieux développé, le tea room des Magasins Réunis à Nancy aménagé par Louis Majorelle était l’un des plus raffinés.
Au milieu de cette année 1905, cette commande est arrivée à point nommé pour Guimard au moment où il terminait l’un de ses chefs d’œuvre, l’hôtel Nozal. Le gros œuvre était achevé et même si une partie de la décoration intérieure de cet hôtel particulier devait se poursuivre pendant encore un an, son achèvement a certainement allégé l’emploi du temps de l’architecte. C’est d’ailleurs sans surprise que la seule mention se référant à ce projet dans le fonds Guimard à Orsay se situe au dos d’un dessin se rapportant à l’hôtel Nozal[22].
Quelques mots écrits à la hâte : « Lecoeur – profilé table à thé – Lecante » nous renseignent doublement. Tout d’abord sur le type d’ameublement (assez logiquement des tables à thé accompagnaient les chaises) mais aussi sur la société à laquelle Guimard a fait appel pour réaliser au moins une partie du mobilier du salon de thé, l’entreprise Le Cœur et Cie[23]. Cette menuiserie était capable d’effectuer à la fois les travaux les plus considérables comme des travaux artistiques de premier plan. La maison Le Cœur qui s’est très tôt qualifiée de « Menuisier d’Art » s’était attirée les faveurs des architectes et décorateurs les plus en vue de l’époque qui lui commandaient des travaux sur mesure[24]. Cette société avait déjà travaillé pour Guimard à plusieurs reprises depuis Le Castel Béranger dont elle avait réalisé les menuiseries[25]. Lui qui se qualifiait volontiers d’« Architecte d’Art », il avait trouvé chez ce menuisier la possibilité de sous-traiter ponctuellement la fabrication en petites séries de meubles de qualité que ses ateliers de l’avenue Perrichont — non dimensionnés pour ce type de commandes — ne lui permettaient pas de réaliser.
Pour le dessin des chaises, Guimard, peut-être pressé par les délais et probablement aussi par souci d’économie s’est inspiré, en le simplifiant, d’un modèle exposé l’année précédente au Salon d’automne de 1904. Les sculptures bourgeonnantes qui ornaient deux des montants du dossier ont ainsi disparu, remplacées par de fines rainures qui accompagnent les courbes élégantes du dossier. Seules les extrémités latérales du médaillon accueillant le monogramme ont conservé une sculpture figurant une fleur stylisée libérant des grains de pollen. Sans surprise Guimard a utilisé un de ses bois favoris, le poirier, dont le grain serré se prêtait admirablement à l’expression du style qui portait désormais son nom.
Le salon de thé Lecante a ouvert ses portes en fin d’année 1905. Au mois de décembre, la revue La Critique s’est faite l’écho de l’inauguration, dans une ambiance très mondaine, de la « Maison de Thé Moderne de Lecante » dans un bel article qui donne une idée relativement précise des aménagements réalisés par Guimard provoquant d’autant plus une certaine frustration en l’absence de photos parvenues jusqu’à nous… La Critique ayant soutenu Guimard dès ses débuts[26], nous ne sommes pas surpris du ton particulièrement flatteur employé dans l’article et de retrouver la garde rapprochée de l’architecte parmi les invités : Stanislas Ferrand, directeur du journal Le Bâtiment, G. Beauregard, député de Paris, Georges Bans, directeur de La Critique et bien sûr fidèle parmi les fidèles, le poète Alcanter de Brahm, chargé de prononcer quelques paroles.
Nous retranscrivons ci-dessous les meilleurs passages de cet article intitulé « Le Style Guimard » en respectant la ponctuation, l’orthographe et la casse du texte d’origine.
« Nous avons eu le plaisir de trouver l’une des meilleures applications de la méthode artistique de notre maitre architecte Hector Guimard, près de la Gare Saint Lazare, à la pâtisserie Doret, 17, rue de Rome. Des salons de Thé ont été aménagés avec tout le luxe et le confort modernes. Des ors, des glaces et des cristaux lumineux encadrent des meubles dessinés avec art et exécutés comme pour un musée.
(…) A l’inauguration, après les allocutions très chaleureuses (…) auxquelles a répondu avec une cordiale émotion M. Hector Guimard, M. Alcanter de Brahm, au nom de la critique d’avant-garde qui fut la première à discerner le sens novateur de l’esthétique du brillant architecte d’art, a prononcé quelques paroles dont voici la substance :
C’est un sentiment de courtoisie que vous trouverez bien naturel à l’égard de notre cher Hector Guimard, qu’au nom des premiers amis de ses heures de lutte résolue contre les préjugés scolaires de l’architecture classique, je me présente ici, modeste interprète de la jeune génération de la Critique de saluer d’un ton cordial notre cher amphitryon.
Car cet hommage, qui est en même temps une marque de reconnaissance et d’admiration, coïncide avec un nouveau triomphe. Au cœur de Paris dont il avait déjà su égayer la monochromie des gares par la sveltesse de ses lignes élégantes et vives, voici la Maison de Thé moderne de Lecante, installée avec tout le charme désirable, avec, jusqu’aux plus habituels objets mobiliers, chaises, tapis, vases, et jusqu’aux girandoles, d’où jaillit, miraculeuse, la lumière étincelante, le tout révélateur d’un art exquis et non plus renouvelé d’autrefois, mais créé pour la magie inépuisable d’un artiste sincère et véritable.
Après le Castel Béranger, la maison Boileau, l’hôtel Nozal, le véritable palais de l’avenue de Versailles, après cent autres trouvances, qui, si elles ne permettent pas à la présomption (…) de la qualifier « nouveau style ou modern style » affirment délibérément leur raison de s’appeler « style Guimard ». Voici la Maison de Thé, rendez-vous assuré du bon ton et de l’élégance parisienne.
(…) C’est le triomphe après cette bataille livrée contre la banalité traditionnelle, que nous sommes fiers de célébrer, en levant notre verre à la gloire et aux succès actuels et futurs de notre cher Guimard ».
A partir de 1905, la mention « salons de goûter » a fait son apparition sur les menus pour mettre en avant la nouveauté. « Lecante Successeur » continue à s’afficher en grosses lettres en travers du menu aux côtés d’un petit « Ancienne Maison Doret ». Cette dernière appellation ne disparaitra d’ailleurs jamais complétement puisque plusieurs offres d’emploi publiées autour de 1910 reprennent la raison sociale d’origine.
Si l’intervention de Guimard s’est probablement cantonnée aux salons de thé de l’entresol et n’a pas concerné la boutique du rez-de-chaussée, nous pensons qu’il est peut-être à l’origine des ajouts sur la devanture qui apparaissent à partir de cette époque. Sur une photographie prise durant les inondations de 1910, la pâtisserie semble habillée d’une structure.
Plusieurs poteaux, probablement en bois, s’élèvent de la base de la devanture et viennent supporter les jardinières fleuries de l’entresol pour souligner la présence nouvelle du salon de thé au-dessus de la pâtisserie.
André Lecante est décédé le 19 janvier 1912 laissant son épouse seule à la tête de la maison Doret et face à un voisin de plus en plus envahissant, la Pharmacie de Rome A. Bailly, qui ne cessait de s’agrandir et lorgnait sur cette enclave commerciale qui lui échappait. C’était sans compter avec le caractère bien affirmé de Berthe peu disposée à se séparer de la boutique.
Pendant encore une quinzaine d’années, elle a dirigé la Maison Doret entretenant des relations parfois tumultueuses avec son encombrant voisin[27].
Au milieu des années 1920, elle a délégué la gérance au couple Tiphaine-Peyta avant de lui céder définitivement le fonds de commerce (et pour un très bon prix) le 16 mai 1927[28].
Enfin une petite annonce datée du 12 juin 1927 est venue mettre un terme définitif à cette aventure. Quelques mots informaient l’acheteur potentiel de la vente de l’ensemble du « Matériel pâtisserie, articles confiserie, mobilier magasin, salon de thé, placards, etc. – 17 rue de Rome » [29]. S’il restait encore du mobilier de Guimard à cette époque, il est probable que cette vente a fini de le disperser…
Heureusement, la paire de chaises parvenue jusqu’à nous avait été conservée par la famille grâce à la volonté d’un homme. L’architecte Georges Bovet (1903-1980), père des descendants actuels, connu pour ses réalisations plus modernistes[30] qu’Art nouveau ne pouvait cependant pas ignorer qui était Guimard, lui qui installera son agence au début des années 1960, 21 avenue Perrichont (Paris 16è) à deux pas des anciens ateliers de l’architecte… Bien conscient de la valeur de ces deux meubles, il avait insisté pour qu’ils soient gardés par la famille.
De la décoration fixe imaginée par Guimard pour le salon de thé Lecante, il ne reste plus rien aujourd’hui. Les plans d’origine n’ont pas été retrouvés et le bâtiment a subi de lourdes transformations intérieures à la suite des agrandissements de la Pharmacie A. Bailly qui a progressivement racheté tout l’immeuble.
Seule la consultation du dossier de permis de construire de 1968 permet d’accéder à des plans complets et de se faire une idée approximative de la configuration des lieux. L’entresol du 17 rue de Rome fait apparaitre un espace encore bien délimité d’une soixantaine de m² qui semble correspondre à l’appartement d’origine occupé par le salon de thé. L’escalier entre la boutique du rez-de-chaussée et le salon de thé de l’entresol est toujours en place et la disposition des lieux laisse penser que trois petits salons ont pu être aménagés par Guimard.
Au cours de nos échanges avec les descendants de la famille, une question revient souvent : qu’est-il advenu de tout le reste[31] ? L’aménagement de trois salons de thé suppose un ameublement conséquent. Où sont donc passés les autres chaises, les tables à thé, les tapis, les vases ou encore les girandoles décrits par Alcanter de Brahm en 1905 ? Nos recherches dans la base du mobilier Guimard en cours de constitution ne nous ont pas encore permis de rattacher d’autres meubles ou objets avec certitude à cette réalisation tout comme nos tentatives pour en trouver des photographies.
Pourtant, bien que relativement modeste, le caractère unique de cette réalisation au sein du corpus des œuvres de Guimard, sa place à une période charnière de sa carrière qui voit son style s’assagir et s’affiner, à une période où il maitrise la quasi-totalité des champs d’application des arts décoratifs, font de l’étude du salon de thé Lecante un sujet particulièrement intéressant.
A l’instar de nos précédents dossiers, nous espérons que la publication de cette étude permettra d’améliorer les connaissances sur cette œuvre et lançons donc un appel en ce sens à nos lectrices et à nos lecteurs qui accepteraient de partager de nouvelles informations. Nous poursuivons les recherches de notre côté et ne manquerons pas de vous tenir informés.
Olivier PONS
[1] Voir l’article de Marie-Claude Paris et Olivier Pons « Le premier voyage de Guimard aux États-Unis – New York 1912 », Le Cercle Guimard, février 2023.
[2] Lot 89 de la vente aux enchères Binoche-Godeau le 20/03/1989 à Paris.
[3] La mention sur la provenance est rédigée de la manière suivante : « Provenance : Maison Dore à Paris ».
[4] Le monogramme est composé des trois lettres STL entrelacées pour « Salon de Thé Lecante ».
[5] Nous remercions vivement M. Edouard Derville pour ses précieuses recherches généalogiques ainsi que Laurent Sully Jaulmes, la galerie Robert Zehil, la galerie Macklowe et Sotheby’s pour les photos des chaises.
[6] Feuillet composé de cinq pages dont quatre manuscrites, 1925. Coll. auteur.
[7] Cette exposition se tient au Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum de New York jusqu’au 21 mai 2023, puis du 22 juin 2023 au 7 janvier 2024 à Chicago au (Richard H.) Driehaus Museum.
[8] Archives commerciales de la France du 23 avril 1898.
[9] Archives commerciales de la France du 20 mars 1886 : la pâtisserie de Nogent-sur-Marne située 98 Grande-Rue (aujourd’hui Charles de Gaulle) avait été rachetée à un certain Roux le 2 mars 1886.
[10] Une gare provisoire est construite en 1837 suivie dans les années 1840 à 1850 d’une première gare définitive réalisée par l’architecte Armand et l’ingénieur Flachat avec un allongement des voies vers le sud. Enfin de 1885 à 1889, le bâtiment est détruit pour laisser la place à une nouvelle construction de l’architecte Lisch doté de sa façade actuelle tandis que la cour du Havre est aménagée à la place de l’ancien bâtiment.
[11] Voir Lacam et son célèbre « Mémorial historique et géographique de la pâtisserie », 1900.
[12] Archives commerciales de la France du 07/10/1875.
[13] Archives commerciales de la France du 22/05/1884.
[14] A l’époque, une pâtisserie ne s’entendait pas au sens strict d’une boutique dans laquelle on achetait et emportait des gâteaux, mais aussi comme une sorte de restaurant où l’on pouvait manger, parfois sur place, des tartelettes, des bonbons ou encore des glaces mais aussi des plats salés tout en buvant de l’eau frappée, du lait, des sirops ou des vins.
[15] (Berthe) Louise (Andrea) : 1880-1922 mariée le 08/07/1901 (Paris 8è) à Alphonse (Auguste Joseph) Leclercq (1873-1950) dont trois enfants (Robert, Geneviève et Marie Louise Berthe).
[16] Henriette (Marie Joséphine) 1882-1944 mariée le 19/11/1904 (Paris VIIIème) à Charles (Édouard Auguste) Bricard (1878-1939) dont trois enfants (Andrée-Paule, Thérèse et Jacqueline Georgette).
[17] Registre des hypothèques, volume n° 84, folio n° 78, Archives de Paris.
[18] Voir l’article de Marie-Claude Paris « De Lyon à Paris, Hector Guimard et ses proches : famille, voisins et clients », Le Cercle Guimard, juillet 2020.
[19] Revue des loyers, 7ème année, n° 70.
[20] La seule réalisation recensée de ce type est l’armurerie Coutollau située à Angers dont Guimard avait dessiné la devanture et aménagé les intérieurs.
[21] Plusieurs dessins du fonds Guimard à Orsay datés de 1896 concernent ce projet de salon de thé qui devait être une dépendance du théâtre de la Bodinière, 16-18 rue Saint Lazare (Paris IXème).
[22] Fonds Guimard au musée d’Orsay. Côte GP 1076. Le recto représente une partie de la porte d’entrée principale de l’hôtel Nozal.
[23] Joseph Théodore Le Cœur (1860-1904), ingénieur des arts et manufactures, était à la tête de l’entreprise familiale Le Cœur et Cie dont l’usine était située 141 rue Broca à Paris (XIVème).
[24] La maison Le Cœur et Cie a notamment réalisé toutes les boiseries et les menuiseries (dont les cheminées) de l’hôtel particulier que l’architecte Xavier Schoellkopf a fait construire en 1898, 4 avenue d’Iéna (Paris XVIème).
[25] On retrouve notamment la maison Le Cœur et Cie parmi les collaborateurs de Guimard qui ont participé à la construction du pavillon « Le Style Guimard » pour l’Exposition de l’Habitation de 1903.
[26] Nous renvoyons nos lecteurs aux nombreux articles du Cercle Guimard faisant référence à La Critique. Cette revue littéraire et artistique progressiste éditée entre 1895 et 1920 a régulièrement mis en avant les idées et les travaux de Guimard.
[27] Selon les témoignages familiaux, la maison Doret et la Pharmacie de Rome s’accusaient mutuellement de mauvaises odeurs…
[28] Archives commerciales de la France des 24 mai et 03 juin 1927.
[29] L’Intransigeant du 12 juin 1927.
[30] Élève de Tony Garnier à l’École régionale d’architecture de Lyon en 1921 puis d’Emmanuel Pontremoli à l’École des beaux-arts de Paris, Georges Bovet a été 1er second Grand Prix de Rome en 1931. Il remporte le concours pour l’hôtel de ville de Bois-Colombes (92) et obtient son diplôme en 1938. Il s’est illustré en construisant des œuvres liées aux domaines de l’éducation et du sport. On lui doit notamment le Centre nautique de Valence en 1950, un lycée de garçons à Pau en 1955, l’Institut National des Sports dans le bois de Vincennes entre 1934 et 1962 ou encore certains bâtiments du Campus universitaire de Grenoble entre 1965 et 1968.
[31] La famille conserve par ailleurs de la vaisselle aux chiffres de la maison Doret mais qui n’a visiblement pas été dessinée par Guimard.
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